Ancien juge antiterroriste, aujourd’hui vice-président au tribunal de grande instance de Lille, Marc Trévidic juge avec sévérité le projet d’extension de déchéance de nationalité aux binationaux nés en France. Pour ce magistrat expérimenté, cette réforme ne fera que créer des problèmes supplémentaires.
La Voix du Nord : Comment jugez-vous le projet annoncé par le gouvernement ?
Marc Trévidic : Il y a déjà des questions pratiques. Comment expulser un individu qui a toujours vécu en France ? Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu’un né chez nous ? Imaginons qu’un autre pays, par exemple le Maroc, vote un texte similaire. Une personne y aura passé toute sa vie et, d’un seul coup, le Maroc nous l’envoie car également français. On n’exporte pas un terroriste ! Que se passera t’il si l’Algérie, les États-Unis nous adressent des déchus ? Allons-nous les accepter ? Le Royaume-Uni est en train de réfléchir à une réforme analogue. Que va-t-il advenir des franco-britanniques dans cette situation ? En réalité, c’est faire beaucoup de bruit pour rien et risquer, vraiment, de fabriquer des apatrides.
La question de l’égalité se pose également. Dans notre pays, le principe est qu’il ne doit pas y avoir de distingo entre Français. Comment pourra-t-on réécrire la Constitution ? Enfin, on semble, ici, partir du principe qu’être français, ça se mérite. C’est peut être le cas des personnes qui acquièrent la nationalité. Quand on est né français, où placer la question du mérite ? La nationalité n’est pas un cadeau !
Y-a-t-il une efficacité apportée, ici, dans la lutte antiterroriste ?
Je ne la vois pas ! Une telle mesure, très certainement inapplicable, ne peut pas avoir de caractère dissuasif. Sa mise en oeuvre consommerait énormément d’énergie. Cette réforme créera davantage de problème qu’elle n’en réglerait.