Belkacem Mostefaoui, professeur à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information à Alger, a réalisé une étude qui donne à voir une autre Algérie, loin des stéréotypes. Entretien.
Franceinfo Afrique : votre étude « Generation What ? Algérie » bat en brèche tous les clichés. On apprend que les Algériens sont majoritairement pour la séparation de la religion et de l’État…
Belkacem Mostefaoui : l’Union européenne a commandité depuis 2015 une série d’enquêtes sur la jeunesse des pays européens. J’ai été sollicité pour élaborer le rapport sur celle relative à l’Algérie (pays voisin méditerranéen). Elle a été finalisée début février 2019, avant les manifestations populaires qui, depuis le 22 de ce mois, ont mis fin aux velléités de Bouteflika de briguer un cinquième mandat et ne cessent de contester le système politique autoritaire qui a mis à sac le pays. De fait, notre étude (portant sur un échantillon de 16 000 personnes) propose à connaissance sur cette question les indicateurs suivants : les femmes (63 %) et les hommes (67 %) sont en majorité contre le fait que des dirigeants religieux interviennent dans les affaires politiques. Les plus jeunes (67 %) sont plus enclins à affirmer cette opinion que leurs aînés (64 %). La variable « niveau des études » affine d’une autre dimension les attitudes face à la question. Celles et ceux des jeunes qui ont fait plus de quatre années dans l’enseignement supérieur sont plus enclins (68 %) à affirmer « Je ne veux pas voir des dirigeants religieux intervenir dans les affaires publiques » que leurs congénères moins diplômés (57 %). De par le statut, les étudiants (66 %) y sont encore plus opposés que les chômeurs (60 %).
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Il y a donc une nouvelle perception, évolution…
Cette évolution est remarquable dans un pays comme l’Algérie, qui durant la décennie 1990 a failli basculer dans un système politique théocratique sous la houlette du Front islamique du salut (FIS). De fait, le relatif retrait actuel du pouvoir religieux par rapport aux rouages du régime politique et l’organisation de la vie en société se présente en dents de scie. Ces volontés de rupture des jeunes par rapport au poids du religieux sont moins clairement expressives dans l’espace public que dans la vie privée. Nous avons aussi observé une évolution d’attitude relative face à la pratique religieuse : 32 % des hommes et 25 % de femmes affirment pouvoir être heureux sans croyance religieuse. Les réponses à la question de la perception chez les jeunes de leurs capacités de maîtriser leur destin, d’être plutôt aux commandes de sa vie, indiquent une quasi égale perception de leur situation entre les femmes (58 %) et les hommes (57 %) à affirmer qu’ils en ont une maîtrise. Ces données relativisent le poids du mektoub (destin), si souvent galvaudé pour caricaturer les pays musulmans.
Vous dites aussi que les jeunes Algériens, qui sont près de 9 millions à avoir moins de 25 ans sur une population de 42 millions, ne veulent plus s’exiler depuis le début de la Révolution du sourire (Hirak), le 22 février…
Il est nécessaire de relativiser les réalités sur ce point ! Les centaines de marches pacifiques et vigoureuses essaimées dans le pays depuis le 22 février continuent d’être portées essentiellement par la jeunesse. Nous observons aussi que bien d’autres segments de la société y sont en confluence, y compris de présence dans l’espace public physique chaque vendredi. La « révolution du sourire » a rendu quelque espoir pour la jeunesse. Et des indicateurs fournis par les garde-côtes sur l’évaluation des flux de harragas montrent une certaine baisse en quelques 9 mois de ce phénomène. Cependant cette tendance, quand on garde à l’esprit le poids des maux profonds de vie dans la société dont souffrent les 18/35 ans, pourrait n’être que conjoncturelle. En effet notre enquête, à partir de questions relatives à l’axe générique « Ma vie, quoi en faire, même loin du pays et de la famille », apporte des éléments de connaissances sur une tendance nette de cette génération vers l’individuation.
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Peut-on dresser un portrait-type d’un(e) jeune hirakiste ?
La tentation est forcément réductrice... Mais j’accepte le risque de répondre à votre question. Jeune femme ou jeune homme, le/la hirakiste a été depuis le début de la décennie 2000 en défiance caractérisée envers les institutions de l’État (partis, associations, mais aussi services, sécurité). Ces jeunes ont vécu/subi les deux décennies du système Bouteflika prédateur, y compris en grand nombre dans le système populiste scolaire et universitaire offrant en réalité le mirage de diplômes au rabais, sans formation professionnelle, qui les vouent au chômage. Les violences de leur vécu, jusque-là interdites d’expression dans l’espace public par ces jeunes, ont explosé à partir du 22 février, pacifiquement dans les marches populaires. Sur les réseaux sociaux, les jeunes hirakistes ont imprimé, à l’explosion des couches tectoniques entre dominants et dominés de la société algérienne, un décisif réseautage de communication sociale, nourrissant le champ de jonctions entre espace public physique réel et espace public virtuel du web.
En tant que spécialiste des médias, comment analysez-vous la couverture de cette campagne électorale ?
Dans le sillage de l’agenda médiatique militaire imposé par le commandement militaire, de nouvelles chefferies des offices de télévision et de radio gouvernementales ont pris les commandes avec pour mission principale de mettre fin aux « ouvertures contrôlées » de près de neuf mois, discréditer par tous les moyens le Hirak populaire et accréditer la mascarade du scrutin présidentiel du 12 décembre comme seule solution immédiate possible. Cette amulette est sans cesse ressassée par le général Gaïd Salah et introduite en leitmotiv dans les journaux radiotélévisés, en contrebande car jamais questionnée à partir des principes fondamentaux de production du journalisme. Relayée par des officiants journalistes, elle tient lieu d’épine dorsale des programmes d’information des radios et télés gouvernementales, des télés commerciales offshore et de la majorité des journaux privés survivants encore, et en quémande de retour de services rendus pour l’après-scrutin. Le principe est de faire accroire à l’opinion publique qu’une élection présidentielle pluraliste est réalisation. Réussir cette forfaiture, c’est assurer une restauration newlook du système politique hérité du règne de Bouteflika, en recyclant le personnel qui l’a servi.
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#Paris : la diaspora algérienne réunie pour contester l'élection présidentielle #Algérie #AlgerieVote @GodinSolene pic.twitter.com/qHEsVvQOPQ
— RT France (@RTenfrancais) December 7, 2019