Un complot présumé contre l’ambassadeur d’Arabie Saoudite aux Etats-Unis, la publication d’un rapport de l’AIEA sur le programme nucléaire iranien. L’Iran avait disparu de l’actualité, la menace iranienne refait surface. Certains parlent déjà d’une intervention militaire, Obama en reste à des pressions renforcées.
Ancien de la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, professeur à Sciences-Po, Pierre Conesa est l’auteur de « La Fabrication de l’ennemi » ou comment tuer avec sa conscience pour soi. Il analyse cette « séquence » iranienne.
Marianne2 : Le président américain a appelé à un durcissement des sanctions contre Téhéran après l’annonce de la publication d’un rapport sévère sur le caractère militaire du programme nucléaire iranien. Que sait-on du l’état d’avancement du programme nucléaire iranien ?
Pierre Conesa : L’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique), comme les services de renseignement, font régulièrement des rapports sur l’état d’avancement du programme nucléaire iranien. C’est un coup à droite, un coup à gauche.
La seule chose dont on soit sur c’est que la Direction des relations extérieures de l’Union Européenne avait demandé à un organisme, l’Institut pour la Protection et la sécurité des citoyens, qui est le plus gros consommateur d’images satellites en Europe. La Direlex leur avait demandé de faire une évaluation du programme d’avancement nucléaire iranien à partir d’imageries satellitaires essentiellement commerciales.
Ils avaient réuni des experts du nucléaire pour leur demander leur avis. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est que quand il s’agit des services de renseignement, en général on vous dit « c’est très grave mais on ne peut pas vous dire pourquoi ».
Là ils étaient arrivés à la conclusion que tout le monde mentait aussi bien les Américains sur l’état d’avancement du projet que les Iraniens sur leurs besoins et leurs capacités militaires. Preuves à l’appui.
Marianne2 : Vous venez de publier un livre sur la Fabrication de l’ennemi*. Vous y insistez sur la capacité des démocraties comme des dictatures à instrumentaliser un péril extérieur pour « souder une nation, asseoir sa puissance, occuper son secteur militaro-industriel ».
Avec la tentative d’assassinat de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite aux Etats Unis et le rapport de l’AIEA qui fait l’objet de toutes les spéculations, et ne sortira que le 17 novembre, des éditorialistes français ont déjà parlé d’une intervention militaire, la présidente démocrate de la commission du renseignement au Sénat américain a déclaré que l’on allait au clash.
Est-ce que cela répond à une stratégie ?
Pierre Conesa : Cela fait des années qu’il y a une sorte d’escroquerie intellectuelle sur le programme nucléaire iranien. Elle se révèle avec le temps. Régulièrement on nous dit que le programme est sur le point d’aboutir.
J’ai commencé à m’y intéresser en 1992, on disait que cela allait aboutir en 1995, puis 1997, 2007, 2008, 2012 et maintenant 2015. Il y a là un phénomène mensonger générateur d’angoisse, de construction de la menace du côté des Occidentaux.
L’Iran s’adonne moins à la prolifération nucléaire que le Pakistan mais c’est Téhéran l’ennemi. Du côté iranien, il y a la volonté de se doter de l’arme nucléaire. Cela ne fait aucun doute, motivés qu’ils sont par l’idée qu’ils doivent décider de leur sécurité. Mais on en oublie toujours quelques paramètres. Posséder l’arme quand on n’a pas le vecteur porteur est un problème. L’Iran n’a pas de missiles intercontinentaux pour aller bombarder Washington.
L’autre question centrale est le concept d’emploi de cette arme. Si vous avez l’arme nucléaire et que vous n’avez qu’un seul coup à tirer, c’est-à-dire que vous n’avez pas de deuxième frappe avec des sous-marins lanceurs d’engins, vous ne pouvez pas utiliser votre arme pour déclencher un conflit. Vous ne pouvez l’utiliser que pour vous sanctuariser.
C’est le concept français, nous avons une arme nucléaire, nous n’allons pas l’utiliser pour attaquer mais si vous nous attaquez, nous l’utiliserons dans une logique de protection du territoire. En ce sens-là, nous sommes mal placés pour critiquer la position des Iraniens, car nous savons bien que l’Iran ne l’utilisera pas dans une démarche offensive. Pourquoi voulez-vous que l’Iran se sacrifie ?
Ce qui nous gêne, en revanche, c’est que nous ne pourrons plus intervenir en Iran à partir du moment où ils auront l’arme nucléaire. La dernière question, c’est l’hypocrisie des Occidentaux sur les pays qui violent le Traité de Non-Prolifération. L’Irak, l’Iran et la Corée du Nord avait signé le TNP donc, ils n’avaient pas le droit de faire la bombe.
En revanche, Israël, le Pakistan et l’Inde ne l’ont pas signé donc ils ont le droit. En raisonnant ainsi, vous poussez les pays à sortir du TNP.
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