Le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, Guillaume Poupard, a expliqué qu’aucune trace de hackers russes n’avait été relevée dans l’attaque de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron.
Dans une interview accordée à l’agence de presse AP le 1er juin, Guillaume Poupard, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui a enquêté sur le piratage de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, a déclaré qu’aucune trace de hackers russes n’avait été relevée.
Il a expliqué que l’attaque informatique était si générique et simple qu’elle aurait pu être perpétrée par pratiquement n’importe qui, ajoutant qu’il était possible qu’elle soit le fait d’une seule personne, dans n’importe quel pays.
À la veille du second tour des élections présidentielles, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron avait subi un piratage massif de ses données, qui avaient été diffusées sur les réseaux sociaux – le « MacronLeaks ». L’équipe du candidat avait dans la foulée dénoncé une opération qui relevait « de la déstabilisation démocratique ». « Cela s’est déjà vu aux États-Unis pendant la dernière campagne présidentielle », avait-elle ajouté.
L’allusion au piratage du camp démocrate américain sous-entendait que la Russie se cachait derrière cette attaque, étant donné que Moscou est accusé sans relâche – mais toujours sans preuve – d’être à l’origine de la fuite de documents écornant l’image d’Hillary Clinton, candidate démocrate malheureuse à la Maison Blanche.
Soupçons de cyberattaques russes véhiculés par En Marche ! durant la présidentielle
Les insinuations d’En Marche ! à l’occasion du « MacronLeaks » perpétuaient une paranoïa autour de la Russie dans le cadre des élections françaises, entretenue notamment par le rapport d’une société japonaise spécialisée dans la cybersécurité, Trend Micro. Cette dernière avait estimé probable, en avril, que le groupe de hackers russes « Fancy Bears » s’en soit pris à En Marche !, tout en précisant qu’il existait toujours une incertitude technique dans l’attribution des attaques informatiques. Ces accusations, bien que formulées sans preuves convaincantes, avaient reçu un large écho dans la presse française.
Début février, l’actuel ministre de la Cohésion des territoires Richard Ferrand, qui était alors le secrétaire général d’En Marche !, avait laissé entendre que Moscou travaillait à l’échec de son candidat. « Je dis qu’il y a [...] des centaines, voire des milliers, d’attaques sur notre système numérique, sur notre base de données, sur nos sites. Et comme par hasard cela vient des frontières russes », avait-t-il déclaré sur France 2.
Le ministre des Affaires étrangères russes Sergueï Lavrov a répété récemment que ces accusations ne se fondaient sur aucun élément tangible et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a démenti les insinuations sur une possible ingérence de Moscou, les qualifiant d’« absurdes ».
« Si Guillaume Poupard a pu le dire à la presse,
c’est qu’il en a eu l’autorisation »
En déclarant qu’aucun signe de hackers russes n’avait été révélé dans la cyberattaque contre la campagne d’En marche, le directeur de l’ANSSI va-t-il mettre fin aux accusations d’ingérence russe ? Le général Pinatel analyse la portée de cette annonce.
Le général Jean-Bernard Pinatel est expert en questions géopolitiques, en gestion des risques et communication, chef d’entreprise et auteur de plusieurs ouvrages dont Carnet de guerres et de crises. Il tient également le blog Géopolitique et géostratégie.
RT France : Le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) Guillaume Poupard a expliqué dans un entretien à AP qu’aucune trace de hackers russes n’avait été relevée dans l’attaque de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Cette déclaration est-elle selon vous étonnante ou inattendue ?
Jean-Bernard Pinatel (J.-B. P.) : Si Guillaume Poupard a pu le dire à la presse, c’est qu’il en a eu l’autorisation. Il devait probablement avoir cette information depuis quelques temps et attendre d’avoir l’aval du gouvernement pour en parler. Il s’agit certainement d’une des retombées de la rencontre à Versailles entre les deux chefs d’État français et russe. Cela montre qu’il y a une volonté du président français de dégel avec la Russie. C’est clairement un signe. Je pense qu’Emmanuel Macron a été convaincu par Vladimir Poutine que la Russie n’avait rien à voir avec ces cyberattaques et que cela allait probablement dans le sens des convictions des services de renseignement français. Tout cela signifie qu’Emmanuel Macron a une volonté d’aboutir à une relation d’État à État et non pas de vassal des États-Unis face à la Fédération de Russie. C’est un petit pas qui ne passera sans doute pas inaperçu en Russie.
RT France : Peut-on imaginer que les propos de Guillaume Poupard mettent fin aux accusations envers la Russie ou le doute subsistera-t-il ?
J.-B. P. : Cela prendra du temps. Les accusations politiques vis-a-vis de la Russie ont une source permanente : l’avis des anglo-saxons – aussi bien les Anglais que les Américains. Ils mènent une campagne de désinformation depuis des décennies vis-a-vis de la réalité russe. Ils n’ont jamais pris le virage de la Guerre froide pour des raisons stratégiques. Or, de nombreux médias français sont à l’écoute de ce qui se passe aux États-Unis et de ce que disent leurs médias. Les accusations ne vont pas s’arrêter comme ça. Il faudra qu’il y ait une période de travail de la part du président et du gouvernement pour expliquer que nous sommes sortis de la période antérieure vis-à-vis des relations franco-russes.
RT : Comment expliquer que cette déclaration d’une personnalité officielle française ne soit que très peu reprise par les médias du pays, eux qui avaient été si prompts à partager la rumeur d’une cyberattaque liée aux hackers russes ?
J.-B. P. : Les médias français ont été ces dernières années à la solde de la vision américaine en reprenant tout ce que leur donnaient les médias américains sans aucune vérification ou validation. Cette information doit les embêter un peu mais maintenant que cela a été dit, elle sera forcément reprise.
Il faut comprendre également que nous sommes en pleine campagne électorale. Il y a donc bien d’autres événements de politique intérieure qui apparaissent comme bien plus importants à traiter, à l’instar de l’ouverture d’une enquête par le procureur de Brest contre le ministre Richard Ferrand. C’est tout logiquement que les médias français sont actuellement plus tournés sur ces sujets.
RT France : À quel point les auteurs de ce type de cyberattaque sont-ils difficiles à retrouver ?
J.-B. P. : S’il s’agit d’une attaque bien menée par des professionnels et en particulier par un État, c’est intraçable. C’est bien pour cela que lorsqu’on désigne quasiment instantanément la Russie ou la Chine ou tout autre État, c’est de la rigolade ! Cela fait bien rire tous les spécialistes en cybersécurité.
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