Pincée sur un forum de dentistes, apparemment écrite par un tatoueur (Rouslan Toumaniantz), cette explication historico-économico-géopolitique du conflit syrien a l’avantage de la cohérence. Surtout, elle prend en compte le contentieux gazier entre le Qatar et l’Iran, qui est bien basé sur la poche de North Field ou Dome.
Dans ce conflit extrêmement complexe, se mélangent de nombreux déterminismes, à des niveaux d’organisation et d’importance divers : le facteur religieux ne doit pas être oublié, qui sous-tend l’opposition irano-saoudienne. Mais l’association trop rapide des Qataris et des Saoudiens est une erreur que commettent beaucoup d’observateurs de la situation proche-orientale : Doha et Ryad ne tirent pas toujours dans le même sens, et les Saoudiens ont plus d’une fois saboté le développement d’un gazoduc un peu trop qatari-centré. Et même si ces deux pétromonarchies sont défendues par la Ve Flotte américaine, leur diplomatie peut entrer en contact... pas forcément amical. De plus, les raisons de l’ingérence de la Russie dans cet incendie régional peuvent être comprises à plusieurs niveaux : soutien de la Syrie et de son régime pour l’ouverture sur la Méditerranée, surveillance du gourmand voisin turc qui commence à rêver d’un nouvel empire ottoman, coupure de l’axe islamiste qui touche déjà les ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale – qu’il pourrait embraser –, avec la question Turkmène, dont les mercenaires sont nombreux en Syrie dans les bataillons d’Al-Nosra et du Groupe État islamique…
Le conflit mondial syrien est un condensé de tous les appétits et de toutes les alliances actuels. Personne ne sait ce qui en sortira : guerre mondiale sur plusieurs axes (religion, économie, terrorisme), conflit permanent de moyenne intensité, ou paix impériale (entre Russes et Américains). Pourtant, la France a déjà commencé à souffrir d’une vraie fausse guerre qu’elle ne comprend pas. La situation politique intérieure en a été bouleversée. Le Premier ministre a pris le pouvoir sur le président de la République, avec tout ce que cela implique de soumission à l’axe américano-israélien, que le (théoriquement) second personnage de l’État ne cache même pas.
De l’autre côté de l’Atlantique, une campagne électorale décisive paralyse les velléités d’Obama : intervenir en force, ou contrôler la situation syrienne, si toutefois elle est contrôlable. Les Républicains, s’ils gagnent en novembre 2016, n’auront pas de scrupules d’appuyer sur tous les boutons rouges à disposition. Leur fonction est d’être arrimés ouvertement sur le lobby militaro-industriel, qui gouverne de manière plus ou moins visible depuis un demi-siècle la première puissance mondiale.
Encore une fois, dans cette région aux frontières mouvantes et à l’histoire agitée, la paix n’est pas gagnée entre États arabes, et force est de constater, encore une fois, qu’Israël, sans coup férir, est encore le grand gagnant de ce chaos. Il ne s’agit pas d’israélocentrisme, ni de paranoïa complotiste : on assiste à la destruction ou l’affaiblissement programmé de tous les États arabes voisins d’Israël. Israël est donc bien en train de gagner cette troisième guerre du Proche-Orient (après 1967 et 1973), car tous les coups jouent pour elle. Sauf si l’Iran, récemment blanchi économiquement, prend sa part dans le dépeçage de l’Irak et, éventuellement, de la Syrie. L’affrontement entre Iraniens et Israéliens ne sera alors peut-être plus aussi larvé et indirect qu’aujourd’hui.
En ce jour de Noël, qu’on soit chrétien ou pas, le monde entier souhaite la fin du conflit et la paix durable dans cette région meurtrie. Mais, comme toujours, les souhaits des peuples n’ont jamais conduit les choix des gouvernants en matière de politique étrangère et de guerre !
En 1971, une poche de gaz gigantesque a été découverte, dans le golfe persique, répartie à moitié entre le Qatar et l’Iran. Cette poche, les qataris l’ont nommé North Dome, et les Perses - ou Iraniens - l’ont nommée South Pars. Cette poche de gaz représente 20% des réserves naturelles de gaz du monde. Le Qatar a commencé les forages en 1988, pour passer, à partir de 1996, en phase de production et augmenter progressivement sa capacité de production, au fil des années. L’Iran, du fait du blocus économique qui le frappait, n’a pu commencer l’exploitation de ce champ que bien plus tard, mais rattrape depuis son retard.
De l’autre côté, schématiquement, l’Europe est un gigantesque consommateur de gaz qui ne produit pratiquement rien et doit tout acheter sur le marché international. Les trois grandes sources de gaz qui alimentent l’Europe sont l’Algérie, les champs de la Mer du Nord (exploités par le Royaume-Uni et la Norvège)... et la Russie. La Russie ayant réussi à nouer des liens proches avec l’Algérie, l’Europe vit donc dans une situation de dépendance stratégique permanente vis-à-vis d’une coupure toujours possible du gaz russe qui, si elle était également appliquée par l’Algérie, plongerait l’Europe dans une crise énergétique grave.
- Le président iranien Hassan Rohani et l’émir du Qatar Al Thani en 2013
La conjonction de ces deux facteurs, d’un côté un Qatar et un Iran producteurs massifs d’un gaz abondant, et de l’autre d’une Europe qui voudrait diversifier ses sources d’approvisionnement énergétiques, tout cela explique le rapprochement entre la France et le Qatar (mais aussi le relâchement du blocus iranien). Donc, à partir de 2007, un Qatar ayant des quantités immenses de gaz à fourguer a commencé à draguer l’État français, s’offrant club de foot, Coupe du Monde pour devenir populaire et... en substance, monter un projet de gazoduc direct, allant du Qatar, passant par l’Arabie saoudite, rejoignant la Turquie, puis rentrant en Europe par les Balkans.
