Eh bien, François Hollande va devoir trouver un nouveau sujet de conversation avec Vladimir Poutine, vendredi. Le nouveau président de gauche (formatée atlantiste) n’avait pas exclu, voici 24 heures, de faire participer la France à une intervention militaire contre la Syrie, « comme en Libye », pourvu que celle-ci soit autorisée par l’ONU.
Mais le président français et BHL n’auront pas attendu longtemps la mise au point du meneur de jeu russe. Mardi soir, quelques dizaines de minutes après l’intervention de Hollande, comme pour calmer les excités occidentaux croyant leur heure revenue à la faveur du drame – toujours pas éclairci – de Houla, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Guennadi Gatilov a averti que la Russie ne laisserait pas le Conseil de sécurité autoriser une telle intervention : Moscou « est catégoriquement opposée à toute intervention extérieure dans le conflit syrien qui ne ferait qu’aggraver la situation avec des conséquences incalculables pour la Syrie et le reste de la région ».
Décidément, dans le monde où nos vivons, seul le bon sens est révolutionnaire ! La mise au point de Gatilov intervient trois jours avant la visite à Paris de Vladimir Poutine, que Hollande comptait bien convaincre de baisser la garde sur la Syrie et de troquer, en quelque sorte, Bachar al-Assad contre des promesses de garanties quant aux intérêts locaux russes.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Liu Weimin, a annoncé quasi-simultanément que Pékin s’opposerait, elle aussi, à toute intervention militaire, et que pour le reste, la Chine « ne soutient aucun changement forcé de régime ». Et Liu Weimin a donné une illustration concrète de cette position en indiquant qu’il n’était évidemment pas question pour le autorités de son pays d’expulser l’ambassadeur syrien à Pékin.
Nous sommes contents, mais pas vraiment surpris
Tout ceci à vrai dire n’est surprenant que pour les présentateurs illettrés et formatés des journaux d’ "information" français : nous avons écrit ici que la Russie et Chine n’avaient pas, depuis des mois, pris les positions que l’on sait sur la crise syrienne pour en changer subitement à cause d’une nouvelle offensive diplomatico-médiatique d’ampleur des bellicistes de l’Ouest. Sur la Syrie, Poutine joue une partie de la nouvelle crédibilité internationale russe, et la sienne propre. Il était donc totalement exclu qu’il « bouge » sur le sujet.
Du reste les interrogations formulées à haute voix par Sergueï Lavrov et d’autres pontes de la diplomatie russe sur les circonstances et les responsabilités des tueries de Houla constituaient déjà une indication que Moscou avait flairé sinon un montage, du moins une manipulation de grande ampleur de l’opinion internationale à des fins déstabilisatrices et bellicistes.
Certes, après Houla, la Russie, avec la Chine, avait accepté de signer une déclaration du Conseil de sécurité incriminant l’usage par le gouvernement syrien d’armes lourdes. Mais Guennadi Gatilov l’a bien précisé : il s’agissait juste d’envoyer au gouvernement syrien un « signal assez fort » pour qu’il modère autant que possible ses réactions militaires aux attaques des groupes armés. Cette déclaration votée à l’unanimité des 15 membres du Conseil « représente une réaction suffisante » pour reprendre les mots du haut-responsable russe.
François Hollande prend là sa première leçon de realpolitik. Comme son mentor Obama, il va devoir en rabattre. Bien sûr, le président français va essayer, avant Obama mais comme lui, de convaincre le président russe d’au moins lâcher Bachar, quitte à trouver une formule de gouvernement de transition assurant une représentation minimum de l’ancienne équipe dirigeante.
Mais, et là encore au risque de nous répéter, il est plus que douteux que Poutine se laisse convaincre : le départ forcé de Bachar signerait évidemment le début d’un processus de décomposition du pouvoir syrien, accéléré par tout ce que le pays compte de bandes armées islamistes. Ce serait la fin, dans un chaos sanglant, de la Syrie souveraine, peut-être très vite la prise du pouvoir par des factions qui considèrent la Russie comme une ennemie et vendraient le pays à la Turquie ou à l’OTAN.
C’est bien pourquoi tout ce qu’on a entendu depuis Houla ressort à l’intimidation verbale, aux manoeuvres obliques, mais ne peut se transformer en action diplomatique et militaire effective. François Hollande, comme Barack Obama, n’aura pas « sa » Libye – ni son Irak, lui qui a érigé François Mitterrand en modèle.