Le quotidien, qui fête cette année ses 112 ans, traverse une période difficile. Ses finances sont au plus bas. De multiples appels ont été lancés pour que ses lecteurs le sauvent. Le journal n’en est pas à sa première crise, mais celle-ci pourrait bien être la dernière.
L’Humanité, le journal fondé en 1904 par Jean Jaurès, va mal. C’est son directeur actuel, Patrick Le Hyaric, qui l’a annoncé dans un article paru le 10 mars intitulé, sobrement, L’alerte : « Nous vous devons la vérité, l’Humanité est en danger ! […] L’Humanité ne tient que grâce à votre soutien. Et aujourd’hui, avouons-le, elle ne tient qu’à un fil. » Il y explique notamment que la survie du journal est nécessaire pour le pluralisme de la presse. Les pertes qu’accuse le titre s’élèvent à près de 50 centimes par exemplaire de L’Humanité vendu. Le journal est actuellement au bord du gouffre. Cet article est l’occasion de faire naître un slogan comprenant un hashtag, comme taillé pour l’ère des réseaux sociaux : #lHumanitecestnous.
Mais les problèmes financiers de l’Huma ne datent pas d’aujourd’hui. « C’est un journal qui vit toujours dans un déséquilibre/équilibre difficile, explique Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français (PCF) et ancien directeur de la rédaction du journal. Il y a des passages plus critiques que d’autres. »
En 2013, l’État annule une dette que le journal doit au Trésor. Le quotidien avait contracté un prêt auprès du fonds de développement économique et social en 2002. À l’époque il était en cessation de paiement. La vente à l’État en 2010 de son siège, un bâtiment massif imaginé par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, pour 12 millions d’euros, n’avait pas suffi à le sortir d’affaire. Lors de son invitation à l’Instant M sur France Inter, Patrick Apel-Muller, directeur de la rédaction a fait le bilan :
« Nous avons limité [les] pertes notamment au prix de mesures assez sévères sur notre fonctionnement mais comme tous les autres quotidiens français nous perdons de l’argent dans notre exploitation. La différence c’est que nous n’avons pas des actionnaires du CAC 40 qui soit rachètent le journal, soit le recapitalisent. Nous n’avons pas non plus la publicité à laquelle nos lecteurs auraient droit »
L’émission parle de L’Humanité à partir de 5’50 :
Pas d’actionnaires extérieurs
Il n’y a aujourd’hui plus d’actionnaires extérieurs dans le capital du journal. Par le passé, la Caisse d’épargne et même Bouygues se sont retrouvés à mettre de l’argent dans le quotidien. Contrairement à d’autres titres de la presse quotidienne nationale comme Le Monde, le journal ne peut donc pas compter sur des actionnaires puissants qui peuvent mettre la main à la poche. Lors de son interview par Sonia Devillers, Patrick Apel-Muller a insisté sur le fait que le journal n’accepterait pas l’argent d’actionnaires qui souhaiteraient intervenir dans la ligne éditoriale. « En 1920, Anatole France explique qu’il manque même les chandelles pour écrire » ajoute Grégory Marin, ancien délégué syndical à l’Humanité. « Il y a à l’Huma un déficit structurel comme dans le reste de la presse. Il faut avoir un actionnaire qui peut mettre de l’argent régulièrement ou alors compter sur des recettes alternatives, ce qui n’est pas notre cas. »
- La une du 6 mars 1953
De possibles erreurs stratégiques
Certains pointent un problème stratégique, un manque d’efforts sur le web. L’Humanité a été pourtant été le premier quotidien national à se doter d’un site internet. Mais aujourd’hui, il est à la peine si on le compare à celui d’autres grands journaux. « On était censé être passé au bimédia il y a trois ans. Mais la rédaction a été assez peu associée à cette décision. Ce fut un échec. Aujourd’hui la stratégie est peu claire », confie une personne employée au journal.