On raisonne à tort en pensant que la défaite du président Zelensky à Donetsk et à Lougansk, à Kherson et Zaporijjia, puisse marquer la fin des combats. Face à la résistance que Moscou a rencontrée pour faire appliquer la résolution 2202 du Conseil de sécurité, le président Poutine a déclaré qu’il lui restait à libérer Odessa et à joindre la Transnistrie. C’est précisément ce que cherche le Pentagone depuis 2019. D’ores et déjà, il prépare une seconde manche en Moldavie. Non pas qu’il veuille défendre les Ukrainiens, puis les Moldaves, mais parce qu’il entend dépouiller ses propres alliés.
Les chiffres de l’Alliance atlantique, relayés par les agences de presse occidentales, permettent de penser que le peuple ukrainien est uni et résiste grâce aux armes occidentales. Cependant, ceux du Mossad, diffusés par le site turc Hürseda Haber attestent qu’ils sont sans rapport avec la réalité.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Pour avoir édité durant la guerre du Kosovo un bulletin quotidien relayant les dépêches des agences de presse occidentales croisées avec celles des agences de presse des Balkans, je n’en suis pas surpris. L’OTAN a une longue expérience du mensonge à ses concitoyens. Il ne s’agit pas ici d’exagérations, mais bien de mensonges éhontés. Les lecteurs plus âgés se souviennent qu’ils ont conquis le cœur de tous les Occidentaux, y compris de ceux qui les ont imaginés. À la fin de ce conflit, l’Alliance accepta généreusement de laisser les restes de l’armée serbe (on disait « yougoslave » à l’époque) se replier sous la protection de l’armée russe. C’est alors qu’à la stupéfaction de tous, on vit quantité de chars et d’avions sortir intacts de leurs abris souterrains.
Il n’est certes pas possible, durant une guerre, de savoir les choses avec précision sur un champ de bataille. Les armées elles-mêmes comptent leurs pertes, mais ignorent si les hommes manquants sont morts ou blessés, prisonniers ou en fuite. Les officiers doivent toujours décider dans le flou de la guerre, sans jamais disposer de statistiques précises comme il en existe en temps de paix.
Quoi qu’il en soit, tandis que les gouvernements savent tous que la Russie a gagné et qu’elle continuera à libérer la Novorossia jusqu’à la Transnistrie, certains font semblant de croire qu’elle va envahir la Moldavie comme elle l’a fait en Ukraine. Peu importe qu’à la dissolution de l’URSS, la Transnistrie se soit proclamée indépendante comme la Crimée. L’essentiel est de continuer à présenter la Russie comme une tyrannie conquérante qui dévaste tout sur son passage.
Aussi faut-il rappeler que, lorsque la Moldavie s’est proclamée indépendante, elle a reconnu nulles et non avenues les conséquences du Pacte germano-soviétique de 1939, notamment le rattachement de la Transnistrie à son entité politique [1]. Pourtant peu de temps après, elle l’a revendiquée comme son propre territoire. En juin 1992, le colonel Howard J.T. Steers, officier du renseignement militaire US et conseiller de l’Alliance atlantique, coordonna une opération militaire pour conquérir la Transnistrie. Pour cela, il ne se contenta pas de la petite armée moldave, il mobilisa l’armée roumaine et de nombreux prisonniers de droit commun roumains.
La Transnistrie était une petite vallée bénéficiant d’un micro-climat qui en avait fait une base secrète du complexe militaro-industriel soviétique. Elle était donc peuplée à la fois de ses habitants originels, mais aussi de nombreuses familles de scientifiques soviétiques. Elle était protégée par une petite base, celle de la 14e armée soviétique. Le président russe, Boris Eltsine, refusa de défendre la Transnistrie comme il refusa l’adhésion de la Crimée à la fédération de Russie. La 14e armée, désormais russe, plus d’un millier d’hommes, reçut l’ordre de ne pas intervenir. Mais des milliers de femmes transnistriennes assiégèrent la base militaire. Les soldats russes ne tirèrent pas contre elles, mais désobéirent aux ordres du président Eltsine et les laissèrent entrer. Elles s’emparèrent de 1 000 kalachnikovs, d’1,5 million de cartouches et de 1 300 grenades. C’est ce peuple en arme qui repoussa l’armée roumaine encadrée par le colonel Steers.
Cette défaite de l’Alliance atlantique n’a jamais été racontée en Europe. Il faut avoir été sur place pour la connaître [2]. Elle a si fortement frappé ceux qui l’ont vécue que certains ont changé de camp. Ce fut notamment le cas du chef de poste de la CIA, Harold James Nicholson, qui, dans les mois suivants, se mit au service du KGB russe, dont il devint un des plus importants informateurs.
La Transnistrie se dit aujourd’hui la seule héritière de l’Union soviétique dont elle conserve les meilleures pratiques, sans ses aspects autoritaires et bureaucratiques.
Lorsque la Rand Corporation a planifié l’actuelle guerre en Ukraine, elle a briefé les représentants au Congrès. C’était le 5 septembre 2019. Elle s’est appuyée sur deux rapports [3]. Elle y explique que l’objectif de l’opération doit être de provoquer la Russie pour qu’elle se déploie au-delà de ses frontières, alors qu’elle ne peut déjà pas les défendre. Il faut donc la contraindre à entrer en Ukraine, puis en Transnistrie.
Il faut comprendre ce que fait le Pentagone, non pas en regard de la situation imaginée par les agences de presse occidentales, mais des plans de la Rand Corporation, en l’occurrence une manche supplémentaire autour, non plus de la Novorossia, mais de la Transnistrie.
Le ministre de la Défense US, le général Lloyd Austin, continue à pressurer ses alliés pour qu’ils cèdent leurs armes et leurs munitions, jusqu’à ce qu’ils soient exsangues (et donc encore plus demandeurs de sa protection). Simultanément, il vient de les contraindre à accepter de modifier le fonctionnement de l’OTAN. Celle-ci peut désormais se transformer en une « coalition de volontaires » pour des opérations hors article 5 (c’est-à-dire ne répondant pas à une agression contre un de ses membres). Cela n’a rien de nouveau. C’était déjà le cas avec l’opération contre la Libye. À l’époque, les membres de l’Alliance qui s’opposaient à cette guerre avaient été tenus à l’écart, tandis que d’autres, comme le Qatar, y avaient été associés. Cette fois, l’OTAN agira sans avoir à violer ses propres statuts. Dans la pratique, cela veut dire que le Conseil atlantique a perdu tout pouvoir. Un Allié ne peut plus s’opposer à une entrée en guerre de l’OTAN, puisque les USA utiliseront quand-même les moyens de l’OTAN avec une coalition de volontaires.
La défaite de l’Ukraine, qui a déjà perdu le Donbass et quatre oblasts, ne signifie donc pas la fin de la guerre. Alors que le Kremlin a déjà expliqué qu’il lui restait à libérer Odessa et à effectuer ainsi le lien avec la Transnistrie, l’OTAN peaufine son discours. Il s’agit de créer la confusion entre la Transnistrie (dite « République moldave du Dniestr ») et la Moldavie. Puis de faire accroire que l’Ours russe a envahi cette dernière.