Récent signataire du manifeste des 250 sionistes contre la France, collaborateur de BHL, militant de la LICRA, du MRAP et de la LDH, auteur chez Ring (la maison d’édition pro-sioniste qui collectionne les agents du choc des civilisations), spécialiste (uniquement reconnu par le CRIF et la DILCRAH) de Louis-Ferdinand Céline et des théories du complot, Pierre-André Taguieff vient de publier aux éditions Fayard Judéophobie, la dernière vague. Un ouvrage dans lequel le néoconservateur (ce membre du Cercle de l’Oratoire avait notamment appelé à la guerre en Irak en 2003) analyse « le conspirationnisme, cette maladie en pleine recrudescence ». C’est grave docteur ?
Pour délivrer son terrible diagnostic (qui consiste à mettre toute méfiance populaire envers les élites, la finance internationale, la mondialisation libérale, le communautarisme et le sionisme dans la case « adepte du complot judéo-maçonnique »), l’ancien militant d’extrême gauche anarcho-situationniste fasciné par le fascisme, la Nouvelle Droite et le Front national, et éternellement lié par son ex-femme à la communauté yiddish, a bénéficié d’une (très) longue interview (menée par l’ultra-sioniste adepte du complot islamo-gauchiste Alexis Lacroix) dans les colonnes de L’Express , ce magazine d’actualité qui se présente comme « atlantiste, moderniste, favorable à l’économie de marché et au projet européen ». Nous ne reviendrons pas sur le fait que L’Express est détenu par l’entrepreneur franco-israélien Patrick Drahi et bénéficie de subventions de la part de l’État français, ce serait automatiquement sombrer dans la « démagogie » et le « complotisme national-populiste » :
« Le nouvel esprit anticapitaliste, de style populiste car antisystème et anti-élites, est ici dans son élément. Il se traduit notamment par la croyance, fort répandue, qu’il existe un "parti médiatique" au service d’une "Caste" ou d’une "oligarchie" mondialiste, voire d’un "impérialisme". »
« La passion du dévoilement et de la dénonciation des puissances occultes est commune aux esprits complotistes et aux individus sensibles à cette forme moderne et contemporaine de démagogie qu’on nomme, à tort ou à raison, populisme. Je le définis comme (...) une sacralisation du peuple, paré de toutes les vertus, censé être trompé en permanence par les élites cyniques et corrompues. Un peuple intrinsèquement bon, victime innocente de "ceux d’en haut". Cette vision d’une société duale et conflictuelle implique une centration sur la souveraineté populaire et une indifférence au pluralisme ainsi qu’à l’État de droit. D’où cette caractérisation paradoxale : l’idéal politique du populisme est un hyperdémocratisme autoritaire. Car si le peuple a toujours raison, pour ceux qui parlent ou gouvernent en son nom, toute opposition devient criminelle. »
« Il s’agit de complots "d’en haut", attribués aux puissants ou aux dominants, en particulier aux élites dirigeantes et aux États, mais aussi de complots supposés venir d’ailleurs, attribués à des groupes internationaux ou à des puissances transnationales visant à imposer leur volonté aux États-nations, à rendre ces derniers dépendants, voire à les dissoudre dans des entités plus vastes. »
Après avoir décortiqué les ressorts psychologiques et les mécanismes complexes du complotisme, le lénifiant Taguieff s’attaque aux « formes contemporaines des "Protocoles des Sages de Sion" ». Au menu : critique de la mondialisation, israélophobie, auteurs catholiques traditionnels, prêches musulmans et pensée d’Alain Soral !
