Le Président a rencontré Didier Raoult ce 9 avril, rendant encore un peu plus ambiguë la position de l’État à l’égard de la chloroquine. Celle-ci a longtemps oscillé et est toujours déterminée par l’avis d’une commission du Haut Conseil de la Santé publique, dont les liens d’intérêts de son président avec des laboratoires interpellent. Enquête.
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Emmanuel Macron s’est rendu à Marseille ce jeudi 9 avril pour rencontrer le professeur Didier Raoult. Celui-ci lui aurait dévoilé une nouvelle étude validant ses intuitions et son protocole de soin. Cette entrevue intervient après des semaines d’atermoiement au sommet de l’Etat. C’est que la position du gouvernement sur la chloroquine, dont l’efficacité médicale n’est pas encore établie selon les méthodes ordinaires des essais cliniques, a fortement évolué avec le temps. Ces hésitations en série ont fini par déboucher sur un décret timoré du gouvernement en date du 26 mars, autorisant le recours à la molécule pour les formes graves de Covid-19 en hospitalisation, alors que les défenseurs du protocole marseillais expliquent qu’il faut, au contraire, l’utiliser dès les premiers symptômes, pour éviter justement ces formes graves. Par ailleurs, la désormais fameuse chloroquine est toujours sujette à l’avis de la commission spécialisée « maladies infectieuses et maladies émergentes » du Haut Conseil de la Santé publique, dont les liens d’intérêts de son président Christian Chidiac avec le laboratoire pharmaceutique Gilead interpellent.
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Didier Raoult invité le 5 mars à l’Élysée
Didier Raoult est pourtant invité le 5 mars à l’Élysée par le chef de l’État pour participer au Conseil scientifique – dont l’infectiologue s’est depuis mis en retrait. L’intéressé nous raconte : « Cela s’est bien passé, j’ai dit ce que je pensais à Emmanuel Macron, mais il ne s’est rien produit de plus. »
[...] Du côté de l’Élysée, on explique que cette entrevue a été organisée à la demande d’Emmanuel Macron lui-même, qui entendait « associer Didier Raoult à cette réunion hybride » :
« Le Président ne se cantonne pas à prendre ses avis auprès de la haute fonction publique. Il collecte des informations autour de lui. Issu d’une famille de médecin, il a entendu parler des travaux de Raoult et sait qu’il n’est pas le Professeur Tournesol », souligne-t-on au Palais.
De retour à Marseille, Raoult continue de mener un premier test clinique sur 24 patients infectés, avec la combinaison de deux médicaments : un dérivé de la chloroquine, l’hydroxychloroquine, anti-paludique employé depuis 1949, associé à l’antibiotique l’azithromycine, déjà utilisé dans le traitement d’infection des voies respiratoires. Le 16 mars, il affirme que, six jours après le début de leur traitement, les trois quarts de ses patients ont vu leur charge virale considérablement baisser.
En réaction à ces annonces, le lendemain, le ministre de la Santé Olivier Véran déclare avoir « pris connaissance des résultats » et « donné l’autorisation pour qu’un essai plus vaste par d’autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients ». Bien que paraissant encourageants, les résultats de l’IHU de Marseille ne sont pas encore suffisants pour l’exécutif :
« Il est absolument fondamental d’asseoir toute décision de politique publique en santé sur des données scientifiques validées, et les processus de validation, on ne peut pas négocier avec. »
Problème : malgré l’absence de nouveaux tests scientifiques, plus les jours passent, plus la vision du protocole du professeur Raoult semble s’imposer dans une partie de l’opinion comme une solution immédiate à l’épidémie du coronavirus.
[...] Fin mars, outre-Atlantique, remettant en cause la nécessité d’essais cliniques en dépit des réticences de plusieurs de ses conseillers scientifiques, Donald Trump se met lui aussi à vanter les mérites de la chloroquine.
Un décret rectifié : informations contradictoires les 26 et 27 mars
Mais le Haut Conseil de la santé publique, lui, fait entendre un tout autre son de cloche le 23 mars, ce qui va conduire à l’écriture du décret encadrant actuellement sa prescription. « Le Haut Conseil de santé publique recommande de ne pas utiliser de chloroquine en l’absence de recommandation, à l’exception de formes graves, hospitalières, sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte », indique ce jour-là Olivier Véran. Incompréhensible position pour les partisans du protocole marseillais, qui défendent de l’utiliser dès les premiers symptômes.
Le 26 mars, surprise : dans les colonnes du Journal Officiel, la limitation aux « formes graves » a tout bonnement disparu du décret encadrant l’utilisation de la chloroquine pour traiter le Covid-19. Le texte prévoit en effet que « l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits aux patients atteints par le Covid-19 ».
[...] Patatras ! Dès le lendemain, un décret rectifié réintroduit une restriction à certains cas graves...
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Imbroglios au Haut conseil de la santé publique
Plutôt que l’effort de « lisibilité » invoqué par le ministère, le soudain revirement du gouvernement s’expliquerait davantage par le fait que le décret initial s’appuyait sur l’avis provisoire d’un membre de la commission spécialisée « maladies infectieuses et maladies émergentes », au lieu de la décision collégiale de l’ensemble du Haut Conseil. Ce membre n’est autre que Christian Devaux, ancien directeur d’unité en maladies infectieuses au CNRS, positionné en faveur du protocole de Didier Raoult, puisqu’il travaille depuis septembre 2016 à l’IHU Méditerranée, avec l’infectiologue méridional.
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Quant à savoir qui, au sein de la commission spécialisée « maladies infectieuses et maladies émergentes » du Haut Conseil, a poussé pour rectifier l’avis du gouvernement, Franck Chauvin botte en touche : « Je ne peux pas vous dire, je ne participais pas au groupe de travail et ne sais pas ce qui s’est passé ». La décision est en tous cas passée par le président de ladite commission, Christian Chidiac, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de Marianne.
Les liens d’intérêts de Christian Chidiac
Le profil de ce dernier mérite qu’on s’y attarde. Christian Chidiac déclare des liens d’intérêts (avantages, rémunérations et/ou conventions) avec de très nombreux groupes de l’industrie pharmaceutique : Pfizer, MSD, Novex Pharma, ViiV Healthcare, AbbVie, Eumedica... Mais aussi Gilead. Le laboratoire pharmaceutique qui fabrique le remdésivir, médicament concurrent de la chloroquine au sein des d’essais cliniques contre le coronavirus. En effet, entre 2014 et 2019, Christian Chidiac déclare plusieurs milliers d’euros d’avantages perçus en transports, repas, hébergements, inscription à des colloques, mais surtout en rémunérations pour l’écriture d’études scientifiques en tant qu’"expert" au service du géant pharmaceutique américain.
Plus troublant encore – qui plus est lorsqu’on préside une commission qui va orienter les choix de traitement du pays face à la pandémie –, sur la même période, Christian Chidiac déclare avoir siégé plusieurs fois au « board » de Gilead. À noter : la vice-présidente de cette commission responsable de conseiller la France dans ses choix thérapeutiques, Céline Cazorla, déclare elle aussi des liens d’intérêts avec Gilead. De même, Bruno Hoen, membre de la commission, déclare avoir siégé au « board » de Gilead.
Ces liens expliquent-ils également les atermoiements de la France à l’égard du professeur Raoult et de ses préconisations ?
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Christian Chidiac sur BFMTV le 6 mars 2020 :
Le point sur l’essai clinique Discovery (avec la Chloroquine, entre autres), un protocole de l’OMS, qui a lieu chez le Pr Chidiac à Lyon (23 mars 2020) :