L’affaire a soulevé une vague d’indignation en France, ou plutôt son dénouement : deux hommes du commando Hubert – les forces spéciales françaises – sont morts pour sauver deux civils français pris en otages au Burkina Faso et une ressortissante sud-coréenne. La décision d’envoyer l’armée tenter une libération a été prise au sommet de l’État. La polémique dans la polémique porte sur le fait que les deux civils allaient faire du tourisme dans une zone réputée dangereuse. Tourisme frisson qui a fait perdre deux valeureux guerriers à la France, et à leurs familles, ou libération réussie au prix de la vie de deux militaires professionnels qui savaient les risques encourus ?
Comme souvent, deux France s’affrontent, et un troisième ingrédient est venu jeter de l’huile sur le feu : les deux civils sont un couple homosexuel en mal de sensations...
La question en filigrane de cette affaire qui déchire les Français est : tous les hommes se valent-ils ? Est-il juste que deux hommes pétris de valeurs donnent leur vie pour deux hommes qui en ont moins, ou d’autres ? Quand on parle de valeurs, on pense bien sûr à l’altruisme, au don de soi.
"J'ai perdu l'amour de ma vie" L'émotion de la compagne du soldat Cédric de Pierrepont pic.twitter.com/sIpbNcfME5
— BFMTV (@BFMTV) 12 mai 2019
Si l’opération de sauvetage s’était bien passée, tout le monde aurait applaudi. Mais voilà, trois hommes sont morts et le président Macron, encore une fois, a commis une faute majeure en accueillant en héros les miraculés sur le tarmac de Villacoublay. Même si son accueil était « sobre et froid », selon la presse, et probablement selon les éléments de langage élyséens.
Le Drian a déclaré à cette occasion :
« Il y a un devoir d’État, qui est d’assurer la sécurité des Français où qu’ils se trouvent y compris dans des conditions extrêmes à l’étranger, d’assurer la sécurité et la sauvegarde des Français qui sont en danger. C’est ce qui a été fait. »
C’est ensuite que l’affaire a échappé aux autorités. Nous avons assisté à un rétropédalage de l’Élysée et de la presse aux ordres, Le Monde en premier, après la sortie du même Le Drian sur les zones à risque pour les nationaux :
Pour bien comprendre ce double discours au sommet, il faut revenir sur les faits. Le 1er mai 2019, deux touristes français sont enlevés au Bénin et libérés le 10 mai au Burkina Faso. Patrick Picque et Laurent Lassimouillas, le couple d’otages, n’avaient pas suivi les consignes du Quai d’Orsay, que Le Drian a ainsi résumées :
« La zone où étaient nos deux compatriotes était considérée depuis déjà pas mal de temps comme une zone rouge, c’est-à-dire une zone où il ne faut pas aller, où on prend des risques majeurs si on y va. »
Deux soldats d’élite sont morts pour la France : Cédric de #Pierrepont et Alain #Bertoncello. Fiacre #Gbédji était le guide béninois assassiné par les preneurs d’otages. Gardons le souvenir de Cédric, d’Alain mais aussi de Fiacre. Tous trois le méritent. RIP.#otagesbenin pic.twitter.com/tJTMXtGCMJ
— Axel Urgin (@UrginAxel) 12 mai 2019
Résultat, les deux sauveteurs, « deux officiers mariniers français, les maîtres Cédric de Pierrepont, 33 ans, et Alain Bertoncello, 28 ans, qui étaient respectivement chef de groupe et membre du commando Hubert, l’unité d’assaut de Saint-Mandrier (Var) composée de nageurs de combat » (Le Monde), ont donné leur vie pour les deux imprudents. Simples imprudents ou criminels inconscients ?
« La plus grande précaution doit être prise dans ces régions pour éviter que de tels enlèvements n’aient lieu et pour éviter des sacrifices de nos soldats (…). Il faut que tous ceux qui veulent faire du tourisme dans ces pays s’informent auparavant de ce qu’on appelle les “conseils aux voyageurs” mis en place et entretenus régulièrement par le Quai d’Orsay et qui indiquent les zones sûres, celles à petit risque et celles à gros risque. »
Mais selon un journaliste de Marianne, la zone rouge a été définie après l’enlèvement, elle ne l’était donc pas avant le 1er mai. Tout le nœud de l’affaire porte alors sur la délimitation plus ou moins élargie de la zone rouge, à cheval entre Bénin et Burkina.
