Egalité et Réconciliation
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Les biocarburants provoquent des famines

L’essence rapportant plus que les vivres, de plus en plus de firmes se mettent aux plantes « énergétiques » produisant des « biocarburants ». Ce qui accroît la pauvreté et le nombre des champs de plantes transgéniques. Dont le pollen va polluer les semences non transgéniques. Les firmes concluent de puissantes alliances et achètent des instituts universitaires entiers. Et pourtant ce qui à l’avenir peut assurer nos déplacements, ce n’est pas l’agriculture, mais une voiture électrique efficace.

« Tout cela n’a rien à voir avec les énergies renouvelables, mais sert à prolonger l’économie pétrolière » déclare l’Américain Eric Holt-Gimenez du « Food First Institute ». « Des investissements mondiaux massifs dans le biodiesel et le bioéthanol résolvent certains problèmes – mais ceux de l’industrie agroalimentaire et des transgènes, des banques et des politiciens » selon l’ex-collaborateur de la Banque mondiale. Par exemple, les petites raffineries d’éthanol créées par des agriculteurs ont été achetées par Archer Daniel Midland, l’une des plus grosses firmes agro-alimentaires mondiales. D’énormes raffineries d’éthanol jaillissent du sol, pour le plus grand bonheur des instituts financiers. Quant aux politiciens, plus besoin de préparer les électeurs à réduire leur consommation : on parle désormais d’un « OPEP de l’éthanol » sud-américain.

C’est surtout l’industrie du génie génétique qui se frotte les mains à la vue du débat sur le climat : elle escompte que les plantes énergétiques rencontreront beaucoup moins de résistance que l’autorisation d’alimentation humaine ou animale génétiquement modifiées. Ce que Monsanto et Cie oublient toutefois de préciser, c’est que les plantes énergétiques transgéniques se dispersent tout autant que les plantes transgéniques vi vrières. On pourrait ainsi faire entrer la pollution transgé nique des plantes vivrières par la petite porte, et permettre une percée définitive des manipulations génétiques. Sans compter que les carburants sont produits à partir des trois plantes les plus manipulées génétiquement, et de loin : le colza, le maïs et le soja.

Un recours illimité aux manipulations transgéniques et aux traitements chimiques ouvre des perspectives de profit presque sans précédent. Et il y a longtemps que la poli tique peut compter sur l’industrie : l’UE veut couvrir d’ici à 2020 10% de ses besoins en carburants avec des « biocarburants », le Brésil espère que l’éthanol issu de ses plantations de betteraves sucrières concurrencera l’OPEP, et dans des pays tels que la Malaisie la forêt pluviale recule au profit des plantations de palmiers à huile dont les fruits doivent remplacer le diesel.

Même dans la très anti-transgénique Au triche des politiciens défendent ouvertement les manipulations génétiques sur les plantes énergétiques : « Et si nous voulons vraiment tirer quelque chose de la biomasse, là – et là seulement – il faut envisager les plantes transgéniques », a par exemple déclaré Wilhelm Molterer,1 un « vieux de vieille de l’ÖVP ». L’ex-commissaire européen à l’agriculture, Franz Fischler, qui, non content de présider le Forum écosocial (!) européen, est aussi membre de l’IPC (cf. chapitre 9) en amont de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en a encore rajouté : « Sans vouloir jouer les prophètes, je dois me déclarer convaincu que nous serons contraints de recourir aux biotechnologies vertes », écrit-il dans le contexte du changement climatique.2 Parlant des manipulations génétiques en agriculture, il ac cuse les Autrichiens de « traîner une mentalité de jardins ouvriers » et d’être « complètement schizophrènes ». Mais la véritable schizophrénie, c’est de vouloir combattre le changement climatique au moyen des manipulations génétiques. Jusqu’ici aucune plante transgénique à usage commercial n’a fourni de meilleurs rendements que les plantes classiques, bien au contraire : les plantes transgéniques sont souvent plus sujettes aux maladies que les autres et constituent donc la première cause de mauvaises récoltes. L’extension des manipulations génétiques nous menace donc plutôt du « plus grand désastre écologique de tous les temps » selon les mots du Prince Charles d’Angle terre à l’été 2008.3

Les firmes collaborent entre elles

Il y a des profits colossaux à la clé. Les brevets sur les plantes vont remplacer « l’or noir ». Rien d’étonnant à ce que de grandes firmes pétrolières, automobiles, agroalimentaires et spécialisées dans les manipulations génétiques pratiquent un rapprochement : VW avec Archer Daniels Midland Company (ADM), l’une des plus grosses firmes transforma trices de produits agricoles ; ADM avec le géant du génie génétique, Monsanto ; Monsanto avec BASF ; DuPont et BP ; BP et Toyota ; Daimler Chrysler et Renault, Royal Dutch Shell, Sasol, Chevron, Neste Oil et Volkswagen. Syngenta projette de cultiver un maïs transgénique exclusivement destiné à la production d’énergie. Les organisations environnementales et de consommateurs exigent surtout que l’on recherche si les maïs dit génétiquement modifiés à l’amylase peut provoquer des allergies, puisque ce dernier peut aussi passer dans l’alimentation.

