Il y a en France, actuellement, environ 135.000 francs-maçons dont 85 % sont membres des trois obédiences principales : le Grand Orient, la Grande loge nationale française et la Grande loge de France. Même s’il ne faut pas surestimer leur influence et céder à la culture du complot, ces structures initiatiques et semi-secrètes pèsent d’un poids non négligeable dans le monde des affaires et dans celui de la politique. D’où l’importance des luttes de pouvoir qui les agitent. La dernière en date, qui a déjà fait, ces dernier mois, la couverture des hebdomadaires Le Point et L’Express, fait trembler sur ses bases la vénérable Grande loge nationale de France.
Une obédience sarko-compatible
Alors que le Grand Orient s’est de tous temps positionné « à gauche » et a toujours recruté majoritairement parmi les fonctionnaires et dans la classe moyenne, la GLNF s’est, depuis les années 1960, présentée comme une maçonnerie « de droite » s’adressant aux décideurs, cadres, dirigeants d’entreprises, hauts fonctionnaires et notables. Marginale avant 1965 et peu importante jusqu’au milieu des années 1980, cette obédience est devenue la seconde puissance maçonnique française grâce à une politique de recrutement visant les élites ou prétendue telles. Ainsi, par exemple, on sait, par des indiscrétions, que tant le prince Albert de Monaco que le prince Jean de Sarkozy ont été approchés par la GLNF et qu’ils ont tous les deux décliné l’invitation. On ne connaît pas, par contre, l’identité de ceux – nombreux – qui ont accepté de « passer sous le bandeau » et d’être initiés.
Ce que l’on subodore cependant, c’est qu’ils sont aisés car la part de leurs cotisations annuelles qui est remise à la grande loge nationale (environ 50%, le reste allant à la loge locale à laquelle ils appartiennent) leur permet de disposer d’un budget annuel de dix-sept millions d’euros et d’un siège digne d’une multinationale. Leur influence ne fait pas non plus de doute.
Et ce n’est pas tout. La GLNF, seule détentrice en France de la « régularité maçonnique », qu’accorde parcimonieusement la Grande loge unie d’Angleterre, est, de ce fait, la seule à pouvoir la transmettre par ricochet aux Grandes loges nationales qu’elle suscite dans les pays étrangers qui en sont dépourvus. Opération qu’elle ne s’est pas privée de faire dans nombre d’États de l’Afrique francophone où elle a parrainée la naissance de structures maçonniques qui sont maintenant étroitement contrôlées par les potentats locaux qui en sont habituellement les « Grands maîtres ». Tel est le cas d’Ali Bongo au Gabon, de Denis Sassou Nguesso au Congo, de Blaise Compaoré au Burkina Fasso ou de Faure Gnassingbé au Togo, ce qui fait que la GLNF y jouit d’une influence considérable qu’elle sait habilement monnayer.
Sarkozy préfère le Grand Orient
Tout cela explique sans peine que le grand maître de la Grande loge nationale française, François Stifani, qui ne se déplace qu’en Porsche Cayenne, soit toujours accompagné de gardes du corps, et qu’il ait fait acheter récemment, par son obédience, un appartement de 260 mètres carrés, avenue de Wagram à Paris, dans l’unique but de pouvoir y organiser discrètement des rencontres de qualité avec les grands de ce monde…
Cela explique aussi l’existence de son cabinet privé où figurent de hauts fonctionnaires qui exercent en parallèle une fonction similaire dans de grands ministères. Grâce à eux, la Grande loge nationale française est, selon son aveux même, en contact avec « plusieurs ministres, de hauts fonctionnaires, d’importantes autorités spirituelles et religieuses » auxquels elle entend servir de boîte à idée et mettre à leur disposition des « réflexions sur les fichiers, les spiritualités, le droit au logement des plus démunis, la lutte contre les exclusions, l’émergence des nouvelles religions, le communautarisme, l’intégration, etc. »
Dans la même logique, en février dernier, François Stifani, après avoir « rencontré différentes personnalités laïques et religieuses et recueilli leur avis », a remis à Nicolas Sarkozy, « en tant que grand maître de l’une des principales obédiences maçonniques françaises », un rapport sur l’organisation des musulmans de France qui préconise « la création d’une nouvelle instance non cultuelle, mais à caractère social et indépendante de toute puissance étrangère ».
Malheureusement pour François Stifani et ses amis, en maçonnerie comme en politique, Nicolas Sarkozy a décidé de pratiquer « l’ouverture à gauche ». Ce n’est pas par hasard qu’il a intégré dans son cercle rapproché Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient, ni que ses ministres s’abstiennent de manifester une trop grande proximité avec la GLNF en refusant de se rendre à ses commémoration alors qu’un tel ostracisme n’a jamais été pratiqué vis-à-vis du GO.
Aussi, la crise qui agite actuellement la Grande loge nationale française et qui fait les choux gras des gazettes, n’est pas comme on nous l’explique une crise de croissance ou une crise de management. Ce qui est en réalité reproché à François Stifani, ce n’est pas ses dépenses somptuaires, son ego surdéveloppé, ses manières tyranniques et son mépris des règles démocratiques. C’est plus simplement de ne pas avoir réussi à faire que obédience qu’il dirige joue dans la république sarkozienne le rôle du Grand Orient sous les IIIème et IVème républiques.
François Stifani n’a pas rempli son contrat, il n’a pas obtenu ce qu’on attendait de lui, il convient donc qu’il passe à la trappe et qu’il soit remplacé. Et, comme toujours, qui veut tuer son chien l’accuse de la rage…