Près de l’ancienne base américaine de Danang, enfants difformes et grands-pères souffrant de cancers vivent toujours les conséquences toxiques de la guerre du Vietnam. Mais après des décennies d’attente, les opérations de décontamination de l’Agent orange commencent enfin.
Quelque 80 millions de litres de ce défoliant contenant de la dioxine ont été pulvérisés par les Américains sur les jungles du Sud Vietnam pour détruire la forêt et les cultures utilisées par la guérilla communiste vietnamienne. Et une grande partie des produits étaient mélangés, stockés et chargés dans les avions à Danang.
Lors de cette opération de nettoyage historique américano-vietnamienne officiellement lancée jeudi, le sol contaminé va être chauffé à des températures suffisamment élevées pour transformer la dioxine en des composants inoffensifs.
"Il y a toujours de graves conséquences de la dioxine de l’Agent orange", a insisté jeudi lors de la cérémonie le vice-ministre vietnamien de la Défense Nguyen Chi Vinh.
Et si les Américains contestent le lien "incertain" entre l’exposition au produit et les maladies, les riverains de la base aérienne en sont convaincus.
Nguyen Thi Binh, 78 ans, ne croit plus que des péchés commis dans une vie antérieure soient responsables des graves handicaps physiques et mentaux de trois de ses cinq enfants.
"On m’a dit que ça pouvait être l’Agent orange", a-t-elle expliqué à l’AFP dans sa petite maison de Danang pendant que ses filles adultes rampaient autour d’elle comme des bébés.
"Pendant la guerre, quand nous vivions vraiment tout près des pistes. Certaines nuits, nous devions nous couvrir la bouche à cause d’une drôle d’odeur".
La base de Danang, dont les alentours ont été interdits il y a seulement cinq ans, est l’un des trois sites les plus contaminés du pays avec des concentrations toxiques 400 fois supérieures aux normes acceptables, selon de récentes études.
Résultat : cancers, difformités des nourrissons et autres maladies liées à la dioxine sont plus élevés que la moyenne nationale, dénoncent les associations de victimes. Et les effets se font toujours sentir.
"Nous trouvons encore de très jeunes gens affectés par des maladies" liées à l’Agent orange, a ainsi assuré Nguyen Van Rinh, président de l’association des victimes vietnamiennes de l’Agent orange/dioxine (VAVA).
Hanoï estime que jusqu’à trois millions de personnes ont été exposées au défoliant, et qu’un million d’entre elles souffrent toujours des conséquences.
Mais les victimes vietnamiennes n’ont pas réussi à obtenir de compensations financières des Américains.
Les vétérans américains ont bien reçu des milliards de dollars pour des maladies liées à l’Agent orange, mais le gouvernement américain et les fabricants de produits chimiques n’ont jamais admis leur responsabilité.
Au Vietnam, le lien entre l’exposition au produit et les maladies est "incertain", a insisté le porte-parole de l’ambassade américaine Christopher Hodges.
Mais depuis 1989, Washington a donné 54 millions de dollars pour aider les Vietnamiens handicapés "quelle que soit la cause", et quelque 20 millions ont été programmés pour le nettoyage de la base de Danang et des projets liés aux handicaps en 2012, a-t-il indiqué à l’AFP.
Le projet de Danang, d’un budget total de 43 millions de dollars, commence alors que les deux anciens ennemis tentent de resserrer leurs liens face aux ambitions chinoises en mer de Chine méridionale.
Mais "ce nettoyage arrive trop tard, parce que beaucoup de gens ont déjà été touchés", a souligné Nguyen Thi Hien, responsable de la VAVA à Danang.
Comme Nguyen Thi Luu, 38 ans, qui a vécu près de la base pendant 13 ans, et sa fille de 11 ans qui présente un handicap mental et des déformations du visage.
"Les médecins m’ont dit qu’elle était juste née comme ça", a-t-elle indiqué à l’AFP. "Je ne comprends pas. La vie est très dure avec un enfant comme ça".