La Russie de Poutine est-elle une démocratie ?
Marine Le Pen : Rien ne permet d’affirmer du point de vue constitutionnel qu’elle ne l’est pas. Il n’y a pas de parti unique que je sache et aucun analyste sérieux ne pourra affirmer que Vladimir Poutine ne jouit pas d’une solide légitimité populaire et qu’il ne dispose pas d’une solide majorité. Si vous lisez la presse russe vous verrez que le ton de la presse d’opposition y est bien plus libre et virulent à l’encontre de Poutine qu’elle ne l’est en France à l’égard de Sarkozy. Le problème que nous avons, par rapport à la Russie, est que notre perception est influencée par les représentations stratégiques que les réseaux idéologiques américains et européens, hostiles au national-pragmatisme russe, ont installées au cœur de nos médias dominants.
Approuveriez-vous un bombardement des sites nucléaires iraniens si les négociations échouaient ?
MLP : Bombarder un pays souverain qui ne vous a pas attaqué constitue une violation très grave du droit international. Nous avons toujours été les plus fervents soutiens du respect de la souveraineté des nations. Par ailleurs, qu’entend-on au juste par "sites nucléaires iraniens" ? Il n’existe, à ce jour, aucune preuve que les Iraniens conduisent un programme nucléaire autre que civil, et quand bien même ce serait le cas, ils ne seraient pas les premiers à le faire sans se préoccuper de ce que les "puissances nucléaires installées" en pensent. Que je sache, aucune nation disposant de l’arme atomique n’a jamais demandé l’autorisation à qui que ce soit, ni les États-Unis, ni la France, ni Israël, ni le Pakistan…. Faudra-t-il alors précipiter le monde dans une guerre dont nous ne maîtriserons pas l’ampleur parce que certains pays étrangers nous le demandent ?
Êtes-vous prête à reconnaître un État de Palestine proclamé unilatéralement ?
MLP : Oui. Nous défendons les peuples dans leur droit à l’existence souveraine et à leur sécurité. Israël a droit à un État, les Palestiniens aussi. Le mot "unilatéralement" est trompeur. Dans l’histoire du monde, aucun peuple n’a été installé par l’extérieur. Tous se sont pris en main et ont fait valoir leur droit. Ce que nous condamnons fermement, en revanche, c’est le terrorisme comme moyen d’obtention d’un but politique. Nous avons toujours été très clairs sur ce point. Tuer des civils innocents n’est pas compatible avec notre vision du combat politique. Malheureusement ce n’est pas l’apanage des terrorismes arabes ou islamiques puisque l’OTAN a beaucoup tué d’innocents en Serbie, en Irak, en Afghanistan, en Libye !
Jusqu’à quand l’armée française doit-elle rester en Afghanistan ?
MLP : Si je suis élue président de la République, nos troupes quitteront l’Afghanistan sans délai. Cette guerre était une erreur, nous n’avons cessé de le dire. Nos gouvernements ont sacrifié de nombreuses vies pour une guerre sans autre objectif que d’accompagner les Américains dans une aventure sans issue. Et nos dirigeants porteront longtemps sur leur conscience, s’ils en ont une, le fait d’avoir exposé nos soldats au sacrifice suprême sans que les intérêts vitaux de notre pays aient été en jeu. La France doit désormais concentrer ses efforts sur la défense de ses intérêts vitaux et de son influence dans le monde, non sur l’accompagnement de la géopolitique américaine.
Faut-il quitter le commandement intégré de l’Otan ?
MLP : Oui, il le faut et rapidement car l’OTAN est une alliance de la guerre froide, d’un monde bipolaire qui opposait Américains et Soviétiques. Nous sommes dans un monde multipolaire mais nous appartenons pourtant encore à une alliance d’un autre temps. Si je suis élue Président de la République, la France mettra ses dispositifs stratégiques en accord avec la géopolitique de son temps. À partir d’un cadre souverain, la France repensera ses partenariats stratégiques : Europe, Russie, périphérie méditerranéenne. Bien évidemment, toute cette reconfiguration de nos dispositifs stratégiques fera l’objet de discussions amicales avec nos partenaires actuels. Nous n’avons en aucun cas une approche agressive ou idéologique des problèmes. Le pragmatisme, porté par une vision géopolitique à la fois claire et volontariste, sera notre approche.
Recevrez-vous une fois présidente le dalaï-lama ?
