L’époque n’est plus aux grandioses coups d’État, mais aux petits coups en douce. Par une décision du 26 mars 2020, le Conseil constitutionnel, instance présidée par Laurent Fabius, chargée de vérifier la conformité de nos lois à la Constitution, a statué sur la « loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 », qui devrait très prochainement entrer en vigueur.
Ce texte, qui suspend de facto les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) en cours, n’a pas un caractère liberticide flagrant – moins, en tout cas, que la loi du 23 mars 2020 instaurant l’ « état d’urgence sanitaire », cette notion aussi juridiquement absurde que politiquement explicite. Mais c’est la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars qui contient le germe de futures atteintes à nos libertés. Se niche en effet dans cet arrêt une formule qui devrait retenir l’attention des spécialistes :
Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution.
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, la situation sanitaire serait telle qu’elle rendrait inutile de vérifier que les règles constitutionnelles de procédure ont été respectées par le gouvernement et la majorité. En somme, il faudrait leur faire confiance pour, « compte tenu des circonstances », appliquer scrupuleusement la Constitution, sans contrôle aucun ! Pourtant, même si les dispositions qui régissent la procédure parlementaire peuvent paraître formelles ou arides, elles attribuent à l’opposition, si fantoche soit-elle, les moyens de s’exprimer, de débattre et d’amender les textes, et ainsi de faire valoir des arguments contraires.
Les effets concrets de la décision du Conseil constitutionnel sont minimes en l’espèce car la loi organique déférée est relativement inoffensive. Mais, parce que le refus de l’institution de faire complètement son travail risque de devenir une sorte de précédent jurisprudentiel, il laisse présager de solutions plus franchement liberticides, au moment où le gouvernement est tenté de profiter du confinement spatial et mental des Français pour instaurer un état d’exception sanitaire.
Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi, dans les prochains jours, s’appuyer sur la situation exceptionnelle – dont les pouvoirs publics sont largement responsables, là est l’astuce ! – pour refuser de contrôler la conformité à la Constitution d’une loi supprimant certains des droits sociaux ou politiques les plus fondamentaux.
Ces coups de canif dans le contrat social, insignifiants mais répétés, ont le mérite de passer inaperçus. Le vrai tour de force de la dictature, comme du Diable, c’est de faire croire qu’elle n’existe pas.