Alors que la crise chypriote a dominé l’actualité russe ces derniers jours, deux autres événements récents - la visite du nouveau chef de l’État chinois Xi Jinping en Russie (22-24 mars) et celle de Vladimir Poutine à Durban dans le cadre du sommet des BRICS (26-27 mars) – apportent un éclairage précieux sur les priorités diplomatiques de Moscou.
Officiellement au beau fixe, les relations russo-chinoises donnaient, depuis quelque temps, des signes d’essoufflement. Vu de Moscou, le « partenariat stratégique » avec Pékin paraissait moins intéressant qu’au cours des années 1990 et lors du premier mandat de Vladimir Poutine.
Le volume des échanges bilatéraux a certes considérablement augmenté, atteignant 80 milliards de dollars en 2012, mais leur structure est de plus en plus défavorable à la Russie. Aucun grand contrat d’armement n’a été signé depuis 2005, les exportations russes se concentrant désormais – comme en Europe – sur les matières premières.
Au plan politique, le renforcement de la présence chinoise en Asie centrale constitue un motif d’inquiétude au Kremlin. Côté chinois, on relève la réactivation de la coopération russo-vietnamienne (livraisons de sous-marins et d’avions de combats, construction d’une centrale nucléaire par Rosatom), le maintien de liens privilégiés avec New-Delhi et, plus récemment, les signes d’une possible ouverture japonaise sur le dossier des îles Kouriles.
Dans ce contexte où les non-dits pèsent lourd, la visite de Xi Jinping à Moscou a dissipé les doutes quant à la solidité de la relation russo-chinoise. Les discussions entre Gazprom et CNPC pour la livraison de gaz en provenance de Iakoutie et de Sibérie orientale devraient aboutir d’ici la fin de l’année. S’il se confirme, ce scénario marquera la première étape de la réorientation des exportations gazières russes vers l’Asie, sur fond de tensions croissantes entre Gazprom et la Commission européenne. La signature de gros contrats portant, entre autres, sur des chasseurs-bombardiers Sukhoï-35 est également attendue à brève échéance.
Moins médiatisé que la visite de Xi Jinping à Moscou, le déplacement de Vladimir Poutine à Durban est pourtant emblématique de tendances de fond dans la politique étrangère russe. La multipolarité que Moscou appelait de ses vœux dès la fin des années 1990 (à l’époque, le Premier ministre Evgueni Primakov évoquait un « triangle Russie-Inde-Chine ») est désormais une réalité. Signe des temps, le Kremlin a, fin mars, publié un document officiel précisant sa politique à l’égard des BRICS.
Plutôt prudente en ce qui concerne l’institutionnalisation de cet ensemble et la création d’une banque de développement, la Russie cherche plutôt, à ce stade, à utiliser cette enceinte multilatérale pour développer ses relations avec le Brésil et l’Afrique du sud. Sans surprise, les exportations d’armes et le nucléaire civil sont les deux leviers que Moscou entend actionner. Le renforcement des liens avec Brasilia est d’autant plus important que de sérieux doutes existent sur l’après-Chavez au Venezuela, pays sur lequel le Kremlin a beaucoup misé en Amérique du sud.
Les discussions Poutine-Zuma annoncent quant à elle une stratégie russe plus ambitieuse en Afrique. Parler de « retour » ou de « visite historique » serait abusif, les responsables russes s’étant en réalité réintéressés au continent dès 2006. De nombreux groupes industriels (Rusal, Renova, Rosneft, etc) y sont solidement implantés. Mikhaïl Marguelov, qui cumule les fonctions de président de la commission des affaires internationales du sénat russe et de représentant spécial du président russe pour l’Afrique, symbolise le nouvel engagement de Moscou.
Certes, pour l’heure, les échanges commerciaux russo-africains demeurent modestes. Mais la mise en œuvre des projets discutés par les présidents russe et sud-africain en marge du sommet de Durban (livraisons d’hélicoptères et d’avions de combat russes, coopération sur le futur moyen-courrier MS-21, éventuel octroi d’un crédit de plusieurs milliards d’euros pour la construction d’une centrale nucléaire par Rosatom) pourrait changer la donne (et, accessoirement, affecter les intérêts français).
Alors que l’Union européenne reste plongée dans le marasme économique et demeure dans l’ensemble sceptique sur l’hypothèse d’un véritable partenariat stratégique avec la Russie, cette dernière prend acte des nouveaux rapports de forces mondiaux et diversifie ses horizons.