- Mise à jour du 31 décembre 2018
Marianne et Le Monde prennent la défense de la version officielle qui absout les deux touristes du péché de prise de risque inutile et dangereuse, dangereuse pour eux et leurs sauveteurs éventuels. Mais l’examen des deux cartes du Quai d’Orsay avant et après l’enlèvement montre que la zone dite moins dangereuse était extensible, les preneurs d’otages ne respectant pas les cartes, c’est bien connu.
- Carte du Quai datant d’avant le 31 décembre 2018
On le voit, à 50 km près, on passe de « vigilance renforcée » (la zone orange) à « formellement déconseillé » (la zone rouge).
Voici la communication de dimanche 12 mai 2019, rapportée par Le Monde, du directeur du Centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay, Éric Chevallier :
« Leur lodge était en zone orange, donc déconseillé sauf raison impérative – or le tourisme n’en fait pas partie – et la voiture et le chauffeur tué ont été retrouvés tout près de la frontière (bénino-burkinabée) en zone rouge ».
Les consignes aux voyageurs avaient été « durcies le 10 décembre 2018, compte tenu de l’aggravation de la situation sécuritaire au Burkina et des inquiétudes sur la porosité de la frontière ».
Aussitôt après ce cafouillage au sommet de l’État, les choses étant assez claires sur la dangerosité de la « zone », élargie ou pas, un plan de « com » a été lancé dans les médias habituellement complices du pouvoir. La version de Le Drian a été battue en brèche et le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (un poste quasiment factice, sauf pour vendre des armes aux Qataris et aux Saoudiens) en est devenu presque homophobe :
Hier, une vague de réactions qui allaient du reproche à la haine homophobe en passant par la demande de poursuites judiciaires s'est abattue sur les deux otages libérés.
Tout ça parce qu'un ministre a raconté n'importe quoi.
https://t.co/ieeNuumtKw
via Le Monde— Padre_Pio (@Padre_Pio) 12 mai 2019
Or on se doute bien que si Le Drian a déclaré en premier lieu ce qu’il a déclaré, c’est qu’il avait ses raisons, et une raison bien simple : la zone était dangereuse, et quel que soit le niveau de dangerosité, des touristes n’auraient jamais dû y mettre les pieds. Justement les proches des victimes militaires ont réagi à cette prise de risque.
La mère d’Arnaud Beltrame, le gendarme qui a donné sa vie pour une otage lors de la prise d’otages de Trèbes en mars 2018, est intervenue elle aussi (dans Le JDD) :
« Arnaud a agi en France, pas sur un théâtre de guerre, et les otages du Super U de Trèbes étaient pris au dépourvu dans leur vie quotidienne... Les deux touristes, Patrick Pique et Laurent Lassimouillas, eux, sont allés dans une zone excessivement dangereuse pour du loisir, pour un plaisir personnel. »
D’après nos informations, les deux touristes sont coutumiers du fait. Non pas des pérégrinations en zone dangereuse, mais du tourisme « frisson » à la recherche de sensations partagées. Ce qui a choqué les Français, c’est que ces deux inconscients aient été reçus (avec l’otage sud-coréenne) comme des héros par le président burkinabé Roch Marc Christian, puis par Emmanuel Macron.
À charge pour les sbires du gouvernement de consolider la version officielle :
Que ce soit par antimacronisme primaire ou pas, les réactions sont très violentes sur les réseaux sociaux, qui constituent le pouls du peuple. Celle du boxeur Patrice Quarteron n’est pas la plus dure :
L'hommage de @jmaphatie aux soldats Français tués au Burkina Faso :
"Ils ont donné leur vie pour que d’autres puissent être libres. C’est un geste écrasant d’exemplarité, qui montre qu'il y a toujours des gens qui veulent défendre la France."@nikosaliagas #europe1 pic.twitter.com/S8evqZdkeZ
— Europe 1 (@Europe1) 13 mai 2019
Jean-Michel Aphatie, sur Europe 1, explique que les deux militaires « ont donné leur vie pour que d’autres puissent être libres ». La question est justement : quelle liberté ?