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Les bases américaines de Manas et Futenma : Washington au pied du mur

Les négociations entre les États-Unis et le Japon sur les bases militaires américaines se tiennent à Tokyo sur fond de protestations. En cas d’erreur au cours de ces négociations, le premier ministre japonais Yukio Hatoyama pourrait perdre son poste car, selon les sondages, il n’est soutenu que par 20,7% des électeurs, contre 72% initialement.

Mais comment ne pas faire d’erreur ? A vrai dire, Hatoyama n’a pas beaucoup de solutions quant au comportement à adopter, quoi qu’il fasse, ce sera mal considéré, et ne rien faire est encore pire. D’ailleurs, les maires de trois petites villes japonaises de l’île de Tokunoshima doivent se rendre à Tokyo jeudi et vendredi. Ils réaffirmeront au premier ministre leur opposition au transfert sur leur sol de la base américaine de Futenma (Okinawa). Lundi dernier, le premier ministre est rentré d’Okinawa. Il a déclaré au cours de ce voyage qu’il ne réussirait pas à transférer la base de « marines » américains de Futenma à Takunoshima, car les habitants s’y opposent.

Il n’y a pas là, semble-t-il, de quoi fouetter un chat, car il ne s’agit que de deux mille « marines ». Futenma n’a pas d’envergure de la base aérienne de Kadena qui est toute une ville, alors que la petite base de Futenma est située dans des quartiers densément peuplés, le bruit des moteurs empêche les écoliers japonais de travailler, et nombreux sont les autres problèmes. Les habitants protestent. En 2006, l’ancienne administration américaine avait conclu un accord avec l’ancienne administration japonaise selon lequel Tokyo trouverait un autre endroit pour les « marines ».

Or, rien n’a été trouvé. Les habitants de Takunoshima (ils ne sont que 25 000) ne veulent pas que des « marines » marchent dans leurs rues, qu’ils parlent une langue étrangère, que le poisson soit effrayé et s’éloigne des côtes ou que les oiseaux s’envolent.

Quelles que soient les raisons de ce refus, la petite base américaine au Japon pose un problème insoluble : la laisser là où elle est ? Impossible. La transférer ? Impossible.

Toutes les bases militaires, nationales ou étrangères, posent toujours des problèmes. Matériel lourd, bruit des moteurs, jeunes soldats avides de plaisirs… Mais quand la base est étrangère, elle suscite encore une question supplémentaire : pourquoi se trouve-t-elle à cet endroit, et quels intérêts sert-elle ? Certes, la base fait souvent partie intégrante de l’économie locale et rapporte des revenus, comme par exemple aux Philippines où les habitants de deux villes, Angeles et Olongapon, se sont prononcés en faveur du maintien des bases américaines.

Mais ce sont là des cas particuliers qui le restent tant qu’on ne se pose pas la question de la nécessité de ces bases. Or, c’est justement la question qui se pose ici.

La situation est analogue en ce qui concerne la base américaine de Manas au Kirghizstan. Michael McFall, le conseiller du président américain pour la sécurité nationale, s’y est récemment rendu en vue de s’entretenir avec les nouveaux dirigeants du pays. Bien entendu, il ne s’agissait pas seulement du problème des bases. La question des bases, ainsi que les scandales survenus entre militaires américains et autochtones, ont certainement été au menu des négociations.

Mais en ce qui concerne Manas, le tableau est relativement – et théoriquement – clair. Cet aérodrome est nécessaire à l’acheminement des renforts américains en Afghanistan où la guerre se poursuit. Les objectifs annoncés par les États-Unis sont clairs pour la Russie, le Kirghizstan et leurs voisins. Du moins en paroles. L’été prochain, la base sera nécessaire pour l’opération inverse, à savoir le retrait des troupes d’Afghanistan. Ensuite, le problème fera l’objet d’un traitement à part. On pourra rappeler comment l’administration Bush avait tenté de profiter de sa présence militaire en Asie centrale pour y établir son influence politique, et évincer la Russie et la Chine de cette région (quant à la guerre en Afghanistan, elle y avait échoué). On pourra aussi ne pas le rappeler.

En ce qui concerne le Japon, le problème est différent et d’une ampleur bien plus grande. Il est en gestation depuis plusieurs décennies et une fois posé crûment, il devient évident que la situation est bien pire qu’on ne pouvait le croire.

Les bases américaines furent installées au Japon parce que ce pays avait essuyé une défaite à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En fait, c’est le même héritage du régime d’occupation que des bases américaines analogues en Allemagne. Kadena et d’autres bases japonaises étaient nécessaires à l’Amérique pour mener la guerre d’Indochine dans les années 1960-1970 et pour la "dissuasion" stratégique de l’URSS et de la Chine. Ces bases étaient nécessaires aux Japonais pour développer leur économie en économisant pour la défense et pour charger les États-Unis de la défense du Japon, ce qui du point de vue économique était avantageux pour le Japon.

Or nous vivons aujourd’hui un siècle différent. Yukyo Hatoyama a accédé au pouvoir en promettant d’établir des relations nouvelles entre Tokyo et Washington. Il est vrai qu’il n’a pas expliqué lesquelles. Probablement, plus égales. On a eu le sentiment imprécis que la situation avait changé, mais dans quelle mesure, il faudrait y réfléchir. En analysant le rôle actuel joué par l’Allemagne en Europe, on constate que le Japon vit toujours à l’époque « d’après-guerre ». Il est permis de se poser la question de l’opportunité d’avoir des bases et s’il faut exercer la dissuasion à l’égard de la Russie ou de la Chine ?

Ces réflexions interminables sur le nouveau rôle du Japon dans le monde et l’essence de son nouveau partenariat avec les États-Unis ont cédé le pas à la crise actuelle autour des bases militaires.

Yukyo Hatoyama a promis de donner une réponse sur le déménagement de la base de Futenma avant la fin mai. Un sommet américano-japonais à ce sujet s’est récemment tenu aux États-Unis où Hatoyama a déclaré qu’il allait d’abord sonder l’humeur de ses électeurs. Il s’avère que celle des habitants des villes des îles japonaises, et aussi les réflexions sur la question de savoir si la Seconde Guerre mondiale avait vraiment pris fin ou pas, ont formé un écheveau difficile à démêler.

Hatoyama est pressé par le temps, mais ce n’est rien en comparaison avec les problèmes rencontrés par toute la politique étrangère de l’administration américaine qui se trouve toujours à court de temps. Les changements se produisent trop rapidement dans le monde, difficile d’y mettre un frein et plus difficile encore de formuler de nouveaux objectifs. En effet, l’accord conclu avec le Japon en 2006 était un produit de la politique non pas même de Bush, mais de son Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld considéré actuellement comme le symbole de l’échec global américain. Par conséquent, c’était un produit d’une autre époque. Bref, alors qu’il ne s’agissait que de transférer une petite base militaire américaine sur une île japonaise calme, on ne sait sur quelle fourmilière le pied a été posé...