Il trouvait que le magazine pour hommes Playboy était ringard, alors il a inventé Hustler, où l’on ne montrait pas seulement de jolies files nues, mais aussi leur entrecuisse. L’industrie du porno peut toujours aller plus loin et, en 1974, les photos dans la presse spécialisée sont encore érotiques. Bientôt, ce sera l’avalanche. C’est à des Larry Flynt qu’on doit ce progrès, ou cette déchéance, tout dépend de quel côté de la barrière morale on se place.
Joseph Paul Franklin, lui, se plaçait plutôt du côté de la morale, et encore, c’est rien de le dire. Le 6 mars 1978, alors que son magazine explose les ventes, Larry se fait exploser la carcasse par un suprémaciste blanc, qui n’avait, selon la légende, pas apprécié une photo d’un Noir avec une Blanche. Franklin n’en était pas à son premier meurtre, même si Larry n’est pas mort ce jour-là – sauf ses jambes, il finira sa vie en fauteuil roulant –, car en cinq ans seulement, il sera reconnu coupable de 22 homicides.
Franklin sera exécuté pour l’ensemble de son œuvre, mais Larry aura un mot de pardon :
« Franklin a reçu une sentence de mort par la cour suprême du Missouri par injection le 20 novembre. J’ai toutes les raisons de me réjouir de cette décision, mais ce n’est pas le cas. J’ai passé de nombreuses années dans cette chaise roulante pour penser à cette question. À mon avis, la seule motivation derrière la peine de mort c’est la vengeance et non la justice. Et je pense foncièrement qu’un gouvernement qui interdit le meurtre parmi ses concitoyens ne devrait pas s’employer lui-même à tuer des gens. »
Cependant, Joseph Paul Franklin n’était pas son vrai nom. Le Monde précise : « L’assassin a adopté en 1976 le nom de Joseph Paul Franklin en hommage à deux hommes : Paul Joseph Goebbels, ministre de la propagande du Troisième Reich, et Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs américain. »
Franklin est un cas rare, une espèce très assumée de raciste, comme on n’en voit qu’en Amérique. En attendant la mort (dans le death row, le couloir de la mort), il a déclaré des choses relativement stupéfiantes :
« Purgeant plusieurs condamnations de prison à vie, Franklin a passé ses trente dernières années derrière les barreaux. Il a eu le temps de réfléchir à ses actes : "J’avais l’impression d’être en guerre. La survie de la race blanche était un devoir religieux." Il se compare à un soldat américain au Vietnam, un sniper. Ses ennemis étaient les juifs, les Noirs et spécialement "les couples interraciaux" précise la journaliste de CNN. "Ma mission a duré trois ans, comme celle de Jésus […] je me suis rendu compte qu’une fois que j’avais commencé à faire ça et montré comment le faire, d’autres suprématistes blancs ont voulu m’imiter, renchérit-il. Je ne vais pas brûler en enfer parce que j’ai servi le Seigneur. Ce sera le paradis pour moi, je suis un repenti". »
Disciple de Satan en chaise roulante
Avec un tel pedigree, la rencontre avec le pornocrate assumé Larry ne pouvait être que violente. L’Amérique offre, grâce au premier amendement qui permet de tout exprimer ou presque, un éventail d’idéologies qui va jusqu’aux plus radicales.
« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »
N’oublions pas le deuxième amendement, qui permet, lui, de prendre les armes :
« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé. »
Le mélange de ces deux autorisations, si elles sont comprises un peu de traviole, peut être dangereux, on l’a vu. Le grand public français a donc toutes les raisons de détester Franklin et d’applaudir Larry, ce héraut de la liberté. Justement, Le Monde titre :
Ce qui est faux : Larry ne défendait pas la liberté d’expression, il défendait son business, ses profits, au détriment de la morale publique. La liberté d’expression ne consiste pas à montrer des entrecuisses, aussi attirantes soient-elles. Il s’agit d’exhibition, et cela n’a rien à voir avec la liberté. On ne doit pas confondre liberté et licence. Depuis Larry, les choses ont bien changé : les barrages successifs ont cédé et le porno a tout envahi, jusqu’aux portables des collégiens sous la table en classe.
Dans Hustler, sont traités sous forme de dessins satiriques des sujets sensibles, comme le racisme, l’avortement, la pédophilie, la zoophilie ou encore la scatologie, critiquant en cela le puritanisme de l’Amérique. À ce sujet, Larry Flynt déclare : « Les cartoons étaient une façon très amusante de fournir du sens dans le débat social. […] Nous avons réussi à repousser les limites. Nous avons écrit l’Histoire. La parodie est désormais reconnue comme une forme de liberté de parole, elle est protégée par le premier amendement ! » (Wikipédia)
Larry se situait, en bon progressiste, dans le camp des démocrates, et il avait une dent contre Trump. C’est pourquoi, en 2017, il offre dix millions de dollars à qui trouverait des informations compromettantes sur le Président, une tentative d’impeachment sexuel.
Mais à part trois bimbos et deux hardeuses, on ne trouvera rien de très scandaleux dans le CV de Donald. En revanche, chez Clinton, que Larry a soutenu...
On doit à Larry l’invention des bars à hôtesses à moitié ou complètement à poil. Le Monde raconte les débuts de l’escroc (évidemment maqué par la mafia de l’Ohio) :
Né en 1942 dans un village déshérité du Kentucky, Larry Flynt s’enrôle à 15 ans dans l’armée grâce à un certificat de naissance contrefait. Il est démobilisé peu après et devient le roi de la combine. Il vend de l’alcool clandestinement, joue au poker. Avec quelques dollars de côté, il ouvre en 1965 un premier bar, puis un second et un troisième… Ces « Hustler Clubs », des boîtes miteuses où les hôtesses servent les clients entièrement nues, deviennent une institution dans l’Ohio.
Pornographie et contrôle social des hommes
Aujourd’hui, la pornocratie qui nous sert de régime doit beaucoup à Larry, mais il n’est pas le seul à avoir fait avancer la liberté d’expression, ou reculer la morale. D’autres – qui n’étaient pas très chrétiens – ont œuvré dans ce domaine pour prétendument libérer leurs compatriotes, plus sûrement pour leur tirer du fric et les rendre accros au sexe virtuel. Dans les années 60, c’était des magazines ; aujourd’hui, tout est sur écran. Larry est mort riche, à la tête d’un demi-milliard de dollars, il a exploité la frustration de l’Américain moyen qui fantasmait sur des salopes pendant que son épouse puritaine lui tapait sur les doigts à la moindre approche.
L’homme est ainsi fait – à la différence des animaux – qu’il a envie en permanence de s’accoupler, mais les interdits sociaux limitent ses ambitions. C’est pourquoi des fortunes se constituent sur l’exploitation de ce désir surnuméraire, et la majorité des hommes ne sait pas contrôler ses désirs. Le tantrisme est cette discipline asiatique qui prône justement le contrôle de soi et la retenue de l’épanchement de sa semence. La pornographie est donc un piège tendu à notre instinct, un piège grossier mais qui fonctionne. Le problème, c’est qu’il faut augmenter, à cause de la concurrence capitaliste permanente, les doses ou la stimulation. Et c’est là où le contrôle social peut mal tourner et se transformer en chaos social.
Hollywood, ce repère de tarés sexuels, adorait Larry