Finance, pouvoir d’achat, médias, écologie : voici un un échantillon des contrevérités proférées par le Président. Plus que tout autre, Nicolas Sarkozy aura contribué à décrédibiliser la parole politique. Mais il arrive au chef de l’État de tenir parole : quand il s’agit de promesses faites aux riches.
Quoi de plus classique, quand un président se situe à mi-mandat, que de faire le bilan des promesses de campagne honorées et de celles non encore tenues, dont on subodore qu’elles ne le seront jamais ? Pourtant, avec Nicolas Sarkozy, l’exercice ne semble pas de même nature que pour les présidences précédentes. Question de mesure, de personnalité et de morale. La mesure : on a assisté depuis 2007 à une offensive antisociale d’une violence inédite. La personnalité : le bling-bling, la vulgarité incarnée, du jamais vu à ce poste sous la Ve République. La morale : une baudruche, invoquée par ceux-là mêmes qui baignent dans le cynisme décomplexé, dont l’affaire Jean Sarkozy est une nouvelle marque. Alors voilà. Quand vient le temps d’examiner ce qu’il en est des promesses de Nicolas Sarkozy, un seul mot semble à la hauteur de la réalité : « bobards ». La rédaction de Politis en a réuni ici quelques-uns, parmi les plus gros. Ils recouvrent tous les domaines : politique, économie, écologie, société, culture… L’hyperprésident est hypermenteur. À eux tous, ces bobards forment une politique destructrice pour beaucoup, profitable à quelques-uns. C’est le plus inquiétant. Mais autre chose se joue au plan des représentations : l’entreprise de sape de la parole politique n’a jamais été aussi performante. De plans com’ relayés par des médias qui chantent les nouvelles parures culturelles du chef de l’État en « storytellings » absurdes où Nicolas Sarkozy apparaît maître de ses nerfs, c’est la crédibilité de ceux qui nous gouvernent qui est toujours plus entamée, et le divorce entre les élites et le peuple qui se creuse. Avec les conséquences qui en découlent. La plus grave n’est pas l’éclat de rire que provoque la lecture de cette déclaration du Président, lors d’une conférence de presse en janvier 2008 : « L’authenticité se lit sur mon visage […], personne ne m’a pris le doigt dans le pot de confiture du mensonge ».
Il avait dit que… Mais finalement…
Si l’on en croyait les promesses, le pouvoir d’achat des travailleurs augmenterait, les sans-abri trouveraient un logement, les projets industriels respecteraient l’environnement… Bernique !
Banques : « Elles devront financer le développement économique »
Au plus fort de la crise, dans un discours de Toulon resté dans les mémoires, Nicolas Sarkozy appelait, le 25 septembre 2008, à « moraliser » le capitalisme financier et déclarait : « Il faudra imposer aux banques de financer le développement économique plutôt que la spéculation. » Cette phrase mémorable est à mettre au Panthéon des mensonges les plus éculés car, plus d’un an après ce discours, les banques ont adopté l’exact contre-pied de l’affirmation présidentielle et soutiennent plus que jamais le capitalisme financier.
Or, Nicolas Sarkozy s’est engagé dans un plan d’aide aux banques de 360 milliards d’euros (320 sous forme de prêts et 40 milliards sous forme de fonds propres qui devront être remboursés) pour remettre en état de marche le système bancaire. Les crédits accordés aux ménages et aux entreprises ont malgré cela enregistré une baisse « d’une ampleur historique », au premier semestre 2009, indiquait récemment l’Association française des sociétés financières (ASF). En revanche, les multinationales du CAC 40 ont reversé cette année 37,5 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires (plus de 60 % des bénéfices), des milliards que les entreprises auraient pu investir directement dans le « développement économique » et l’emploi.
