L’ancien directeur de la DST, M. Yves Bonnet, également président d’une délégation internationale d’experts chargée de la crise libyenne, qui s’est rendue à Tripoli et à Benghazi en mars et avril dernier, pense que la chute de Tripoli est liée à l’assassinat de l’ancien homme fort en Libye, le général Abdel Fattah Younes. Bonnet a également reproché au président Sarkozy d’avoir transformé la France de pays juste en pays occupant.
El Khabar : Comment évaluez-vous la situation en Libye à la lumière des derniers développements ?
Yves Bonnet : Je n’ai pas d’information sur la situation ni sur ce qui se passe sue le terrain, mais j’ai été franchement surpris du rapide retournement militaire, le CNT n’a pas autant de force pour entrer à Tripoli, mais nous avons subitement vu qu’ils y étaient parvenus. Je pense donc qu’il y a eu un soutien extérieur à l’opposition pour qu’elle puisse prendre Zaouia puis la capitale Tripoli.
Y a-t-il eu des éléments étrangers sur le terrain parmi les rebelles qui les ont aidé à remporter la bataille, je l’ignore mais cela est très probable, surtout que le monde entier sait que les rebelles n’avaient pas la force militaire suffisante pour entrer à Tripoli et encore moins la contrôler. Autre chose qui me préoccupe, l’assassinat du général Abdel Fattah Younes, je me demande pourquoi il a été tué, si c’était une opération sur commande afin que quelqu’un d’autre soit mis à sa place ?
El Khabar : Voulez vous dire qu’il y a un lien entre la chute de Tripoli et l’assassinat de Abdel Fattah, le chef militaire de l’opposition libyenne ?
Yves Bonnet : L’assassinat du général Abdel Fattah, l’homme fort et dont personne ne pouvait remettre en cause les décisions, lorsqu’il est tué d’une manière aussi abjecte, égorgé puis brulé, cela signifie qu’il représentait un problème pour eux, il n’a pas été tué seul mais avec deux de ses plus proches collaborateurs. C’est une opération très étrange.
Le plus étonnant est la réalisation d’une avancée militaire en faveur des rebelles immédiatement après son assassinat. Cela m’amène a me poser beaucoup de questions sur le fait de savoir si l’assassinat de Abdel Fattah était une demande d’un des pays pour pouvoir nommer quelqu’un d’autre à sa place à la tête de l’opposition armée. Cela pose une autre question : qui dirige les rebelles, ou plutôt quel pays a ordonné la liquidation de Abdel Fattah ?
El Khabar : Certains accusent la France d’être impliquée dans le dossier libyen, au point d’envoyer des forces françaises spéciales sur le territoire libyen, en plus du rôle politique et de l’envoi de personnes telles que Bernard Henri Levy et le premier ministre Dominique de Villepin, qu’en pensez-vous ?
Yves Bonnet : Je n’ai pas d’informations sur la présence de forces spéciales françaises dans les territoires évoqués par Seif El Islam Kadhafi, mais il y a la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui est concernée par ce genre de choses. Sont-ils impliqués ou non, il faut s’en assurer sur le terrain. Ce sont à mon avis de graves accusations. Quant au rôle de la France dans la crise libyenne je pense que la France est sortie de son habituelle réserve, je pense que nous n’avons pas bien géré le dossier libyen, les italiens et les espagnols l’ont mieux fait, ils ont été plus rationnels que nous. Nous aurions dû suivre leur exemple.
Pour ce qui est de Bernard Henri Levy c’est une personnalité qui n’a pas la moindre expérience dans le domaine militaire, et c’est incorrect de le qualifier d’expert militaire. Concernant la visite de Dominique de Villepin en Tunisie dans le cadre de la médiation pour trouver une solution à la crise libyenne je n’ai pour être franc aucune donnée à ce sujet.
El Khabar :Auriez-vous donc un conseil à donner au président Nicolas Sarkozy ?
Yves Bonnet : Je ne suis pas en position de donner des conseils, mais je dirais que nous les européens et les français n’avons aucun intérêt à nous ingérer dans les affaires intérieurs de pays, la France doit respecter ses engagements internationaux et respecter ses engagements envers l’Afrique. Nous voulons véhiculer l’image d’une France juste et non d’un pays conquérant. Je ne sais pas, mais la France aurait par exemple dû demander l’aide de l’Algérie pour résoudre la crise libyenne. Je crains qu’il n’y ait des intérêts personnels sur la question du dossier libyen.
El Khabar : Comment voyez-vous alors l’avenir de la Libye à la lumière des récents développements ?
Yves Bonnet : Tout est possible en Libye nous ne sommes pas en France ou en Algérie pour pouvoir prévoir l’avenir. Comme vous pouvez le voir, l’entourage de Kadhafi a de nombreux et de violents clans ; Kadhafi a depuis le début connu de nombreuses trahisons, trahisons soutenues par l’occident. Je ne pense pas que la ligue arabe puisse avoir un rôle positif en Libye maintenant parce qu’elle a été dirigée depuis le début. Je préfère l’union africaine parce qu’elle est plus acceptable.