Même s’ils sont scrupuleusement respectés, les Accords de Minsk ne parviendront pas à la paix en Ukraine. D’abord parce qu’ils n’ont été ni négociés, ni signés, par les Novorossiens (les « séparatistes pro-Russes »), mais uniquement par leur protecteur russe. Ensuite, car ce serait contraire aux intérêts des dirigeants de l’est de l’Union européenne. Ceux-ci ont fait de la russophobie leur seule ligne politique pour le plus grand bénéfice des États-Unis.
Les nouveaux accords conclus à Minsk le 11 février dernier (Minsk 2) [1] se résument, pour l’essentiel, à la conclusion d’un fragile accord de cessez-le-feu dans un contexte régional extrêmement tendu. On est d’ailleurs en droit de s’interroger sur la sincérité des intentions des deux principaux initiateurs de ces accords, la France et l’Allemagne. Quant aux États-Unis, ils se sont certes abstenus de tout engagement formel de livrer des armes à l’Ukraine, mais se réservent le droit d’en décider autrement si bon leur semble, et d’en décider seuls, qu’ils bénéficient ou non du soutien de l’Union européenne, et que les combats se poursuivent ou pas.
Que cherchent les Européens ?
On fait grand cas de l’intérêt « naturel » de l’Allemagne et de la France à la préservation de la paix en Ukraine, et on évoque même une possible « rupture » avec les États-Unis sur ce point. Par contre, peu d’observateurs s’intéressent aux bénéfices immenses que ces deux États retirent de leur partenariat privilégié avec les États-Unis. Voyons cela d’un peu plus près.
Les ambitions de la France
Au sein de l’Union européenne, la France est, à bien des égards, au plan intérieur, en concurrence avec l’Allemagne. Cependant, dans le domaine des Affaires étrangères, elle appuie la politique extérieure régionale de Berlin, renforçant ainsi sa propre stature sur le dos de son partenaire allemand, tout en glanant au passage une part accessoire de prestige. Cela étant, la France entretient aussi une coopération étroite avec les États-Unis en Afrique occidentale et en Afrique centrale, et n’a aucun intérêt à sacrifier cette relation privilégiée en s’opposant frontalement aux desseins poursuivis par Washington en Ukraine. De toute façon, pour Paris, les affaires ukrainiennes ressortent principalement de la sphère d’influence et de responsabilité de l’Allemagne.
Les ambitions de l’Allemagne
L’ampleur considérable des échanges économiques entre l’Allemagne et la Russie est connue de tous, ou presque. Il n’est donc pas nécessaire d’en refaire ici le tableau détaillé. Intéressons-nous plutôt au rêve onusien que caresserait Angel Merkel, si l’on en croit les rumeurs qui circulent çà et là. Cette ambition d’endosser prochainement les fonctions de Secrétaire générale des Nations unies pourrait bien expliquer, pour une part, les allées et venues diplomatiques presque vaines — outre leur aspect symbolique — récemment effectuées entre Kiev et Moscou, en passant par Munich et Washington. Nonobstant ce petit ballet diplomatique, Berlin ne trouve rien à redire à la campagne de dénonciation, de dénigrement et d’épouvante que les États-Unis mènent contre la Russie. L’Allemagne de Madame Merkel ne déplore pas non plus, au contraire, les conséquences économiques désastreuses que les mesures de rétorsion décidées par Moscou, en réponse aux sanctions occidentales, ont entraînées pour les pays de l’est et du sud-est de l’Union européenne. L’Allemagne est, cyniquement, d’autant moins encline à le faire, que l’impact des contre-sanctions place les économies de ces pays dans une situation de dépendance accrue vis à vis de Berlin. À la faveur de ces évènements, l’Allemagne renforce encore plus son ascendant sur les États les plus pauvres et les plus excentrés de l’Union européenne.
Les États-Unis livreront des armes à l’Ukraine, que la guerre se poursuive ou non
Ceux qui prétendent que l’Union européenne va, d’une façon ou d’une autre, trouver le moyen d’empêcher la livraison par Washington d’armes offensives à l’Ukraine, soit en manifestant son opposition résolue à ce projet, soit en le rendant caduc par l’obtention préalable du « retour à la paix », se bercent d’illusions. Ce sont les États-Unis qui dictent à l’Union européenne sa feuille de route, et non l’inverse. Washington armera l’Ukraine sans se soucier aucunement de ce qu’en pense Bruxelles. Les Étasuniens viennent d’ailleurs d’afficher leur détermination à ne tenir aucun compte des palabres diplomatiques de l’Union européenne et à faire prévaloir l’accomplissement de leurs plans agressifs, élaborés sans la moindre concertation : vingt-quatre heures avant l’ouverture des discussions à Minsk, le Lt. Gen. Frederick « Ben » Hodges, commandant des GI’s en Europe, trouvait opportun d’annoncer que l’armée de Terre US allait assurer l’entraînement de six cents combattants de l’armée ukrainienne. Il ne pouvait afficher plus magistralement le dédain des États-Unis pour les efforts déployés par l’Union européenne en faveur de « la paix ».
Quand bien même se dessinerait malgré tout un scénario fort peu crédible montrant les dirigeants européens résolus à exercer et à maintenir fermement leur pression sur les États-Unis pour qu’une issue pacifique soit trouvée au conflit ukrainien, il n’y aurait guère, en réalité, que la France, l’Allemagne, et quelques autres, pour s’opposer à Washington. La Pologne, les États Baltes et la Roumanie soutiennent sans la moindre réserve la politique ouvertement antirusse que les États-Unis conduisent dans cette région. Vu la déchirure nord-sud qui affecte déjà l’Union européenne, il est peu probable qu’Angela Merkel prenne le risque d’y ajouter une fracture supplémentaire opposant les États de l’Est (hostiles à la Russie) à ceux de l’Ouest (favorables à une approche pragmatique des relations avec la Russie).
La Russie, confrontée à des voisins acariâtres et inamicaux
Pour finir, on est bien obligé de constater l’hostilité absurde manifestée par les pays situés aux frontières occidentales de la Russie, à l’égard de leur grand voisin. Ces pays embrassent ouvertement une politique inamicale et russophobe. Les élites polonaises, baltes et roumaines nourrissent des ressentiments envers Moscou et s’ingénient à mêler les États-Unis à leurs querelles. En internationalisant les conflits bilatéraux qui les opposent à la Russie, et en s’efforçant d’obtenir l’appui d’une grande puissance, ces États de second rang et leurs politiques extérieures régionales accèdent ipso facto à l’arène des grands où se débattent les enjeux majeurs de la politique internationale. Ils élargissent ainsi leur audience sur la scène internationale en favorisant du même coup la réalisation de leurs ambitions particulières. Mais il y a un prix à payer, car ce petit jeu fonctionne dans les deux sens : les États-Unis utilisent ces pays en retour au service de leurs objectifs politiques propres dans la région. Dans le cas présent, ce pourrait bien être la faculté de s’abriter derrière la Pologne et la Roumanie pour livrer discrètement des armes à l’Ukraine.
Aussi longtemps que ces États frontaliers de la Russie perpétueront le climat et les postures farouchement antirusses qui prévalent actuellement, ils continueront d’entretenir des pommes de discorde avec la Russie et se saisiront encore et encore de ces opportunités pour solliciter l’aide des États-Unis pour résoudre ces conflits.