Au début de la nouvelle année, l’armée d’occupation israélienne a commencé à retirer une grande partie de ses forces du nord de la bande de Gaza.
Ce retrait ne signifiait pas la fin de la guerre contre Gaza, et il ne suggérait certainement pas le calme sur le front libano-israélien. Au contraire, ralentir le rythme de la guerre dans la bande de Gaza augmente les possibilités d’une guerre israélienne contre le Liban.
Les combats qui opposent depuis le 8 octobre l’armée d’occupation et le Hezbollah le long de la frontière sud-libanaise, en soutien à la résistance à Gaza, s’intensifient de jour en jour.
Washington et Tel-Aviv ont cherché à maximiser la pression sur le Hezbollah en mettant en garde contre la possibilité d’une guerre à grande échelle entre les forces israéliennes et la résistance libanaise. Ces tactiques étaient en vigueur bien avant l’assassinat du chef adjoint du bureau politique du Hamas, Saleh Al-Arouri, le 2 janvier, par une frappe aérienne israélienne à Dahiyeh, la banlieue sud de Beyrouth. Le meurtre d’Al-Arouri augmente désormais les chances d’une extension de la guerre.
La troisième étape arrive
La première étape de la guerre de Tel-Aviv fut la destruction massive et l’occupation du nord de Gaza ; la deuxième étape est l’occupation de points clés au sud de la bande de Gaza, où les civils palestiniens se sont rassemblés pour se mettre en sécurité. Le retrait actuel des troupes du nord du territoire signifie que les Israéliens consolident leurs plans pour le sud et se préparent à passer à la phase trois : la guerre longue et de faible intensité.
Alors qu’elle entre dans la troisième étape, l’armée d’occupation entend maintenir un tampon géographique entourant le nord de la bande de Gaza. Il prévoit également de continuer à occuper la zone de la vallée de Gaza (centre de Gaza), tout en achevant ses opérations à Khan Yunis, dans le sud.
Le sort de l’axe de Philadelphie – ou axe Salah ad-Din – une bande de terre située à la frontière entre Gaza et l’Égypte qu’Israël veut contrôler, sera laissée aux délibérations entre Tel-Aviv et Le Caire. Il s’agit de garantir qu’aucun incident ne se produise qui entraînerait des tensions entre les deux parties, et que les réfugiés n’affluent pas du sud de la bande de Gaza vers le Sinaï.
Le retrait terrestre d’Israël du nord de Gaza a lieu principalement parce que la réserve de cibles de l’armée d’occupation est épuisée. Toutes les cibles antérieures au début de la guerre ont été détruites et toutes les nouvelles cibles opérationnelles ont été bombardées.
Malgré cela, la résistance palestinienne continue de mener des opérations contre les forces israéliennes. Ces organisations restent relativement indemnes dans toute la zone du nord de la bande de Gaza, ce qui augmentera la capacité de la résistance à infliger des pertes aux rangs de l’occupation, maintenant et à l’avenir.
Cette perte nette d’Israël – au regard des objectifs de guerre déclarés de Tel-Aviv – a été mise en évidence par deux facteurs fondamentaux : premièrement, l’armée d’occupation ne peut pas « nettoyer » le nord de la bande de Gaza maison par maison ou tunnel par tunnel, car ce processus prendrait du temps, exposerait davantage ses soldats au danger et ne peut être mis en œuvre sans déplacer davantage la population entière du nord de Gaza sans les massacrer. Il convient de noter, malgré les tentatives israéliennes de présenter les choses autrement, que des centaines de milliers de civils sont toujours présents dans le nord.
Deuxièmement, le gouvernement israélien doit réinjecter progressivement des soldats de réserve dans l’économie du pays pour la relancer et garantir que les secteurs productifs ne soient pas exposés à des dommages dont la reprise prendra beaucoup de temps. Ceci, en dépit du fait que les États-Unis et une grande partie de l’Europe semblent prêts à aider l’économie israélienne, si nécessaire.
Ces mesures sont prises parce qu’Israël n’a manifestement pas réussi à atteindre les deux principaux objectifs de sa guerre, à savoir éliminer la résistance dirigée par le Hamas à Gaza et libérer les prisonniers israéliens capturés par la résistance le 7 octobre.
Il reste un motif fondamental qu’il convient de noter : l’armée israélienne consacre actuellement tous ses efforts à mettre en œuvre la décision américaine de faire passer la guerre de ses première et deuxième phases à la troisième phase avant la fin janvier 2024. Cela nécessite que la guerre soit menée à un rythme plus lent, attirant moins l’attention sur le carnage israélien et les souffrances massives des Palestiniens.
Après trois mois de brutalités, Washington a estimé que l’armée israélienne était incapable d’éliminer la résistance ou les possibilités d’escalade régionale, et a noté le préjudice important causé à l’administration américaine de Joe Biden alors qu’il entre dans la période des primaires présidentielles.
Une escalade avec le Liban
Alors que l’armée d’occupation israélienne s’apprête à concentrer ses opérations sur le sud de la bande de Gaza, l’intensité des opérations militaires le long de la frontière libanaise entre le Hezbollah et l’armée israélienne s’est également intensifiée.