MLP : Je ne vois pas pourquoi je ne recevrai pas le Dalaï Lama. La France est un pays libre et souverain qui reçoit qui elle veut.
Etes-vous favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ?
MLP : Non. L’Union européenne n’a de sens qu’en tant que club de pays européens, c’est-à-dire faisant partie de la même civilisation, la civilisation européenne, héritière tout à la fois de la Grèce antique, de Rome, de la Chrétienté et des idées modernes. La Turquie et le monde turcophone appartiennent à un autre ensemble géopolitique, qui fait l’interface avec les mondes arabes et persanophones. Oui à un partenariat stratégique fort avec la Turquie, mais pour cela il faudrait déjà commencer à se mêler de ce qui nous regarde et à ne pas mettre le nez du Parlement français dans l’histoire turco-arménienne ! Nos adversaires de l’UMPS ont décidément fait de la contradiction permanente un principe de gouvernement.
Comment mettre fin à la Françafrique ?
MLP : Ce système RPR-PS a véritablement corrompu notre politique africaine et par effet boomerang notre propre système politique. Au lieu d’encourager et d’aider les Africains les plus dignes de gouverner leur pays, nous avons privilégié de petits chefs de comptoir corruptibles à merci. Cette politique est une honte, et elle n’est hélas que la continuité logique de la manière dont nous avons abandonné l’Algérie. Nous n’avons cessé de cracher sur ceux qui aimaient sincèrement à la fois l’Afrique et la France. C’est le contraire qu’il faut faire. Respecter la souveraineté des pays d’Afrique francophone, aider le meilleur de leurs élites à gouverner, et construire ainsi dans la longue durée un partenariat équitable et durable. Ma présidence aidera les Africains à renforcer leur souveraineté, mettre en œuvre le développement et protéger leurs ressources stratégiques (pétrole, eau, richesses minérales).
Que peut-on faire en Syrie ? Faut-il armer l’opposition ?
MLP : Ce que le gouvernement français fait en Syrie est totalement irresponsable. Sa faute est doublée par l’expérience que nous avons du résultat de l’ingérence en Libye. En Syrie aujourd’hui, comme hier en Libye, la situation ne se résume pas à l’opposition d’un "dictateur face à son peuple". Plus profondément, elle est l’expression d’une guerre civile entre plusieurs composantes du pays. Comme en Libye, nous nous retrouvons du côté de ceux qui aspirent à une société islamique et nous affaiblissons ceux qui cherchaient, certes de manière autoritaire, à faire marcher leur pays vers la laïcité et la modernité. Pour moi, la place de la femme fait partie intégrante de la question démocratique, ce que semblent avoir oublié tous ces messieurs BHL, Juppé, Sarkozy et autres socialistes suiveurs. Je pense que ces processus autoritaires auraient fini par aboutir à une démocratie authentique. Seulement voilà, dans nos sociétés cette adolescence puérile et pressée qu’incarne M. Juppé, et qui sert en réalité de masque aux intérêts stratégiques inavouables, nous amène à briser les cycles historiques naturels et à ramener les pays arabes à l’âge de pierre. Ce fut hier le cas en Irak, c’est aujourd’hui sous Sarkozy le cas en Libye et en Syrie. Dans quelques années on demandera à ceux qui prônent l’ingérence s’ils ont bien fait d’être du côté du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
Doit-on élire le président de l’Union européenne au suffrage universel direct ?
MLP : Évidemment non. Nous défendons l’Europe des nations souveraines et nous voulons rendre le pouvoir politique aux peuples européens, or cette idée va à l’encontre de cela. Elle aggraverait encore la fracture entre les peuples européens et l’hyper structure artificielle que l’on a posée dessus. Et puis les gens voteraient comment ? Vous croyez que les arrières pensées nationales devant l’identité des candidats proposés ne joueraient pas un rôle déterminant ? La démographie des différentes nations aurait alors un impact déterminant. Nous aurions des phénomènes comparables à ce qui se passe en Irak où le président est chiite parce que la communauté majoritaire est chiite. Ou à l’inverse nous aurions une sorte de "candidat idéal" de consensus, issu d’une petite nation, qui ne gênerait personne, et surtout pas les Américains. Autant dire que nous pourrions dire adieu à toute idée "d’Europe puissance". Encore une fois, il faut repenser tout l’édifice européen à partir des nations : c’est la seule solution pour restaurer la géopolitique européenne mais aussi la véritable démocratie pour les Européens !