L’extrême gauche souffre aujourd’hui d’une terrible déchirure, qui sera peut-être mortelle (enfin, pour cette extrême gauche-là) : partagée entre la défense de la laïcité (autrement dit sa christianophobie structurelle, sous-tendue par la trame maçonnique), et son soutien aux victimes de l’impérialisme en général, et donc de l’impérialisme israélien en particulier, elle voit aujourd’hui, alors que les attentats attribués aux « djihadistes » (les musulmans radicaux) crépitent sur notre sol, son inévitable sionisme historique prendre le pas sur son anti-impérialisme.
En termes clairs, cela se traduit par une islamophobie de moins en moins honteuse, et un judéocentrisme de plus en plus affiché, comme si ces deux thèses étaient inextricablement et inversement liées. La vidéo de Brigitte Stora sur le site de La Règle du jeu de BHL illustre ce basculement, et n’est pas là par hasard.
Le trotskisme s’est refermé sur son cercle fondateur juif, sur son tronc originel, les branches pro-palestienne et sociale étant quelque peu laissées à l’abandon. Certes, il existe toujours un trotskisme ouvriériste anticapitaliste pur et dur, fermement opposé à la politique raciste israélienne, mais ce n’est pas cette branche-là qu’on voit et entend dans les médias. La visibilité médiatique, ou le juge suprême qui sépare les collaborateurs des résistants au Système.
Le Système a donc choisi le « bon » trotskisme contre le « mauvais ». On peut reprocher tout ce qu’on veut à Lutte Ouvrière et à ses porte-paroles successifs – leur irrationalité économique, leur haine des patrons (qui ne sont pas tous en haut de la pyramide) – mais le combat et le discours d’Arlette Laguiller puis de Nathalie Arthaud n’ont jamais varié d’un iota, jamais trahi leur propre cause. On ne peut pas en dire autant de Besancenot et ses amis : le Système les a complètement avalés, sinon altérés.
Nous n’entrerons pas dans les détails et les méandres du trotskisme actuel, avec toutes ses variantes possibles et imaginables (POI, CPS, MST, PT, CCI, GR, GSI, LTF, ARS, PCRT), comme aux échecs, qui mériterait un livre de 3 000 pages (à la limite, le Talmud, diront les taquins), mais nous voyons bien les effets sur ce think tank historique de la gauche française, de la victoire du sionisme comme réduction de l’humanisme.
L’extrême gauche en général assiste impuissante à la saignée de ses militants et électeurs partis tenter leur chance au grand tirage d’une vie meilleure au Front national ou chez les leaders de la réinformation, tant la collusion des représentants de la gauche dite radicale avec les tenants du Système apparaît au grand jour. L’idéologie antiraciste, ce fascisme à visage humain, a explosé, Julien Dray a changé son disque (mais gardé ses prébendes), l’immigré était l’ami, le musulman est devenu l’ennemi. La « victime » du beauf français s’est muée en tueur de juifs à kalach. Ça change tout. Après avoir joué les Arabes contre les Français, les grands manipulateurs jouent les Français contre les Arabes. Divide et impera. En latin, ça sonne bien.
Les sincérités successives de la gauche à l’égard des immigrés réussissent encore à blouser quelques jeunes, grâce au remplacement générationnel : les derniers arrivés, emportés par leur désir de justice sociale, ne voient pas l’impasse conceptuelle dans laquelle les anciens se sont fourrés, et vont les fourrer.
À ce titre, la vidéo de l’entretien de Brigitte Nora, ex-militante LCR, diffusée logiquement par le site de BHL, est éminemment parlante. Avant, les communistes qui avaient dérapé par rapport à la ligne devaient faire leur mea culpa devant les gardiens du Parti. Aujourd’hui, on confesse son évolution idéologique devant une caméra. Et tant pis pour sa propre jeunesse, pour son sens de la Justice, pour la morale, et pour l’utopie.
La pseudo realpolitik de « l’intelligentsia » de gauche se manifeste aujourd’hui par un outing islamophobe tous azimuts, qui place les vieux antifascistes dans le camp de la répression. C’est ni plus ni moins un suicide politique, qui laisse la place nette à une pensée politique nouvelle, plus cohérente, que nous défendons sous les invectives... de ceux qui ont échoué. Les salauds au sens sartrien ont changé de camp.
Morceau choisi :
Brigitte Stora : « Alors que quand Badiou a une pleine page dans “Le Monde” pour dire la même chose, ça c’est plus grave. C’est plus grave parce qu’il y a une autorité, il y a une légitimité, qu’elle soit universitaire ou médiatique, pour dire exactement ce qu’on peut dire dans n’importe quelle classe où on va... pas respecter la minute de silence, par exemple. Ces chahuteurs-là, oui je pense qu’à un moment donné il va falloir les dénoncer. »
Bernard Schalscha : « Dans un chapitre tu dis que effectivement il y a les “Je ne suis pas Charlie”, qui s’abritent derrière soi-disant les offenses faites au Prophète de la religion des pauvres et des opprimés et tu dis, qu’est-ce qu’ils disent, ils ne peuvent pas dire “Je ne suis pas l’Hyper casher”. »