Le Hezbollah a intensifié ses attaques contre les soldats d’occupation, à la fois dans leurs emplacements visibles et à l’intérieur des colonies du nord de la Palestine.
Les capacités d’information du Hezbollah se sont développées à la fois en sophistication et en précision au cours des derniers mois. Les combattants de la résistance libanaise ont employé des types de missiles jamais utilisés auparavant, qui ont une plus grande portée et une meilleure capacité destructrice que les générations précédentes.
En revanche, Tel Aviv a doublé la puissance de feu utilisée dans le sud du Liban. Les Israéliens continuent de limiter leurs opérations à la zone située au sud du fleuve Litani et n’étendent pas leur champ d’action, sauf pour cibler les groupes de résistance qui mènent des frappes de l’autre côté de la frontière. Ces dernières semaines, la puissance destructrice de l’armée d’occupation s’est considérablement accrue depuis les premiers jours de la bataille.
En multipliant ses frappes, les dirigeants israéliens cherchent à infliger le plus grand nombre possible de pertes parmi les combattants de la résistance, ainsi qu’à semer la panique parmi les résidents du sud du Liban, en déplaçant davantage d’entre eux et en détruisant le plus grand nombre possible de maisons. Cela impose un fardeau à la fois au Hezbollah et à l’État libanais dans le processus de reconstruction après la fin des hostilités.
Mais cette performance militaire israélienne a un objectif à plus long terme. Le gouvernement de Tel-Aviv, selon ses déclarations officielles, souhaite que le Hezbollah se retire du sud du Litani, pour assurer la sécurité des colons israéliens du nord de la Palestine qui ont abandonné leurs maisons, soit volontairement, soit sur ordre d’évacuation de leur armée. Selon certaines estimations, le nombre d’Israéliens fuyant leurs colonies dans le nord de la Palestine occupée a atteint plus de 230 000 personnes.
Parallèlement aux déclarations publiques, des messages ont commencé à arriver à Beyrouth, en provenance des capitales américaines et européennes, exigent ce qu’ils appellent « la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU », c’est-à-dire le retrait du Hezbollah du sud du fleuve Litani.
Selon des informations émergentes, Tel-Aviv parie que le Hezbollah sera dissuadé, car l’effondrement économique de 2019 dont le Liban ne s’est pas encore remis et les tensions internes de longue date du pays sont des facteurs qui empêcheront à terme le Hezbollah de faire la guerre.
Israël espère donc que le Hezbollah cédera aux pressions et satisfera à ses exigences concernant le retrait de ses combattants de la zone frontalière avec la Palestine occupée.
L’évaluation israélienne des affaires libanaises a précédé l’assassinat d’Al-Arouri à Beyrouth le 2 janvier. Mais de la même manière que les commandants militaires et les hommes politiques israéliens ont sous-estimé et rejeté les initiatives de résistance armée palestinienne dans les territoires occupés avant le 7 octobre, ils continuent de s’accrocher à un calcul israélien désuet selon lequel le Hezbollah ne ripostera jamais pleinement, ou qu’il le fera d’une manière qui évite la guerre.
Certes, le Hezbollah cherche véritablement à limiter la portée de la confrontation militaire et a souvent poussé à un cessez-le-feu à Gaza pour mettre fin aux hostilités dans toute la région. Le Hezbollah est également soucieux de ne pas perturber la vie et les moyens de subsistance des habitants du sud.
Mais même si le Hezbollah prend en compte la réalité politique et économique complexe du Liban, il n’est pas prêt à faire des concessions. Des sources au sein de l’axe de la résistance affirment qu’Israël, tel que le voit le Hezbollah, n’est pas en mesure d’entrer en guerre contre le Liban alors qu’il ne peut même pas compenser ou digérer les pertes stratégiques massives qu’il a subies lors de l’opération Déluge d’Al-Aqsa.
Malgré sa volonté de ne pas étendre la guerre, le Hezbollah a déjà commencé à s’y préparer. La déclaration du parti du Hezbollah, publiée après l’assassinat d’Al-Arouri, l’indique, et des mesures et des développements sur le terrain commenceront à apparaître avec le temps.
Ce qu’Israël n’a pas pu réaliser à Gaza (rétablir la dissuasion) face aux rangs serrés de l’Axe de la Résistance de la région, il ne pourra certainement pas le gagner au Liban.
Les premiers signes en apparaîtront dans les plans que le Hezbollah devrait mettre en œuvre en réponse au raid israélien du 2 janvier sur Dahiyeh pour assassiner Al-Arouri – le premier du genre depuis août 2006 – et auquel son secrétaire général Hassan Nasrallah avait déjà menacé de répondre.
L’essentiel est que l’évaluation par Tel-Aviv d’une guerre avec le Liban repose sur l’interprétation selon laquelle le Hezbollah souhaite empêcher à tout prix une confrontation majeure. Non seulement ce calcul est erroné, mais il a également embrouillé les esprits israéliens au point que cela pourrait conduire au déclenchement d’une guerre destructrice entre les deux parties.
Hasan Illaik est un journaliste libanais qui a travaillé avec divers médias et plateformes régionales, dont 15 ans au sein du grand quotidien Al Akhbar.