Répartition : « Il faut redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs »
Le Président du « pouvoir d’achat » a eu cette belle envolée ce même 25 septembre 2008 : « Ne pas donner tous les bénéfices aux dirigeants et aux actionnaires, en destiner une part plus grande à ceux qui par leur travail ont créé la richesse, redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs. » Or, les paquets de mesures adoptées ces deux dernières années contredisent largement le propos présidentiel. Au prétexte de réduire le déficit de l’État, l’empilement de taxes (taxe carbone, taxes locales et peut-être taxe sur les indemnités journalières en cas d’accident du travail), les hausses des prix, franchises médicales, hausse du forfait hospitalier et le déremboursement de certains médicaments sont autant de nouvelles entailles dans le pouvoir d’achat de la France d’en bas. 7,9 millions de personnes sont désormais considérées comme pauvres (avec moins de 900 euros par mois) ; parmi elles, 3,4 millions de travailleurs. Et le pays compte 3,5 millions de mal-logés. De plus, le chômage a explosé : dans sa nouvelle projection, l’Unedic annonce 509 000 demandeurs d’emploi supplémentaires en 2009, dont 328 000 indemnisés. Et l’on assiste à une explosion des inégalités de revenus. Or, Nicolas Sarkozy continue d’augmenter les exonérations patronales (28 milliards d’euros : c’est le coût pour l’État des compensations d’exonérations de cotisations sociales patronales cette année), notamment avec la suppression de la taxe professionnelle.
Crise : « Les responsables doivent être sanctionnés »
Toujours dans son fameux discours du 25 septembre 2008, Nicolas Sarkozy affirmait à propos de la crise que « les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage doivent être sanctionnés au moins financièrement ». Les bonus des traders n’ont rien à craindre, la BNP Paribas a, par exemple, provisionné un milliard d’euros de bonus, et leur paiement sera « différé », selon des nouvelles règles… totalement floues.
Lors du dernier Conseil européen à Bruxelles, le président de la République avait aussi affirmé « qu’il ne serait pas normal qu’une banque à qui nous octroierions des fonds propres continue à travailler dans des paradis fiscaux ». La situation n’a pas changé, et un décret de mars 2009 censé fixer les conditions de rémunération des dirigeants des seules « entreprises aidées » par l’État pendant la crise a montré les limites de l’engagement présidentiel : il est apparu très en deçà des tonitruantes déclarations sur les « patrons voyous ». En fait, actionnaires et grands patrons continuent de toucher de confortables dividendes, salaires ou avantages divers, sans qu’aucune enquête visant à établir leurs responsabilités ne soit engagée. Pourtant, l’ensemble des aides publiques aux entreprises représente en effet près de 65 milliards d’euros, dont 90 % sont financés par l’État. Les banques françaises qui ont reçu l’aide de l’État continuent d’exercer dans des pays ou territoires qui combinent fiscalité privilégiée et secret bancaire. La BNP Paribas n’a envisagé la fermeture que de quelques filiales dans les paradis fiscaux. Le décalage est grand entre les paroles et les actes sur cette question centrale.
Logement : « Plus de SDF d’ici à deux ans… »
« Je veux que d’ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid… », lançait le candidat Sarkozy, depuis Charleville-Mézières, le 19 décembre 2006. Près de trois ans plus tard, trois millions de personnes sont en situation de mal-logement ou sans logement en France. Christine Boutin, ministre du Logement et de la Ville, a été jusqu’à proposer en novembre 2008 que l’hébergement des sans domicile fixe devienne obligatoire passé le seuil des - 6 °C. La très attendue loi sur le droit au logement opposable (Dalo) du 5 mars 2008 n’aura pas suffi à réaliser cette promesse de campagne. À ce jour, 93,5 % des prioritaires parisiens du Dalo n’ont reçu aucune proposition de logement. Plus grave encore, les expulsions ordonnées par les préfectures continuent de plus belle, alors même que l’État est désormais le garant du droit de chacun à bénéficier d’un toit.
Le président de France Télévisions : « Nommé avec l’accord de l’opposition »
Le 5 février 2009, en réponse à une affirmation de David Pujadas, Nicolas Sarkozy avait été catégorique : ce n’est pas le président de la République qui nommera et révoquera le président de France Télévisions puisque le nom de celui-ci sera proposé par le gouvernement en Conseil des ministres au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Et qu’une fois cette candidature acceptée par le CSA, elle doit encore être transmise « aux commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat et, tenez-vous bien, ce nom doit être accepté à la majorité des 3/5, et l’opposition doit être d’accord avec la majorité pour accepter le nom ». Faux ! La nomination avec l’accord des 3/5 des commissions, qui traduirait un certain consensus républicain, avait bien été réclamée par le PS, mais le gouvernement s’y est opposé. Et le projet de loi adopté le 4 février, la veille de l’émission, stipule que le nom peut être… refusé à une majorité des 3/5. La nuance est importante car cela signifie qu’il suffira que le choix du président de la République soit approuvé par 2/5 des commissions, soit moins que la majorité, pour que sa volonté soit exaucée.