Le seul problème... c’est qu’entre l’Arabie saoudite et la Turquie, il n’y a que deux pays, le premier étant l’Irak et le second... la Syrie. L’Irak étant en guerre et jugé totalement inadéquat pour y construire un gazoduc, les Qataris et les Saoudiens ont proposé, en 2009, à Bachar al-Assad de construire ce gazoduc sur son territoire. Bachar al-Assad étant allié de la Russie, la Russie lui fit refuser ce transit, puisque ce gaz qatari allait la priver de son arme stratégique contre l’Europe. Assad refusa donc, en conséquence de quoi, en 2011 le Qatar et l’Arabie saoudite consacrèrent quelques milliards d’euros à la création de milices en Syrie pour entamer un conflit contre Assad, dans l’espoir de le destituer, étant entendu que l’État qui prendrait sa place pourrait être islamiste ou n’importe quoi d’autre, la seule obligation qui lui incomberait, dès sa prise de pouvoir, se résumant à la construction de ce gazoduc.
Le Qatar et l’Arabie Saoudite financèrent ainsi al-Nosra, branche d’al-Qaïda en Syrie, avec la bénédiction d’Israël qui voyait d’un bon œil la chute d’al-Assad, qui ainsi arrêterait de financer le Hezbollah qui du coup n’aurait plus eu de financement pour continuer de tirer des roquettes sur Israël. Et la guerre civile en Syrie éclata, et... la guerre s’enlisa, pendant des mois, des années... En septembre 2013, excédés par le temps que prenait cette petite guerre coloniale, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni se décidèrent à envoyer une flotte de guerre pour appuyer les rebelles syriens et faire chuter Bachar et son régime. La Russie, qui ne l’entendait pas de cette oreille, envoya plusieurs navires de guerre s’interposer entre la côte syrienne et la coalition qui allait passer à l’attaque.
Il faut ici comprendre que la façon de faire la guerre des États-Unis est très monolithique, codifiée... lorsqu’ils passent à l’attaque, ils le font :
1) avec des missiles Tomahawk, qui permettent de détruire les radars à interférométrie et les radars passifs (ceux qui voient les avions furtifs),
2) ce qui permet ensuite d’envoyer l’aviation furtive détruire les défenses antiaériennes et les PC de commandement,
3) ce qui permet ensuite d’envoyer la vague de bombardiers classiques pour inonder les troupes terrestres ennemies de bombes.
Donc, toute la stratégie américaine est basée sur l’attaque première des Tomahawks. En septembre 2013, la flotte américaine, avant de lancer le gros de ses Tomahawks en a lancé deux, de « reconnaissance »... et ils ont eu la très désagréable surprise de les voir tomber dans l’eau, leurs missiles ayant été brouillés par les contre-mesures électroniques de la flottille russe. Donc, alors que la télé nous bombardait avec les explications sur l’attaque qui allait avoir lieu, que Hollande l’avait annoncée publiquement... eh bien l’Occident a dû replier ses billes et rentrer penaud à la maison, puisque l’attaque ne pouvait pas avoir lieu. Et cette guerre annoncée fut oubliée du jour au lendemain par nos médias.
La vengeance de l’Occident eu lieu quelques mois plus tard, en Ukraine. Une révolution fut organisée par les services secrets européens. Des barbouzes de la DGSE engagèrent quelques centaines de mercenaires pour organiser un coup d’État, qui eut bien lieu, le but premier étant de punir la Russie qui avait eu l’outrecuidance de croire qu’elle pouvait agir en tant que superpuissance. Et l’Ukraine tomba aux mains d’une junte pro-occidentale. La Russie réagit en récupérant la Crimée et en réussissant à utiliser le sentiment pro-russe d’une bonne moitié de l’Ukraine pour entamer là-bas une guerre civile.
Un avion de ligne abattu dans le ciel ukrainien permit à l’Europe d’inventer des sanctions économiques contre la Russie, ce qui permit de mettre à mal l’économie russe et de diminuer la valeur du rouble par deux face à l’Euro tout comme au dollar. Mais la Russie survécut sans trop de problèmes au choc économique. Pendant ce temps, la guerre continuait en Syrie... Al-Nosra avait accouché d’un monstre, l’État Islamique, la guerre de tranchées était de plus en plus défavorable au régime d’al-Assad...
L’Iran, considérant – à juste titre – que l’Arabie saoudite finançait l’EI aussi bien en Syrie qu’en Irak, l’Iran soutenant les pouvoirs centraux syrien et irakien et étant en conflit officieux avec l’Arabie saoudite sur deux fronts déjà, décida d’appuyer une révolte armée au Yémen contre l’Arabie saoudite. Ce conflit débuta en mars 2015. Ainsi donc, l’Iran et l’Arabie saoudite sont en conflit désormais sur trois fronts, en Syrie, en Irak et au Yémen... l’exploitation de la poche de gaz North Dome/South Pars étant évidemment le nœud du problème.
C’est ainsi que la Russie décida d’intervenir directement en Syrie, il y a deux mois, pour assister le pouvoir central, en faisant travailler essentiellement son aviation, sans troupes au sol. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, comme disait tonton Victor... Les troupes d’al-Assad reprenant le dessus, la construction qataro-arabo-turco-atlantiste tombait à l’eau. Qui plus est, l’État Islamique et al-Nosra ayant poussé le bouchon un peu plus loin que ce qui était attendu... il devenait de plus en plus difficile pour les « démocraties » occidentales de faire croire qu’elles étaient du côté du « bien »... et l’on ne peut que constater l’habileté avec laquelle Poutine a réussi à remporter la guerre médiatique en Occident.