Le pouvoir, qui a besoin d’entretenir une menace permanente, a décidé de remplacer la menace djihadiste par la menace d’ultradroite. Il faut alors trouver des coupables, si possible pas trop abrutis, fomentant un complot, si possible pas trop grotesque. Mais c’est compliqué : les vrais conspirateurs sont malins. En revanche, pour les complots grotesques fomentés par des abrutis, rien de plus facile : il n’y a qu’à se baisser et faire son marché sur les RS, surveillés et intoxiqués en profondeur, où les excités du passage à l’acte en paroles et à ciel ouvert foisonnent.
On cueille les gros pigeons quand ils sont mûrs, c’est-à-dire quand ils commencent à parler armes, Élysée, Macron. Le piège est en place, les idiots utiles ne courent pas, ils volent. Une fois piégés, s’organise, pour la galerie, le procès ultramédiatisé des complotistes d’ultradroite (CUD) devant le PNAT (le parquet national antiterroriste, sans blague).
C’est exactement ce qui est arrivé aux Barjols, un groupe de comploteurs anti-Macron sur Facebook, le RS le moins discret. Ils parlaient d’éliminer le Président. Ils vont servir d’exemple au peuple.
Delphine T. représentait, pour les Barjols, une recrue de choix. Ancienne commandante dans l’armée, ex-officier de la DGSI, elle avait de sacrées références. Et des ambitions à la hauteur pour le groupe accusé d’avoir voulu, en 2018, assassiner le chef de l’État, renverser le gouvernement, enlever des députés, attaquer des mosquées, éliminer le maire de La Mure (Isère) parce qu’il voulait accueillir des migrants. (Le Figaro)
Cette Delphine, qui se faisait passer pour un membre du renseignement militaire, n’était qu’une simple secrétaire dans l’armée, et mal notée, notamment à cause de ses talents d’affabulatrice. L’enquête a montré qu’elle était « adepte d’un complotisme à large spectre », à savoir antivax, antigouv et anti-migrants.
Écraser une mouche avec un tank
Le procès à la XVIe chambre du tribunal correctionnel de Paris commence le 17 janvier 2023. Les 13 prévenus font honte à l’accusation et aux journalistes présents : ils sont plus loufoques que réellement menaçants. L’accusation va avoir du mal à les transformer en menace mortelle pour la République. Leur modus operandi est si glandilleux, par exemple avec ce canon électromagnétique qui tire à 350 km, que le procès se retourne contre le pouvoir. Même Le Figaro en rigole...
La presse les présente comme des « militants d’extrême droite », on essaye même de les affilier aux Gilets jaunes, mais aucun n’était encarté, ni même outillé conceptuellement. Ce sont des pieds nickelés bibine-merguez qui font face au juge antiterroriste. Heureusement, il y a un certain Jean-Pierre, qui semble un peu plus crédible en complotiste susceptible de passer à l’acte. Et encore...
L’individu suspecté, dont il apparaît qu’il grenouille dans les milieux de l’ultradroite identitaire, est placé sur écoute. Les conversations interceptées mettent à l’évidence des obsessions racistes (« On n’est même plus dans notre pays »), une détestation chronique d’Emmanuel Macron (« petit dictateur hystérique »), une appétence pour les solutions radicales à tous les problèmes (« Tu sais, moi, appuyer sur une détente, je le fais, ça me dérange pas, hein »), et une certaine désolation à ne pas pouvoir recruter des camarades aussi déterminés que lui (« J’en ai plein le c… moi des mecs dès que tu leur demandes de faire un truc, p… ils se ch… dans le pantalon »). (Le Figaro)
Transformer un « on n’est même plus dans notre pays » en « obsession raciste », c’est un sacré sauf qualitatif. Les Français doivent être 80 % à le penser, sans être plus racistes que cela, puisque c’est un constat que n’importe qui avec une paire d’yeux en état de marche peut faire. Nous sommes effectivement dans un autre pays, une after-France ou une alter-France... Ensuite, traiter Macron de « petit dictateur hystérique », c’est plutôt gentillet, et pas loin de la réalité ! Même chez le plus dangereux des 12 apôtres de Delphine, on est encore dans le fantasme, et le fantasme au ras des pâquerettes.
On terminera sur l’épisode comique du « péage » et du « couteau en céramique » (à sushi, donc), qui a décidé la DGSI à intervenir.
Le 5 novembre 2018, M. Bouyer se rend dans l’est de la France en empruntant le réseau secondaire, choix interprété par les enquêteurs comme hautement conspiratif (l’intéressé dira qu’il ne voulait pas payer le péage) ; le danger qu’il semble représenter justifie son interpellation, ainsi que celle de plusieurs de ses connaissances. La police soupçonne le groupuscule d’avoir ourdi un projet d’assassinat visant le chef de l’État en utilisant astucieusement un couteau en céramique indétectable par les portiques de sécurité – et accessoirement jamais retrouvé.
On aurait aimé que la DGSI se saisisse, avec tous les éléments dont elle disposait, des tueurs du 13 Novembre de la même façon, à la Minority Report. Dans les deux cas, pour le Bataclan et pour les Barjols, c’est le Français d’en bas qui a morflé.
Quel que soit, le 3 février 2023, le résultat de ce procès, cette escouade de pieds nickelés est le signe – maladroit, mais sans équivoque – d’une montée de la colère en France.