Pour prévenir les résistances, l’industrie essaie de plus en plus de mettre la main sur la science. L’exemple le plus flagrant est fourni par le géant pétrolier BP qui a conclu en novembre 2009 – entre autres – un accord avec l’Université de Berkeley en Californie pour « la recherche d’énergies durables » – un contrat pour lequel BP a versé la somme incroyable de 500 millions de dollars. C’est de loin la plus grosse contribution jamais fournie à la recherche publique de toute l’his toire des USA. Les plantes destinées à pro duire des biocarburants doivent – dans le jargon des spécialistes en relation publique – être « optimisées » par des modifications génétiques, et on emploiera pour la transformation en carburants des enzymes provenant de microorganismes transgéniques. « Je suis convaincu que toutes les plantes utilisées par les hommes seront un jour des plantes transgéniques » – une citation de Chris Somerville, futur directeur de l’institut pour l’énergie et les sciences biologiques qui va être créé dans le cadre du contrat avec BP.

« De la prostitution »

Bien qu’ils n’aient pas réussi à empêcher la fondation de l’« Institut BP », la résistance des professeurs, des autres membres du personnel et des étudiants à cette convention a été et reste très forte. Le professeur Ignacio H. Chapela a traité l’affaire de « prostitution ». « Ces organismes (génétiquement modifiés) ne sont pas l’image de la science. S’ils représentent quelque chose, c’est notre incapacité en tant que scientifiques à avouer que notre compréhension des organismes vivants et de l’écologie de notre planète reste largement insuffisante. » Poursuivant son discours incendiaire il exposa que « bien que nous ayons investi le tiers d’un siècle de recherches et plus de 350 milliards de dollars dans ces fatras, nous sommes toujours mieux à même de prévoir une tornade et nous savons mieux contrôler un incendie de grande ampleur que des organismes génétiquement modifiés. Et nous avons eu depuis la preuve qu’ils représentaient une catastrophe scientifique, sans parler de leurs conséquences environnementales et sociales. »

Les plantes énergétiques, surtout transgéniques, ne sont pas utiles à l’homme, mais aux firmes exclusivement. L’Europe ne dis pose en outre pas de surfaces arables en quantité suffisante pour couvrir ses besoins en carburants. Restent les pays pauvres, qui perdent ainsi des terres dont ils ont un besoin urgent pour se nourrir. Les plantations de palmiers à huile peuvent en outre induire des catastrophes : « Nous avons pu prouver que ces plantations et le brûlage des forêts pluviales et des tourbières dégagent du CO2 en quantité plusieurs milliers de fois supérieure à ce que permettra d’économiser l’huile de palme produite. Et donc le bilan climatique est désastreux » déclare Florian Siegert, de l’Université de Munich.4

Ce qu’il nous faut, ce sont des gens « simples », qui ont du bon sens, et non des gourous. Il s’avère de plus en plus que ce sont précisément les politiciens, ces « sauveurs de l’humanité » autoproclamés, qui font office en réalité de sauveurs de l’industrie du transgénique : en 1996, lorsque les premières plantes génétiquement manipulées ont été commercialisées aux USA, Al Gore était vice-président depuis plusieurs années déjà. Avant les élections présidentielles de 2000, il a déclaré sur son site que les produits génétiquement modifiés « accroissent les rendements, permettent d’éviter certaines maladies et diminuent le recours à des pesticides, engrais et autres intrants. » Le temps lui a donné tort. S’il était élu président, « il continuerait à soutenir financièrement la recherche agricole et à combattre les restrictions commerciales imposées par l’étranger, basées sur la peur et le protectionnisme » – des menaces proférées en direction de l’UE.5 Gore peut dormir sur ses deux oreilles : devenu Président, George W. Bush a repris ce combat. Gore encaisse 170 000 dollars pour chacune de ses conférences qui consistent le plus souvent en un plaidoyer en faveur des biocarburants et servent donc indirectement le génie génétique.6

Déportation et mort

Tandis que les agrocarburants rendent plus riches encore les quelques-uns qui le sont déjà, ils plongent massivement dans la misère les pays pauvres : par centaines de milliers de petits propriétaires brésiliens ou colombiens ont déjà été chassés pour faire place à de gigantesques plantations de canne à sucre ou de soja. En 2006, rien qu’au Brésil, environ 40 000 familles ont été chassées ou déplacées par force hors de leurs terres, selon la Pastorale chrétienne œcuménique (CPT).7 Le boom de l’éthanol y aurait contribué. Le quotidien britannique « The Guardian » fait état de 200 000 travailleurs immigrés, véritables « esclaves de l’éthanol » qui à travers le pays travaillent dans les plantations de canne à sucre pour 100 dollars par mois8. Ceux qui se refusent à vendre leur terre peuvent être en danger de mort. En juin 2007, le journal britannique « Sunday Times » rapportait l’assassinat du Colombien Innocence Dias, victime des paramilitaires.

