La présentation du dossier (un dossier en douze articles, rédigé par un certain « Marcuss » qu’on imagine fasciné et peu entreprenant) :
Pendant 6 mois, je me suis plongé dans les écrits de la manosphère (MGTOW, Incel, Zemmour, Soral, etc.), pour analyser les complémentarités et les divergences idéologiques. Alors que l’antiféminisme gagne en puissance tout en se radicalisant, il est indispensable de montrer sa dangerosité pour faire cesser le déni.
La présentation de l’article sur « Le masculinisme d’Alain Soral » :
Si Alain Soral est connu pour son antisémitisme et son conspirationnisme, peu se souviennent qu’il s’est fait connaître par son antiféminisme. En effet, il a construit une grille de lecture des rapports sociaux de sexe dans laquelle la phallocratie, l’homophobie et l’apologie des violences sexuelles sont omniprésentes. Cet article décrypte sa pensée masculiniste à travers ses textes de références.
Plan de l’article
L’infériorité naturelle de la femme
La féminisation est un complot des dominants
Apologie des violences sexuelles
La nécessité de l’homophobie
Conclusion sur le masculinisme soralien
Introduction
Le masculinisme d’Alain Soral est une référence en France. Entre la fin des années 90 et le milieu des années 2000, ses différents ouvrages et passages télévisuels vont faire de lui un pionnier de l’antiféminisme français. Il est donc indispensable de revenir sur son système de pensée, certes misogyne et homophobe, mais relativement complexe et particulier, notamment par l’utilisation massive d’un imaginaire psychanalytique.
1. L’infériorité naturelle de la femme
L’essentialisation, entre le biologique et la psychanalyse
La justification des rapports de domination sexués – et ses moyens de reproduction – s’organisent idéologiquement autour de l’essentialisation. En d’autres termes, on attribue une nature universelle et intemporelle aux femmes en fonction de certains critères, tout en déniant les constructions historiques, les contextes socio-économiques et l’ensemble des rapports sociaux. Alain Soral s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Il a construit une grille de lecture essentialisante autour de deux déterminations, un ordre biologique et un ordre psychique, qui expliquerait la prétendue infériorité naturelle de la femme.
Dans un premier temps, le masculiniste Soral explique qu’il faut comprendre « la femme » à partir de son corps. En effet, l’esprit féminin penserait d’abord à reconduire sa fonction biologique caractérisée par la maternité. Proche de la nature, son aspiration intérieure serait donc de se reproduire avec un homme pour « remplir ce vide intérieur et concret » (la vulve) et accomplir son destin biologique. [1] [2]
Ainsi, la femme serait dirigée par son corps, lui-même conditionné à un destin biologique (maternité), qui produirait en partie leurs aspirations profondes et leurs parcours.
La deuxième détermination est liée à sa relation triangulaire œdipienne. [3] Pour cerner totalement l’esprit féminin, il faudrait comprendre comment l’œdipe joue en tant que structure, l’accomplissement ou le refus de la féminité commandée par le corps, c’est-à-dire le destin biologique de la femme (maternité). Mais tout d’abord, il faut distinguer la différence entre l’œdipe masculin et féminin, puisque tous deux développeraient des structures différentes de représentations psychique. [4] Soral utilise un imaginaire psychanalytique pour expliquer cette différenciation que je vais expliquer ci-dessous.
Ainsi, chez le garçon, la relation du nourrisson à sa mère est un univers clos auquel rien ne manque et qui ignorent tout du reste du monde. L’entrée du père met fin à cette pure intimité en s’opposant à la toute-puissance maternelle. Le père fait entrer l’enfant dans l’ordre du monde puisqu’il représente l’initiation à la loi, au monde de l’effort, du mérite et de la morale. [5]
Puis, pour sortir de l’œdipe, le garçon doit passer par le meurtre du père, c’est-à-dire par la découverte de l’effort pour devenir plus fort que lui afin symboliquement de conquérir sa mère, qui se traduit dans la réalité concrète par conquête du monde et du travail. [6]
Le meurtre du père génère un ordre des représentations hiérarchisés qui structure l’esprit : une catégorie mentale du psychologico-affectif (règne maternel du pur amour et de la rivalité) mais soumise à la catégorie mentale de l’économico-social (règne concret symbolique du père, de l’effort, du mérite, du travail, du projet et de la communauté). [7]
En revanche, la fille ne dispose pas de ces deux catégories mentales qui structurent son esprit. En effet, dans un premier temps la petite fille n’a pas ce premier amour originel avec la mère produisant, une meilleure acceptation de la séparation favorisée par le père. [8]
Cet œdipe inversé ne provoque pas de meurtre du père puisqu’elle ressent des désirs incestueux pour ce dernier. La petite fille en reste proche et son amour pour lui se transforme en projet : le travail de la séduction. Ainsi, par sa structuration œdipienne, l’esprit féminin n’a qu’un seul ordre de représentation, qu’une seule catégorie mentale : le tout psychologico-affectif. [9] En conséquence, les femmes ne pourraient appréhender les phénomènes humains et socio-économiques qu’à partir d’explications affectives et psychologiques. [10]
En d’autres termes, les deux déterminations qui construisent l’infériorité des femmes pour Soral reposent d’une part sur un ordre biologique à partir de son corps, qui conditionne la femme à un destin naturel et immuable (maternité), d’autre part sur un ordre mental, provoquée par la constitution de l’oedipe qui soumet son esprit au sentimentalisme.