Écologie : « Les projets n’auront plus à prouver leur intérêt »
En conclusion du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy affirmait : « Nous allons renverser la charge de la preuve. Ce ne sera plus aux solutions écologiques de prouver leur intérêt. Ce sera aux projets non écologiques de prouver qu’il n’était pas possible de faire autrement. […] Nous allons appliquer immédiatement ce principe à la politique des transports. » Las, presque tous les projets autoroutiers engagés avant le Grenelle (2) ont été maintenus ! Une clause d’exception du texte final prévoyait de les poursuivre s’ils répondaient à des intérêts locaux ou économiques considérés comme supérieurs : elle est très systématiquement invoquée. Le tronçon Pau-Langon (A65) est l’un des plus emblématiques de la langue de bois grenellienne : utilité économique très douteuse, impact sur la biodiversité locale, existence d’alternatives, etc. (3). Quant à la réforme du fret ferroviaire, actuellement en cours, elle vise la suppression d’un million de « wagons isolés » (petits volumes pour des dessertes locales) : de quoi provoquer un afflux de camions sur les routes pour assurer les livraisons dans les régions éloignées des grands axes.
Déchets : « Priorité au recyclage »
Au cours du même discours, le chef de l’État assurait que « la priorité ne sera[it] plus à l’incinération mais au recyclage des déchets. Il faudra prouver pour tout nouveau projet d’incinérateur qu’il s’agit bien de l’ultime recours ». La France est toujours une championne européenne de l’incinération, et l’on n’en voit guère le bout. Au moins deux projets d’incinérateur sont en flagrante contradiction avec la parole présidentielle : celui de Fos-sur-Mer, qui a déchaîné les passions pendant des années. Il est sur le point d’entrer en service ; et celui de Flamoval (Pas-de-Calais), très contesté (4), mais soutenu explicitement par le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo. À chaque fois, des projets alternatifs réduisant la part de l’incinération ont été écartés.
La filière bénéficie en fait de multiples « coups de pouce » qui finissent par constituer un ersatz de politique d’incitation. Tout d’abord, les nouveaux incinérateurs sont tenus de fournir de l’énergie à partir de la combustion des déchets. Ils y sont incités, mais seulement pour la production d’électricité, par des tarifs d’achat préférentiels incitatifs. Mais à rendement très médiocre : les deux tiers de l’énergie de combustion partent en chaleur dans l’atmosphère – sauf si l’incinérateur la livre à un réseau de chauffage urbain ou à un industriel, cas rare et qui ne fait pas l’objet d’incitations.
Autre aide déguisée : les incinérateurs bénéficient de baisses, voire d’exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui peut être divisée par 10 s’ils se plient à quelques exigences environnementales assez peu contraignantes. Par ailleurs, considérés comme une production d’énergie renouvelable, ils ne sont pas soumis à la taxe carbone. Au nombre de 130 en France, ils émettent pourtant autant de CO2 que 2,3 millions de voitures !
Afghanistan : « Je continuerai de rapatrier nos forces spéciales »
Le 26 avril 2007, dans l’émission « À vous de juger » sur France 2, Nicolas Sarkozy déclare : « La présence à long terme des troupes françaises dans cet endroit du monde [Afghanistan] ne me semble pas décisive. Le président de la République [Jacques Chirac] a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. » Le 7 novembre 2007, le président Sarkozy assure lors d’une visite officielle à Washington que la France restera engagée militairement en Afghanistan « aussi longtemps qu’il le faudra ». Le 26 mars 2008, il annonce devant le Parlement britannique un renforcement à venir de la présence militaire française. Le 3 avril 2008, le président Sarkozy déclare lors du sommet de l’Otan à Bucarest que la France enverra 700 hommes supplémentaires qui s’ajouteront aux 2 200 militaires français déjà déployés. Le 5 août 2008, la France prend le commandement « tournant » de la région de Kaboul. Le 22 septembre 2008, le Parlement français autorise la prolongation de l’intervention des forces armées. En janvier 2009, les premiers drones français de type opératif sont mis en place sur le théâtre afghan.
Retrouvez le dossier complet dans le numéro 1073 de Politis (1) Voir les sites www.secretsbancaires.fr (2) Voir fr.wikipedia.org, « projets d’autoroute en France ». (3) Voir www.asso-arlp.org (4) Voir www.apshsaintomer.fr