Aujourd’hui poussent sur ses terres les palmiers à huile de la firme Urapalma, produc trice de biocarburants. « Dias est mort parce que le monde devient écologique », commentait le journal britannique9. Devant cette évolution, la résistance s’accentue : par dizaines, des organisations allemandes de protection de l’environnement et d’aide au développement ont exigé de leurs représentants, dans une lettre à la Commission à l’environnement du Bundestag, « de ne favoriser en aucun cas l’industrie agroénergétique, mais de se battre pour de véritables économies d’énergie. »10 Dans un article paru dans le « Correio Braziliense », Frei Betto, le théologien de la libération brésilien bien connu, s’est montré choqué de l’euphorie nationale et internationale déchaînée par les biocarburants, car il les considère comme des « carburants de la mort ».11 C’est ainsi que le chef de l’Etat, Lula da Silva, a investi plusieurs milliards d’euros dans le détournement partiel du Rio São Francisco pour irriguer des monocultures de biocarburants au Nord-Ouest du pays – aux dépens des populations indigènes traditionnelles vivant du et au bord du São Francisco.

Selon Frei Betto, la récente frénésie de l’éthanol a déjà contraint les Brésiliens à dépenser, pour se nourrir, trois fois plus d’argent au cours du premier semestre 2007 que l’année précédente. Mais aucun des gouvernements ardents partisans de l’éthanol ne met en question les transports individuels. Selon Betto « Comme si les profits de l’industrie automobile étaient tabou, inattaquables. »

Pleins gaz vers la voiture électrique

Faudra-t-il renoncer à l’automobile, si nous n’avons plus le choix qu’entre le couple essence/diesel et les biocarburants ? Un simple calcul le prouve : il faut au moins changer de technologie. Une voie semble possible : « abandonner le moteur à combustion inefficace, pleins gaz sur la voiture électrique. » Et alors on peut passer entièrement à des énergies renouvelables : un hectare de panneaux photovoltaïques suffit à alimenter 300 voitures pendant un an, alors qu’un hectare de colza ne couvre même pas les besoins de deux voitures. La raison qui empêche de recourir à cette alternative logique, c’est que les voitures électriques ne nécessitent plus de stations-service, mais seulement des prises de courant. Les firmes perdraient tout leur pouvoir, les gens devenant d’un seul coup indépendants : il leur suffirait d’une installation photovoltaïque sur le toit, d’une batterie et d’une voiture électrique. La technique est au point depuis longtemps, et pratiquement toutes les firmes automobiles ont annoncé qu’elles peuvent mettre sur le marché des voitures électriques confortables. Maintenant, il s’agit d’exercer une pression politique pour abandonner complètement les moteurs à combustion.

Autres avantages de la voiture électrique :

– pas de gaz d’échappement

– presque silencieuse

– moins de 2 euros aux 100 km de consommation électrique

– indépendance

– assure la paix : pas de guerre pétrolière

– contribue à créer un monde plus juste : plus d’exploitation des pays pauvres.

– Tous les pays utilisent leurs propres sources d’énergie (renouvelables).

Pour que le monde vive en paix, chaque pays doit être autosuffisant sur le plan alimentaire (alimentation animale incluse) et en énergie. « Neutralité alimentaire et énergétique » pourrait être la formule magique de demain. De même qu’un pays neutre au plan militaire n’a pas le droit d’en attaquer un autre, un pays neutre sur le plan alimentaire et énergétique ne peut en exploiter un autre.

Extrait de livre de Klaus Faissner : Cyclones et incendies ravgeurs. Mort du génie génétique

Notes :

1 « Kurier » du 19 août 2007 2 « Der Standard » des 8 et 9 septembre 2007, page 20 3 « Daily Telegraph » du 12 août 2008 www.telegraph.co.uk/earth/ma... 4 ARD-Politmagazin [magazine politique d’ARD, 2e chaîne publique allemande, ndlt] « Report München » de mars 2007 www.br-online.de/daserste/re... 5 www.algore2ààà.com/agriculkture/agr_agenda2.htmlaur ; www.organicconsumers.org/ge/... 6 Raggam, Feissner : « Zukunft ohne Öl » (Un avenir sans pétrole, ndlt), Stocker-Verlag 2008 7 www.regenwald.org/regenwaldr... 8 « The Guardian » du 9 mars 2007 : www.guardian.co.uk/internati... 9 www.focus.de/wissen/wissensc... 10 www.regenwald.org/news.php ?id=766 11 www.regenwald.org/news.php ?id=760