Depuis hier, les télévisions françaises, reprenant sans vérifier les informations « storytellées » de l’Elysée (faut quand même admettre que la machine est bien rodée) nous bassinent avec le leadership français que la France se serait attribuée dans la décision d’intervenir dans l’affaire libyenne et dans l’action militaire qui s’est engagée par la suite.
« La France en première ligne », « Sarkozy, commander in chief », « La France frappe la première », « Les avions français ont été engagés les premiers », « Le leadership français contre Kadhafi »…
Toute la journée de samedi a été consacrée à la récitation de cette belle histoire. Sans notre glorieux président, héritier de César, Talleyrand, Charles XII de Suède, Bismarck, Clausewitz, Sun Tzu, Ike et Churchill, rien n’aurait été possible.
Soumis à ce déluge uniforme autant qu’univoque, il est alors bon de se pencher sur la couverture des mêmes événements par la presse américaine, entre New York Times et Washington Post, organes de presse qui ont fait leur preuve en matière d’indépendance et de sérieux. Cette lecture permet (hélas, je dis bien hélas..) de mesurer l’écart entre la « vérité sarkozyste » telle que les télévisions françaises la serinent depuis hier et la dure, froide et objective réalité. De cette lecture, on peut tirer deux leçons :
1) Ce sont les Etats-Unis, seuls, qui ont décidé qu’il était enfin possible de se lancer dans l’opération diplomatique ouvrant la voie à l’emploi de la force contre la Libye.
2) Une fois ces opérations entamées, la France sarkozyste a été placée sous commandement américain et obéit depuis au doigt et à l’oeil à ce que disent et décident Hillary Clinton et le président Obama.
On reprend :
1) Un article visiblement très bien informé du New-York Times (à lire ICI en VO) décrit le processus qui a mené Obama à se décider à intervenir en Libye. Ce sont trois femmes, Hillary Clinton, Susan Rice (ambassadeur américain à l’ONU) et Samantha Powers (conseiller au National security council) qui ont convaincu Obama jeudi dernier (soit AVANT le show Juppé de vendredi devant le Conseil de sécurité) qu’il était possible d’intervenir sans risquer de se lancer dans une opération débouchant sur un nouvel Irak. Le président américain a pris sa décision parce qu’il a été alors convaincu par ces trois femmes que les pays arabes et africains l’approuveraient et ne verraient pas en lui un néo-Bush.
Par la suite, les Américains ont laissé les Français être les petits télégraphistes de leur décision, décision sans laquelle rien n’était possible. En clair, si les trois femmes en question n’avaient pas convaincu Obama, Juppé, Sarkozy et leur résolution se seraient fait retoquer à l’ONU. Du reste, il suffit pour s’en convaincre de lire attentivement le papier du NYT consacré aux coulisses du VRAI pouvoir où s’est joué la prise de décision contre Kadhafi : le nom de Sarkozy n’y apparait pas une fois…
2) Quant au leadership français dans la direction des affaires militaires depuis hier, un autre article du Washington Post (à lire ici en VO) vient réduire la communication sarkozyste sur le sujet à l’état de fable pour les enfants. En effet, dans cet article faisant le point sur le début des opérations militaires contre les troupes de Kadhafi, le Washington Post précise que l’ensemble de ces opérations est placée sous le commandement des forces américaines en Afrique. « The French sorties were followed quickly by the wave of missile strikes against Libyan air defenses. More than two dozen warships and a large number of warplanes made up the initial strike force, which was led by the U.S. military’s Africa command, a senior U.S. military official said. » Encore une fois, la réalité est cruelle : si leadership français il y a, il s’agit d’une politesse faite par les Américains à la France de Sarkozy, « Messieurs les Français, tirez les premiers… Parce que ça nous arrange… » Rien de plus.
Tout bien considéré, c’est assez accablant. Le président français, en campagne permanente, est en train d’instrumentaliser une juste opération militaire internationale en opération de communication personnelle dans le but de grapiller quelques points dans les sondages, le tout en racontant, pour faire les gros titres de l’actualité, une fable que la lecture des meilleurs journaux américains vient balayer en deux temps trois mouvements. Il est bien triste de constater que le président français ne peut donc rien faire, même pour livrer un juste combat, sans que cela soit nécessairement destiné à satisfaire son narcissisme exacerbé et sa campagne électorale permanente.