La « bonne nature » des femmes
Pour Soral, les représentations œdipiennes à tendance fonctionnelles (positives) permettent à la fille d’accomplir dans le monde son destin biologico-organique (maternité, maternage). La catégorie psychologico-affective bien constituée structure sa relation aux autres et lui permet de suivre les aspirations biologiques et naturelles de son propre corps. Ce n’est pas le cas des représentations œdipiennes à tendance dysfonctionnelles où des accidents œdipiens (mère abusive ou père absent) s’opposent à l’aspiration naturelle du corps féminin par une perturbation de sa fonction biologique et objective (maternité), dont l’anorexique, l’homosexuelle et la féministe en seraient les représentations. [11] Cette grille de lecture misogyne et homophobe permet à Soral d’affirmer que le féminisme est une « pathologie psychologique et sociale ». [12]
L’inaptitude des femmes à la politique et à la culture
Après avoir construit sa théorie de la double détermination, Soral peut justifier toutes les inégalités entre les sexes. Par exemple, le fait que les femmes doivent rester au foyer pour se concentrer sur les aspirations biologiques de leur corps : l’enfantement, le maternage, la gestion du foyer etc. Par ailleurs, la femme serait inapte à l’activité intellectuelle et politique puisque celles-ci ont besoin d’une virilité intellectuelle. Or, la femme, avec sa seule catégorie mentale du psychologico-affectif, serait incapable à toute analyse en dehors du sentimentaliste et de l’émotionnalisme : la femme n’est pas apte à penser la politique, au social, au conflit, au travail, aux explications socio-économiques, à l’analyse autre que la psychologie. Pire, elle explique les mouvements sociaux par les seuls « humeurs personnelles ». [13]
Dans cette même dynamique, la création culturelle – poétique, philosophique, littéraire, mathématique, etc. –, ne pourrait être conçue en dehors de toute configuration masculine. En effet, la femme serait, par la constitution inférieure de son esprit, dans une stérilité profonde à produire de la culture : « Le premier ennemi de la création culturelle féminine n’est pas l’homme, comme le prétendent les féministes, mais la femme elle-même. » [14] Elle ne serait vouée qu’à créer de la culture « secondaire », sans aucune pensée politique et sociale, où seule la psychologie et l’affectivité dominent : les romans sentimentaux, la comédie, la danse, etc.. Pour Soral, tous ces produits faussement culturels sont destinés aux femmes et aux « tapettes, à différencier de l’homme » [15], et répondraient à deux désirs profonds féminins, exercer sa séduction et se faire prendre. [16]
Tout ce travail d’essentialisation des femmes et d’homophobie permet à Soral de justifier la hiérarchie sexuelle et l’ensemble des inégalités et des discriminations qui en découlent. Par ailleurs, l’utilisation massive d’un imaginaire psychanalytique orthodoxe lui permet d’avoir un crédit de « scientificité » pour naturaliser la domination masculine, à partir d’une prétendue double détermination biologique et psychique qui définirait le destin immuable et universel de toutes les femmes.
La féminisation est un complot des dominants
L’une des thèses principales de Soral est que la féminisation de la société est un complot organisé par les dominants pour soumettre la société à leurs intérêts. La femme, par sa structuration psychique (le psychologico-affectif), serait une figure soumise à tous les pouvoirs dominants. En l’absence de la seconde catégorie mentale qu’est l’économico-social (détenue uniquement par les hommes, leur permettant de comprendre le monde socialement et économiquement), la femme ne peut accéder au jugement moral et à la raison. [17]
La seule catégorie psychologico-affective des femmes « conduit plus tard l’esprit féminin à ressentir l’ordre dominant comme indiscutable et indépassable ». [18] Ainsi, les dominants auraient donc imposer l’esprit féminin à toute la société : au travail (tertiarisation), à la famille (absence d’autorité du père et suppression de la puissance paternelle), à la politique, au droit, etc., c’est-à-dire à tous les champs de contestation possibles pour empêcher tout conflit et maintenir leurs intérêts économiques et financiers : « La féminisation constituant pour ceux qui règnent sous la social-démocratie néo-libérale un indéniable facteur de profit et d’obéissance. » [19]
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Redécouvrir la finesse du réel (loin des fantasmes de certains)
avec les coffrets de Noël Kontre Kulture :
À revoir : le mythique C’est mon choix sur le machisme d’Alain Soral (2000) !
Revoir également : Alain Soral face à Roselyne Bachelot (1999) sur le plateau de Tout le monde en parle