Dans Mohicans, publié aux éditions Julliard en novembre 2015, le journaliste Denis Robert, connu pour son travail sur Clearstream, raconte l’histoire d’une récupération. Celle de l’esprit bête et méchant d’Hara-Kiri et de l’âme du journal Charlie Hebdo. Entretien.
The Dissident : pourquoi avoir fait ce livre ?
Denis Robert : c’était important de raconter la véritable histoire de Charlie Hebdo et Hara-Kiri, tronquée par ceux qui en parlaient dans les médias. C’était presque un devoir d’en démontrer la falsification.
Selon vous, les auteurs de cette falsification sont l’ancien directeur de publication Philippe Val et l’avocat du journal Richard Malka…
C’est un roman shakespearien avec de vrais personnages : Cavanna, Choron, Malka, Val, qui raconte la France de ces trente dernières années. Charlie Hebdo a été porté par ses fondateurs Cavanna et Choron. En 1992, quand Philippe Val a pris le pouvoir, il en a fait tout autre chose. Il a exploité la brouille entre Choron et Cavanna et la relative faiblesse de Cavanna. La première partie est plus historique. Je raconte comment l’équipe de Hara-Kiri s’est battue contre la censure. C’est une enquête avec des allers et retours entre le présent et le passé.
Dans cette histoire complexe, vous évoquez dans le détail des manipulations juridiques. Quelles sont-elles ?
Après trois ans de bataille, entre 1992 et 1995, Philippe Val a concédé à Cavanna 0,44% sur les ventes du journal. C’est une somme ridicule et hallucinante eu égard à sa qualité. Il s’est retrouvé pigiste à 2000 euros par mois ! Charlie Hebdo a longtemps été une machine à faire du cash. Cavanna en était victime. C’est une mécanique fine. Sans la complicité de l’avocat Richard Malka, Philippe Val n’y serait pas parvenu. Il s’est ensuite servi de Charlie Hebdo comme d’un marchepied pour arriver à la tête de France Inter. J’ai cherché à avoir la position des personnes que je mets en cause. Les seules réponses que j’ai eues -d’ailleurs c’est pareil dans toutes les enquêtes avec des gens pas très nets- sont des courriers d’avocats et des menaces.
Pour être clair, vous précisez dans le livre que vous avez été confronté dans le passé avec Richard Malka qui défendait Clearstream…
Quand je fais une enquête, je mets de côté mon animosité ou ce que je pense. J’essaie d’être le plus précis et factuel possible. Chaque mot est pesé, vérifié, relu par l’éditeur. Dans un premier temps, tout le monde m’a déconseillé de faire ce livre. Même mon éditeur : « Ça va passer pour un règlement de comptes. C’est trop compliqué. Tu as autre chose à écrire… » J’ai été tellement scandalisé, au lendemain des attentats du 7 janvier, par la façon dont on a raconté l’histoire de Charlie Hebdo que j’y suis allé. J’ai commencé à trouver des documents notariés et je me suis dit : « C’est trop incroyable ! »
Quel est concrètement ce grand détournement que vous dénoncez ?
Richard Malka était à la fois l’avocat de Charlie Hebdo, de Philippe Val et de Cavanna dont les intérêts étaient antagonistes. Cavanna a été trahi par Richard Malka. Pour preuve, les courriers que je publie dans le livre. Choron ne voulait pas entendre parler de Charlie Hebdo avec l’équipe de Val. Il a déposé le titre à l’insu de Cavanna et des autres. Il était légitime en tant que directeur de publication. Choron étant interdit de gestion, il a cédé le titre à une société. Cette société a fait un procès à Val et aux éditions Rotative sur la paternité du titre. L’idée de Charlie vient de Choron. L’idée de Charlie Hebdo vient des deux. Les juges ont décidé, après deux procès, de confier le titre à Cavanna, sur la base des faux témoignages de Willem, Siné, Delfeil de Ton, Wolinski et Cabu. Lors du second procès, pour la paternité d’Hara-Kiri, Richard Malka s’est mal comporté. Pour Cavanna, Hara-Kiri c’était le plus important. C’était vraiment son bébé. Après avoir gagné le procès Richard Malka a écrit à Cavanna : « Je suis très heureux de te remettre Hara-Kiri. » Sauf que peu après il lui envoie un contrat avec cet argument : « Comme les éditions Rotative ont pris en charge ta défense il est logique que tu leur cèdes Hara-Kiri. » Cavanna a signé sans réaliser qu’il se dépossédait du titre !
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C’est troublant de voir que Malka, Val, et leur avocat Georges Kiejman, qui ont fait carrière en passant pour des champions de la liberté d’expression, ont tout fait pour empêcher la sortie de mon livre. Ils n’y ont pas réussi parce qu’on a résisté aux pressions. Val a écrit son bouquin pour contrer le mien. C’est une bouse, incroyable d’exhibitionnisme et de mensonge ! Quand on est sérieux, on ne peut pas y adhérer. Pourtant, il a été invité sur tous les plateaux. Ce qui est drôle, c’est que suite à mon passage à Groland, j’ai été invité à mon tour chez Taddéi, LCI… Il y a une morale. Mon livre a été réimprimé deux fois et marche assez bien. Pas le sien. Mais ce qui lui importe c’est qu’on ne parle pas du mien. Il a honte et il a raison !