En France une chose est sûre : on sait rigoler. En temps de crise – provoquée en grande partie par le Système –, les Français ont besoin de rire, alors le Système leur fournit de la nourriture divertissante, mais sous forme de croquettes, des croquettes recomposées à partir de déchets humoristiques. Il sort un film « comique » par semaine en moyenne, d’une qualité de plus en plus faible. Plus y en a, moins ils sont drôles. Ce qui n’empêche pas la machine à produire de continuer à produire, comme si de rien n’était.
C’est drôle comme l’augmentation de la quantité fait mécaniquement baisser la qualité de chaque produit. Car il s’agit d’un vulgaire produit, qui obéit aux mêmes lois commerciales et scénaristiques, toutes basées sur l’idéologie dominante.
C’est mauvais, le public s’en rend instinctivement compte, même le public le plus furieusement inculte : ces films ne remplissent pas les salles (moins de 20% de remplissage) mais les producteurs s’en foutent, du moment que c’est pré-payé par la télé qui a besoin de cette sous-production pour remplir ses cases le soir.
C’est pourquoi, à de rares exceptions près, c’est vite écrit, vite tourné, vite vendu et vite oublié. Quand ce n’est pas plagié (gain de temps et économies d’échelle), on l’a vu avec les humoristes de scène, que l’on retrouve généralement en tête d’affiche de ces bouses : Sisley, Elmaleh, Debbouze... Au moins Dany Boon et Franck Dubosc fabriquent-ils leurs produits de manière artisanale, sans copier les Américains.
Le cinéma comique français est devenu un produit manufacturé formaté et jetable, à l’obsolescence programmée.
Sur les 62 longs-métrages sortis et à sortir en 2017, nous en avons sélectionné 5, par hasard, en tapant « film comique français 2017 » et là, on a eu un vrai tir groupé. Sans le faire exprès. On est tombé sur Daddy Cool, et on a suivi la piste, dans la marge de droite, avec les bandes-annonces en enfilade. Rien n’a été prémédité. Nous sommes purs comme le chacal qui vient de naître.
Voici la sélection naturelle en question, dans l’ordre d’apparition sur la page YouTube (une chaîne américaine de vidéos, la même chose que notre Dailymotion national mais avec un lecteur moins naze).
À l’attention de nos lecteurs qui seraient tentés d’aller voir un de ces films :
toutes les bonnes vannes sans exception sont concentrées dans la bande-annonce !
Daddy Cool de Maxime Givare et Noémie Saglio (auteur du vulgaire et pornographique Connasse sur Canal+) avec Vincent Elbaz, l’acteur qui n’a qu’une expression. Noémie Saglio s’est fait un nom avec un téléfilm anticatholique qui mettait en scène des « religieuses déjantées » intitulé Les Voies impénétrables. Bandes-annonces :
Stars 80, la fuite, pardon, « la suite » avec Patrick Timsit et Richard Anconina (une scène où Jean-Luc Lahaye lance « mes copines sont au lycée » a été coupée au montage sur demande de l’association La Voix de l’Enfant), surfe sur le succès de la tournée des chanteurs des années 80. Le film sortira le 6 décembre 2017, à la Saint-Nicolas, le saint qui sauve les enfants. Il a été réalisé par Thomas Langmann, le fils de feu Claude Berri, le grand producteur :
Moins directement rigolo, plus fin, Le Sens de la fête avec Jean-Pierre Bacri, réalisé par Éric Toledano, l’homme du carton mondial Intouchables. Bacri, depuis son apparition dans Le Grand pardon, essaye de jouer dans des films plus personnels dans lesquels il peut donner libre cours à sa fameuse bougonnerie :
On en arrive à Knock, le remake du film en noir et blanc de 1951, un Knock revu et corrigé par un Omar Sy arrivé à son seuil d’incompétence dramatique, une catastrophe industrielle à 12,5 millions réalisée par Lorraine Lévy (la sœur du romancier pour dames Marc Lévy), avec Audrey Dana, Chantal Lauby... Là, on est en dessous de la fiction moyenne de France 3, avec ses bons sentiments, sa misère de réalisation, son ennui profond.