« En France, l’agitateur antijuif Alain Soral ne cesse de faire des variations sur les thèmes conspirationnistes dérivés du célèbre faux. Ennemi déclaré de l’"histoire officielle" diffusée par "l’Empire", Soral lui oppose sa propre vision du monde, centrée sur la dénonciation de la "domination juive", la domination de "cette communauté juive organisée internationale qui règne aujourd’hui sur le monde occidental", expression de la "montée" du "capitalisme financier". Et de s’écrier le 14 mars 2018 devant la XVIIe chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris :
"Le judaïsme contemporain, judaïsme talmudo-sioniste, est bien une religion de haine, belliqueuse et raciste. L’État d’Israël en est la démonstration, la réalisation pratique. (...) Dénonçons ces fanatiques racistes et dominateurs. Assez de la tyrannie de la minorité ! De cette minorité qui, pour continuer à régner, pousse à la haine toutes les minorités derrière elle : féministes, jeunes, gays, immigrés... conduisant ce pays au chaos !" Soral semble vraiment croire au message diffusé par les Protocoles : pour lui, les Sages de Sion dominent le monde. Mais Soral n’est que l’un des innombrables propagateurs professionnels, sur Internet, de la vision complotiste véhiculée par les Protocoles. »
« Dans les pays arabo-musulmans, les prêches du vendredi se réfèrent souvent aux Protocoles ou s’en inspirent pour dénoncer les méfaits des Juifs qui "dirigent l’Amérique" et donc le monde (puisque "l’Amérique dirige le monde") et orchestrent la désinformation au niveau mondial. »
« L’israélophobie n’est que la pointe visible de l’antisionisme qui, dans ses formes radicales, a pour objectif la destruction de l’État juif. »
Se sentant obligé d’évoquer la droite nationale, pourtant largement passée sous contrôle (à l’image de l’encadrement de Marine Le Pen par la LDJ lors de la marche blanche pour Mireille Knoll), Taguieff s’en prend au résistant Jean-Marie Le Pen :
« La dénonciation euphémisée du "complot judéo-maçonnique" s’opère à travers la mise en cause de "lobbies" composant le grand "lobby mondialiste". Le 11 août 1989, interviewé dans le quotidien Présent (dirigé par Jean Madiran), Jean-Marie Le Pen dénonce "les forces qui visent à établir une idéologie mondialiste" et désigne notamment "la Maçonnerie", "la Trilatérale" et "l’internationale juive" : "Les grandes internationales, comme l’internationale juive, jouent un rôle non négligeable dans la création de cet esprit antinational. Je dirais qu’il est presque naturel que des forces structurellement, fondamentalement internationales se heurtent aux intérêts nationaux." Pour Le Pen, l’ennemi occulte de la nation française est par nature international. Une brochure publiée en janvier 1990 par le journal Présent porte un titre classiquement conspirationniste : Ce que l’on vous cache. Largement diffusée et plusieurs fois rééditée, elle est consacrée à la dénonciation du B’nai B’rith, association érigée en "lobby judéo-maçonnique" censé diriger la politique française selon Le Pen qui déclarait à propos des partis au pouvoir (la "bande des quatre") : "Ils défèrent aux ordres du B’nai B’rith". La surestimation du pouvoir de l’ennemi fantasmé est l’un des traits de la pensée complotiste. »
Mais le verdict que tout le monde attend, celui qui fait trembler le Système, concerne l’équilibriste Jean-Luc Mélenchon, représentant de ce populisme de gauche aux potentialités de révolte bien réelles en période de crise sociale et de violences néolibérales. Alors Jean-Luc, complotiste judéophobe ou non ?
« On ne saurait s’étonner qu’un tribun du peuple aussi éloquent que Jean-Luc Mélenchon, pressé de parvenir au pouvoir, puisse recourir aux croyances complotistes qui marchent. À propos de tout événement, il raconte des histoires qui monnayent un seul grand récit, lequel met en scène un monstre à peine nommable, quelque chose comme un vampire ubiquiste à visage mondialiste voué à sucer le sang des peuples et en particulier celui du peuple français. Il se situe ainsi dans le registre victimaire, sachant que la croyance au mythe du peuple-victime est largement partagée et suscite indignation et colère, haine et ressentiment, passions mobilisatrices. Un démagogue habile peut être intelligent et cultivé. C’est le cas du leader de La France insoumise. Étant dépourvu de la faculté de sonder les âmes pour y dénicher les convictions profondes, je me contenterai d’une hypothèse, celle d’un certain machiavélisme du tribun : avec une bonne dose de cynisme, Mélenchon, jouant son rôle de "dissident", adapte son discours aux valeurs et aux attentes de son auditoire, rassemblant tous ceux qui se montrent résolument incrédules face aux promesses de la "mondialisation heureuse" passant par la "start-up nation". Mais, en voulant séduire à tout prix cette majorité potentielle, il prend le risque de les décevoir pour apparaître comme simplement rusé et trompeur. Je ne crois pas qu’il adhère vraiment à ses énoncés complotistes. Il semble ne les solliciter que pour la galerie. »
Ouf ! Mélenchon est sauvé. Pour l’instant, le leader de La France insoumise n’est qu’un démagogue cynique. Mais gare à lui !
« Le leader de La France insoumise a dénoncé avec virulence le CRIF comme une "secte communautariste" coupable d’une "allégeance de principe à un gouvernement étranger et à sa politique". On ne voit pas, sur ce thème, ce qui le distingue d’un Dieudonné ou d’un Soral. »
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, l’inquiétude est toujours la même : voir Mélenchon céder aux aspirations d’union sacrée du peuple. La réconciliation nationale dont Alain Soral et E&R sont l’incarnation est décidément le pire cauchemar de certains...
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