Dans la crise sans précédent que traverse le monde agricole, des drames humains se jouent au quotidien dans la solitude des exploitations, une détresse à laquelle tente de répondre au mieux l’association Solidarité Paysans.
« À quelques années de la retraite, nous tombions dans un trou sans fond (...) la spirale va très vite, on n’osait plus ouvrir le courrier ». L’émotion est trop forte : des sanglots dans la voix, Corinne Jégou interrompt son témoignage devant l’assemblée générale de Solidarité Paysans/Bretagne à Rostrenen (Côtes-d’Armor).
« Le drame humain a été évité de justesse », reprend l’ancienne agricultrice. « On se demande vers qui on aurait pu se tourner si Solidarité Paysans n’avait pas existé ». Et de détailler : « l’équipe nous a entourés avec compétence et respect. On a pu tout mettre à plat avec elle, tout analyser, et rien n’a été décidé à notre place. Grâce à leur soutien à tous, on commence à relever la tête ».
Négocier avec les créanciers
En 2015, comme Corinne Jégou, quelque 250 exploitations agricoles et rurales, essentiellement des familles représentant environ 320 emplois, ont été accompagnées par l’association sur les quatre départements bretons, première région agricole française. Une augmentation d’environ 20% par rapport à 2014.
L’association a été pionnière dans le milieu agricole en matière d’écoute téléphonique, il y a une trentaine d’années. Les interventions, toujours sur demande des personnes concernées, se situent prioritairement en production laitière et de manière presque marginale en porc, pourtant une des productions phare de la région. « Parce que les éleveurs de porcs recherchent d’abord une solution en interne, au niveau de leur groupement de producteurs prioritairement », constate Fernand Cabaret, lui-même ancien producteur porcin, qui se sent « complètement dépassé » face à l’endettement de certains exploitants.
Car que faire quand le prix auquel les éleveurs vendent leurs produits est inférieur à leurs coûts de production ? « Nous apportons d’abord un conseil économique et juridique et, quand c’est possible, nous menons une négociation amiable avec les créanciers », explique Élisabeth Chambry, directrice de SP Bretagne. « Grâce à Solidarité Paysans, nous avons obtenu des rendez-vous (pour résoudre les difficultés) qu’on n’aurait jamais pu obtenir tous seuls », renchérit Corinne Jégou.
Une « soupape de sécurité » ?
Mais la négociation amiable ne suffit pas toujours. Face à des trésoreries extrêmement dégradées, la seule possibilité reste la liquidation judiciaire, une douzaine de cas en 2015.
« Il faut comprendre que derrière tout ça, il y a des gens qui souffrent. Il faut travailler en collectif pour aider à surmonter toutes ces difficultés », constate Morgane Guenégues, juriste au sein de l’association.
Pour faciliter la prise en charge de cette détresse humaine, chaque dossier est accompagné sur la durée par un binôme composé d’un salarié de l’association et d’un bénévole, généralement issu lui-même du milieu agricole. Car, pour Solidarité Paysan, le support juridique et économique n’est rien sans le soutien humain. Ce dernier peut aller jusqu’à l’amélioration de l’habitat face à des conditions de logement parfois très difficiles, en liaison avec la fondation Abbé Pierre.
Mais les effets de la dégradation économique finissent par se ressentir au niveau des adhérents de l’association qui expriment parfois leur lassitude. « J’ai l’impression par mon action de cautionner le système, d’être une soupape de sécurité pour ceux qui en profitent. Il y en a ras le bol », confie l’un des bénévoles.