« Une galerie de personnages impressionnante avec Hélène Vincent, Sabine Azéma, Ana Girardot, Audrey Dana, Alex Lutz, Rufus, Pascal Elbé, Christian Hecq… En fait, pour chacun des personnages, on n’imagine pas un autre comédien… »
Tiens, Pascal Elbé, le comédien qui a appelé au lynchage de Dieudonné... Un comique, sans doute. On écoute Lorraine Lévy, interrogée par cinetrafic.fr :
« Je crois que le film repose aussi beaucoup sur la qualité de jeu d’Omar. Il le dit lui-même, c’est la première fois qu’il a dû aller vers un personnage. Il a beaucoup travaillé, et pas seulement sur le texte mais aussi sur la démarche, le phrasé. Il fait un énorme travail de fond. Il a une carrure et une stature qui impressionnent le public. Le public est heureux, il rit et est impressionné par Omar. »
La presse mainstream, pourtant très omarophile et communautarophile, a littéralement massacré le film et le jeu complètement plat d’Omar. L’antiracisme le plus infantilisant au cinéma comme en politique, ça ne marche plus. À part Le Sens de la fête, où l’on retrouve le duo Gilles Lellouche & Jean-Paul Rouve (qui avait exprimé son antifascisme lors de la sortie du biopic foireux sur Spaggiari) qui totalise déjà 1,7 million d’entrées, le reste fait grise mine (source Ozap) :
« Ainsi, la comédie française "Les Nouvelles Aventures de Cendrillon" de Lionel Steketee avec Marilou Berry, Arnaud Ducret et Josiane Balasko se contente de 347.000 spectateurs, soit le plus faible démarrage du réalisateur et près de 5 fois moins que "Les Nouvelles aventures d’Aladin" en octobre 2015. De son côté, la comédie dramatique "Knock" de Lorraine Lévy avec Omar Sy – qui a interrompu la promotion à quelques jours de la sortie –, Alex Lutz et Ana Girardot ne pointe qu’à 280.000 entrées, offrant à la réalisatrice le meilleur démarrage de sa carrière et à Omar Sy son plus faible lancement depuis "A vif !" (218.000 entrées en novembre 2015). »
C’est vraiment triste pour Marilou Berry et sa Balasko de mère, et un calcul rapide : il faudra au moins 2 millions d’entrées pour rentabiliser Knock, ce qui n’est pas gagné. Pour Cendrillon, c’est déjà foutu. Quand on ne fait pas le plein pendant les vacances scolaires... Peut-être essayer un Cendrillon à Auschwitz ? Il y aura du budget, de la promo, mais y aura-t-il des spectateurs dans les salles obscures ? Ça peut faire peur...
Trêve d’ironie, toute cette production systémique est déficitaire, mais les producteurs et les acteurs s’en foutent : ils sont payés, très grassement – c’est même ça qui provoque une bonne partie du déficit –, le CNC est passé par là, et les télévisions aussi en pré-achats. La désaffection du public n’arrête pas la machine, qui va tout droit vers une propagande projetée devant des salles vides. Exactement comme la presse qui fonctionne en vase clos, la pub (pour les journaux ou magazines les plus chanceux) ayant déjà financé la fabrication et la diffusion.
Nous voici donc avec une presse sans lecteurs et un cinéma sans spectateurs, ce qui est assez réjouissant. Seul le théâtre remplit, car une salle vide – sauf pour les pièces subventionnées et les spectacles de BHL – signifie la fin de la récré. Le système de production en série de films comiques tourne donc globalement à vide. La médiocrité fait fuir.
Conclusion : le peuple français n’est peut-être pas encore foutu !
Note explicative économico-politique pour lecteurs sceptiques
Les salles en France ont un taux de remplissage de 15% environ. Cela veut dire que le cinéma est une activité lourdement déficitaire. Ce sont la télévision (privée ou publique) et la subvention publique, via le CNC (qui se nourrit sur chaque entrée) qui sauvent le cinéma français. Et la cerise pourrie sur le gâteau effondré, c’est Canal+ qui supprime cette année 30 millions d’investissement dans le cinéma, un vrai désengagement... en faveur des séries, en théorie.
Ceux qui se demandent comment l’économie du cinéma peut être déficitaire en France quand l’année 2016 a battu des records avec 200 millions d’entrées, n’ont qu’à demander aux producteurs si tout va bien. En vérité, c’est une véritable cavalerie : il faut produire toujours plus pour espérer toucher le jackpot. Même un Luc Besson est dans la mouise, malgré ses films « grand public ».
90% des films ne sont pas rentables, chiffre officiel. La surproduction pour essayer de s’en sortir a mené logiquement à la chute de la qualité des produits, qui n’étaient déjà pas bien « frais », pour les raisons « politiques » que tous ici connaissent.
Alors, pourquoi ce système qui court sur les rochers sans pouvoir s’arrêter ne se casse-t-il pas la gueule ? Tout simplement parce que le cinéma est l’un des vecteurs de propagande les plus efficaces pour l’oligarchie : il touche principalement les 15-35 ans, au-delà de cette tranche les gens y vont de temps en temps, mais sans plus. La VOD ou les chaînes à la Netflix proposent mieux et moins cher.
Qu’on le veuille ou pas, vous financez, nous finançons tous ce cinéma qui va vers l’abîme – artistiquement et commercialement – même s’il n’y a pas que des navets. Mais la conjonction de la surchauffe d’un secteur chroniquement déficitaire et des besoins impérieux de la propagande accouche de cette montagne de films aussi indignes qu’indigestes.