On a lu attentivement les réflexions de Michel (Houellebecq) dans Le Figaro du 5 avril 2021. Comme c’est payant, on en a coupé deux tranches, délicatement, pour ne pas réveiller le service juridique. Michel parle de l’euthanasie, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse, c’est le passage sur la souffrance.
Proposition numéro 2 : personne n’a envie de souffrir. J’entends, de souffrir physiquement. La souffrance morale a ses charmes, on peut même en faire un matériau esthétique (et je ne m’en suis pas privé). La souffrance physique n’est rien d’autre qu’un enfer pur, dénué d’intérêt comme de sens, dont on ne peut tirer aucun enseignement. La vie a pu être sommairement (et faussement) décrite comme une recherche du plaisir ; elle est, bien plus sûrement, un évitement de la souffrance ; et à peu près tout le monde, placé devant une alternative entre une souffrance insoutenable et la mort, choisit la mort.
Proposition numéro 3, la plus importante : on peut éliminer la souffrance physique. Début du XIXe siècle : découverte de la morphine ; un grand nombre de molécules apparentées sont apparues depuis lors. Fin du XIXe siècle : redécouverte de l’hypnose ; demeure peu utilisée en France.
Libre à Michel de vouloir éliminer la souffrance dite inutile, mais nous, on sait qu’il y a deux souffrances. Pas la souffrance physique et la souffrance morale, non : la souffrance consentie et la souffrance non consentie. La nuance est énorme, beaucoup plus qu’entre souffrance physique et souffrance morale. La souffrance non consentie est dure, mais il faut hélas en passer par là. Et pour la supporter, il y a une technique : pratiquer la souffrance consentie, comme un sport, oui.
C’est l’explication des chiites qui se flagellent pour se rappeler la souffrance devant l’injustice. Et la résistance.
Aucune souffrance n’est gratuite
Ça a l’air inutile comme ça, mais pas du tout. Que font les sportifs, les champions ? Ils souffrent pour augmenter leur résistance... à la souffrance. Et à l’arrivée, c’est celui qui sait souffrir le plus qui gagne. Mais la gagne, ici, n’est pas le débat. Il s’agit d’accepter la souffrance pour tenir le coup face à l’ennemi, à l’oppression, comme dit le chiite dans l’interview.
Alors, la souffrance prend du sens, et l’incorporer (in corpore) – petit à petit, car d’un coup c’est la mort, l’overdose de souffrance –, rend plus fort. Personne n’aime souffrir, et pourtant, c’est la capacité de souffrir qui fait la différence.
Quand Johnny Cash chante Hurt, la force de sa chanson vient directement de ce qu’il a souffert, de ceux qu’ils a perdus, des conneries ou saloperies qu’il a pu faire et qu’il regrette (l’alcool, la seringue et leurs conséquences sur ses proches).
Même le Christ a dû faire des choses qu’il a regrettées, il n’a pas été parfait d’emblée, il s’est fabriqué. Peut-être qu’un jour il a engueulé un des apôtres (qui n’étaient pas tous des lumières) qui posait une question trop bête ou qui n’entravait pas une parabole...
On n’est pas parfaits, mais on peut se réparer, c’est le message du Christ, qui a dû se réparer tout seul car il n’est pas né parfait, du moins dans un milieu parfait (on sent que ça n’a pas été l’amour fou avec ses parents). « I am a forgiver », chante encore Johnny Cash dans Personal Jesus. Tout est cohérent.
Les vrais artistes, consciemment ou pas, recherchent la souffrance, qu’elle soit morale ou physique, pour en tirer ce jus créatif si rare, si demandé. Sans cela, on a de la variété bas de gamme, de la production désincarnée, sans un gramme d’émotion. Or, quelle chance !, la vie est un chemin de souffrances. Et c’est gratuit. On peut en récolter de partout. Les pauvres en ont à ne plus savoir qu’en faire, leur chance est là. Ensuite, la sublimer demande du travail, de la technique, de l’abnégation.
Quant à ceux qui ont les moyens d’éviter la souffrance, eh bien, tant pis pour eux, ils ont déjà leur récompense, comme dirait l’Autre.
Ceux qui tâtent de la pédale (sans moteur) savent combien coûte une montée, et on ne parle même pas de celle de l’Alpe d’Huez. Flash back : nous sommes le 19 juillet 1997, Marco Pantani s’échappe...
L’Alpe d’Huez, c’est 21 virages, 14 km dans le dur, 1100 mètres de déniv’. Pantani a explosé la montagne en 37 minutes, soit une vitesse moyenne record de 23 km/h. Essayez déjà sur du plat légèrement vallonné, de monter à 20 km/h de moyenne...
Les Wampas (des sous-Ramones de proximité) ont rendu hommage au Pirate.
Proposition : une star, c’est quelqu’un qui souffre beaucoup et qui arrive à changer sa souffrance en or (c’est une image, on ne parle pas de Gad Elmaleh). Autrement dit qui sublime sa souffrance, ça évitera les mauvaises interprétations.
Et curieusement, ce souffrant devient un guide pour les autres, une étoile dans le ciel. C’est pourquoi le Christ est la star absolue.