Ou comment la prise de conscience des pays industrialisés de la dégradation de l’environnement durant le 20ème siècle est aujourd’hui devenue un moyen de conquêtes de nouveaux marchés, d’influence et de protectionnisme. Dans les années 70 les pays industrialisés commencent à avoir des préoccupations environnementales alimentées par la peur de la « quantité » : l’explosion démographique des pays du Sud stigmatisée par Paul Erhlich (1), mais aussi la disparition annoncée des ressources naturelles (minerais, bois) et énergétiques (pétrole et gaz naturel), provoquent panique et prise de conscience des effets désastreux du développement et de la croissance des pays du Nord sur l’environnement. Ce à quoi se rajoutent les risques que représente cette même croissance dans les pays du Sud qui se réveillent.
La Terre supportera-t-elle d’être exploitée sans limite ? Cette prise de conscience va crescendo. Les années 90, grâce à la révolution des systèmes et réseaux de communication et d’information et aux phénomènes de mondialisation, projettent au premier plan des préoccupations internationales l’environnement et sa préservation. Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) se multiplient et plus particulièrement les ONG environnementales qui, à l’inverse des ONG altermondialistes, travaillent en coopération avec les entreprises et les gouvernements. Elles prennent un essor et un poids considérables sur la scène internationale à grands renforts de financements privées et publics : WWF (World Wide Fund for Nature), Les Amis de la Terre…
Affluent ainsi en masse études scientifiques, alertes et constats affligeants de l’état notre planète : changements climatiques patents, épuisement de nos ressources naturelles, pollution, extinction d’espèces animales et végétales, déforestations massives, augmentation des rejets de CO2, etc. Le tout directement lié à l’activité humaine. L’environnement et le réchauffement climatique s’imposent comme des préoccupations majeures, surtout devant le développement rapide des nouvelles puissances des pays du Sud. Fleurissent ainsi sommets et conférences mondiales comme le Sommet de Terre à Rio en juin 1992 sur les rejets de CO2, la convention de Rotterdam en septembre 1998 sur les produits chimiques et pesticides, qui ont précédé la Conférence de Copenhague de décembre 2009 sur le CO2 également, pour ne citer que ceux-là. La communauté internationale veut se doter de mesures de préservation de l’environnement et célèbre unanimement le développement durable. Quitte à ne pas donner de suites… comme l’a affiché l’administration de G. W. Bush qui n’a pas ratifié les accords de Kyoto sur la réduction des rejets de CO2. C’est l’émergence d’une nouvelle économie : l’économie verte. Les pays du Nord articulent alors leurs positions commerciales internationales selon deux axes de puissance :
– L’opportunité commerciale que représente la conquête de nouveaux marchés. Ils dénoncent le développement anarchique des pays du Sud, leur manque de conscience de l’environnement, leur gaspillage des ressources naturelles… Pointent du doigt la pauvreté de leurs moyens et saisissent l’opportunité de développements pour leurs industries et leur agriculture, « devenues » entre temps propres. Les Mécanismes de Développement Propres (MDP) issus de Kyoto permettent aux pays pollueurs de s’amender d’une partie de leurs rejets de CO2 moyennant l’installation de nouvelles technologies propres dans les pays émergents. Les groupes occidentaux à l’instar du français Veolia saisissent là des opportunités de marchés. Gestion des déchets au Cameroun et distribution d’eau au Bengladesh par exemple.
– L’instrumentalisation des problématiques environnementales pour la protection de leurs économies. Au nom des vertus du « vert » et de la prise de conscience mondiale, ils tentent d’augmenter la protection aux frontières contre certains produits en provenance de pays ne s’étant pas engagés dans un processus de développement durable et de mutation de leurs infrastructures industrielles et agricoles. L’argument environnemental comme parfait alibi de protectionnisme. C’est l’exemple de la taxe carbone aux frontières de l’Europe demandée par La France et l’Allemagne pour les pays qui ne s’engageraient pas à réduire leur émission de CO2 lors de la prochaine conférence de Copenhague.
Corollairement, s’élève la voix des pays du Sud. Pourquoi seraient-ils comptables de l’insouciance environnementale des pays du Nord et devraient-ils aujourd’hui brider leur volonté de croissance et donc de puissance ? Pourquoi devraient-ils supporter des normes et réglementations pour ralentir et atténuer des changements climatiques causés par le Nord depuis plusieurs décennies ? L’exploitation et la raréfaction des ressources du sous-sol ne sont elles pas le fait des anciens colons ? Les pays émergents et en voie de développement trouvent là une opportunité de dénoncer les gouvernements du Nord et de négocier sur la scène internationale. La Diplomatie Verte, Green Diplomacy Network, fait son apparition et le rapport de forces s’engage.
Mais ce rapport de forces se transforme vite. Les gouvernements et les industries des pays occidentaux se sont appropriés et ont instrumentalisé la problématique du développement durable et de l’environnement pour développer et protéger leurs propres économies. Face à eux, les pays émergents comme la Chine, l’Argentine ou l’Inde, qui possèdent déjà une industrie et une agriculture développées et une stabilité politique, ont très vite compris l’intérêt pour leurs économies de s’adapter à ce nouveau diktat environnemental du Nord. Ils investissent donc massivement afin de rattraper et dépasser les pays du Nord en matière de développement durable, tant dans les infrastructures que dans les technologies et dans la manière de consommer. La Chine a ainsi lancé en 2006 la construction ex nihilo de Dongtan, une ville intégralement écologique et a décidé de faire de l’environnement son défi du 21ème siècle, l’article de Thomas L. Friedman du 26 septembre 2009 dans le New York Times illustre ses velléités de puissance face aux Etats Unis.
Emmanuelle Heurteux
Note :
(1) « La Bombe P », Paul Erlish, 1968