La Commission européenne a annoncé à la dernière minute le report de l’accord de libre-échange entre l’Ukraine et l’UE, une volte-face qui a choqué les Ukrainiens comme les Européens.
Le report de l’accord de libre-échange entre Kiev et l’Union européenne a déchaîné les passions en Ukraine. Un vice-ministre a même démissionné vendredi soir pour protester contre cette décision.
Le président Petro Porochenko promettait, encore vendredi, que l’accord d’association entre l’UE et son pays, dont le texte sur le libre-échange fait partie intégrante, entrerait en vigueur le 1er novembre. Mais quelques heures plus tard, après une réunion tripartite à Bruxelles avec l’Ukraine et la Russie, la Commission européenne annonçait que l’accord de libre-échange ne serait pas appliqué avant fin 2015.
Le soir même, un vice-ministre ukrainien des Affaires étrangères Danylo Loubkivski annonçait sa démission. Ce report « envoie un mauvais signal à tout le monde : à l’agresseur (russe), aux alliés, et le plus important, aux citoyens ukrainiens », a-t-il expliqué sur sa page Facebook.
Cette volte-face a choqué non seulement les Ukrainiens mais aussi, selon les médias, certains diplomates européens à Kiev où beaucoup y ont vu une défaite, voire une trahison de la part du gouvernement ukrainien face à Moscou.
Le précédent Ianoukovitch
Pour de nombreuses personnalités en Ukraine, cette concession au Kremlin rappelle les événements de fin 2013, quand, aussi sous la pression de Moscou, le président de l’époque Viktor Ianoukovitch avait refusé à la dernière minute de signer ce même accord d’association, déclenchant les manifestations qui ont fini par le balayer du pouvoir.
« Je suis sans voix. La dernière fois, cela a causé les protestations de Maïdan », a écrit sur son Facebook le gouverneur adjoint de la région de Dnipropetrovsk (centre-est) Sviatoslav Oliïnyk.
L’opposition proche de l’ancien régime a saisi l’occasion pour dénoncer le « cynisme » des nouveaux dirigeants du pays. « Le pouvoir a fait ce pour quoi Ianoukovitch a été déchu », s’est insurgé l’ancien vice-Premier ministre Boris Kolesnikov.
Sacrifices vains
Certains se demandent même à quoi a servi le sacrifice de plus d’une centaine d’Ukrainiens tués lors du soulèvement de Maïdan et celle de 2 700 personnes ayant péri dans le conflit armé en cours depuis cinq mois avec les rebelles prorusses dans l’Est du pays.
« On a ce sentiment répugnant que des gens ont donné leurs vies pour que d’autres continuent à conclure des accords à huis clos », résume la rédactrice du site ukrainien Insider, Tétiana Nikolaenko.
C’est l’opacité de la situation qui attire le plus de critiques. « La décision a été annoncée brusquement, sans aucune explication à la société, ce qui rappelle (l’époque de) Ianoukovitch », estime le journaliste Sergui Vyssotski.
« Il existe peut-être une explication à cela. Elle est peut-être très convaincante. Mais ce serait bien de l’entendre. Il y a un grave problème de communication », lui fait écho Svitlana Zalichtchouk, une militante pour les droits civiques.
Gains économiques
Côté gouvernement, on se félicite des gains économiques : l’UE a en effet prolongé jusqu’à la fin 2015 une forte réduction des taxes douanières sur certains produits ukrainiens à destination du marché européen comme le souhaitait Kiev.
En revanche, les droits de douane continueront à être prélevés sur des exportations européennes vers l’Ukraine jusqu’à la fin de 2015, comme le souhaitait Moscou, qui dit craindre l’arrivée sur son marché de produits européens bon marché via l’Ukraine.
« Un geste sans précédent de soutien et de solidarité avec l’Ukraine » qui permet « même d’apaiser des craintes hypothétiques » de Moscou, se félicite le ministère ukrainien des Affaires étrangères. Et qui rapportera à Kiev 2 milliards d’euros par an, selon la présidence.
« Booster » les réformes
Pour plusieurs experts, la zone de libre-échange avec l’UE visait aussi à forcer les autorités de Kiev à mener rapidement les réformes pour rendre l’économie nationale concurrentielle face aux produits européens. Et le report de sa mise en place risque de ralentir ce processus.
« La société luttait pour cet accord (...) car il devait être un facteur de pression extérieur sur les hommes politiques », souligne le député pro-européen Oles Doniy dans son blog. « Maintenant cet espoir est écrasé et la Russie a obtenu une grande victoire géopolitique », déplore-t-il.