Sébastien Lecornu – sans rapport avec le Diable –, le ministre des Armées (on ne dit plus de la Défense), assume : le conflit ukrainien doit profiter à notre industrie. Pourquoi se gêner ? « Nous sommes en guerre », a décrété le Président – ce qui se décline à l’intérieur et à l’extérieur –, en tout cas nos armements le sont. Et le seront de plus en plus.
Lecornu était donc à Kiev avec 20 industriels de l’armement (français) pour vendre des armes antirusses aux Ukrainiens. Le cynisme dans le cynisme, c’est quand le ministre a déclaré, en substance : fini de céder du matos gratuitement aux Ukrainiens, maintenant faut qu’ils passent à la caisse. Le conflit russo-ukrainien doit devenir une bonne affaire pour la France, maintenant que les Ukrainiens ont testé, gratuitement, nos armes. France Info l’a interrogé là-bas. Morceaux choisis.
« On voit bien que le conflit s’installe et il va nous falloir faire preuve d’endurance. Et cette endurance, elle passe aussi par les industries de défense françaises pour fournir des équipements à l’Ukraine. Et c’est pour ça que des parlementaires m’accompagnent – les députés, les sénateurs prennent des décisions importantes sur le soutien à l’Ukraine –, mais aussi une vingtaine d’industriels français représentant les secteurs du cyber, de l’intelligence artificielle, des drones, des robots, mais aussi, bien sûr, des équipements terrestres ou des munitions. C’est une rencontre inédite entre l’armée ukrainienne, les différentes entreprises ukrainiennes, qui peuvent sous-traiter ou être sous-traitantes de nos industriels français. »
Il y a mieux : le vieux matos aux Ukrainiens, le nouveau aux Français. Remarquez, les Américains font pareil : l’impératif, c’est de toujours garder une technologie d’avance.
« La guerre va durer et les cessions de matériels au sein des armées françaises – mais pas que françaises – ont par définition des limites. Est-ce qu’on va continuer à le faire ? Oui, parce que grâce à notre programmation militaire, on va retirer plein de vieux matériels de l’armée française - au bénéfice de matériels beaucoup plus neufs - qu’on va pouvoir donner à l’Ukraine, et à d’autres pays qui sont des pays partenaires. »
Le prétexte moral de Lecornu, représentant officiel du lobby militaro-industriel national, qui lui ôte tout remord, c’est la « légitime défense » de l’Ukraine. Un concept fallacieux quand on sait que Kiev a bombardé les civils des régions autonomistes pro-russes à partir de 2014, avec le soutien des Américains.
La conséquence de ce « joint-venture », c’est l’installation de nos multinationales de l’armement sur place. Au moins, Lecornu est-il décomplexé : pas de langue de bois !
« Ce que je vois, c’est qu’un certain nombre d’industries françaises ont trouvé des partenaires locaux. Des industries locales qui sont capables de devenir, dans la chaîne de production, des sous-traitants. Et ça, évidemment, cela rapproche le matériel, les équipements de l’armée ukrainienne, notamment pour l’entretien. Regardez l’entretien des canons Caesar : on va pas renvoyer les camions Caesar en France, on ne va pas non plus les renvoyer en Pologne comme ce fut le cas au début du conflit. Il faut désormais être en capacité de les réparer sur place. »
Lecornu s’emporte, il se sent déjà chef de guerre, il voit grand, il se voit Napoléon devant Moscou, quand l’envoyé spécial de France Info lui tire la manche :
Question : « Est-ce que vous assumez qu’avec ce processus, ce changement de stratégie, la France pourrait être prise pour cible encore davantage ? Et ces entreprises qui viennent s’installer en Ukraine, pourraient être prises pour cible, alors que la Russie va reprendre, avec l’approche de l’hiver, ses frappes ciblées, probablement sur des infrastructures énergétiques.
Réponse : Il ne faut pas se laisser intimider, même si je sais que, parfois, des voix, y compris au sein de la classe politique française, veulent faire croire qu’aider un pays en guerre participe à l’escalade. Non ! En droit international, le fait d’aider un pays en guerre, y compris avec notre industrie de défense, ce n’est pas être co-belligérant. Il faut redire cette vérité parce que cela fait partie du narratif russe, et il faut donc le contrer. Après, c’est aux industriels de mesurer le niveau d’engagement qu’ils veulent avoir. »
Et là, ça devient beaucoup plus risqué : car le ministre ment en disant qu’on ne sera pas cobelligérant. On le sera, et de plain-pied ! Nos intérêts seront frappés par les Russes là-bas, et les 2800 km entre Moscou et Paris seront vite couverts par un missile hypersonique. Sachant qu’un Kinjal vole à 10 000 km/h, il ne mettra qu’un petit quart d’heure pour arriver jusqu’à la mairie d’Hidalgo. En même temps...
Le Figaro, de son côté, s’est interrogé sur le devenir de nos armes déjà sur place, car on n’a pas d’informations à ce sujet. C’est nécessairement secret défense, mais les 30 canons Caesar à 5 millions l’unité ont été payés par nos impôts. A-t-on un droit de regard sur leur mortalité ?
Vidéo d'un canon Caesar, fourni par la France, détruit par un drone russe Lancet.
Voilà où part notre argent ...
Et les contribuables disent Merci qui ?
Merci Macron ! pic.twitter.com/zmXZATT9dd— Rive Gauche (@RGauche) June 25, 2023
Front sud Zaporizhzhia : AMX 10 RC livré par la France aux forces armées ukrainienne détruit.#Ukraine pic.twitter.com/7hrDN2AopG
— Fulgur advenit (@GrillardEric) July 6, 2023
#Ukraine : A Ukrainian VAB armored personnel carrier was seriously damaged after it ran over an anti-tank mine in #Kherson Oblast. pic.twitter.com/uF4zhZarVe
— Ukraine Weapons Tracker (@UAWeapons) October 26, 2022
Pour l’instant, officiellement, uniquement en matériels, la France a livré pour 530 millions d’euros à l’Ukraine : 30 canons Caesar (dont 4 sont HS), 40 chars AMX-10 (7 HS) et 60 VAB (12 HS).
On reste très loin derrière les USA (42 milliards de matériels), le Royaume-Uni (6 milliards) , l’Allemagne (17 milliards !) et même la Finlande avec 1 milliard. Pour info, les Allemands ont déjà perdu 16 chars Leopard en Ukraine, celui qui devait tout changer lors de la contre-offensive...
Matériellement, c’est donc bien une guerre de l’Amérique – ou anglo-américaine – contre la Russie ! La guerre froide se dégèle, 77 ans après.