La plaine steppique du Haouz, au Maroc, la puissante muraille du Haut Atlas au sud, la très renommée ville impériale de Marrakech, avec la Koutoubia et la place Jemaa el-Fna, haute en couleurs. Et entre les deux, une pauvre commune sans centre urbain, que personne hors de la région (et encore !) ne connaissait jusqu’à présent : Aït Faska. Typique du Maroc rural. Rien de bien particulier pour faire parler de soi. Jusqu’à ce qu’on apprenne récemment qu’un mémorial de la Shoah y était en construction. Et puis patatras ! Mais commençons par le début.
Oliver est né en 1982. Il n’est pas polonais, mais allemand, même si son nom, Bienkowski, signifie originaire de Bienkow, ou Bienkowo, localités de Pologne. Il a lu des livres et sait que pendant la Seconde Guerre mondiale, des juifs ont été tués. Beaucoup. Il a cherché dans les registres de Yad Vashem et y a trouvé son nom. Il ne sait pas si lien de parenté il y a, mais cela ne change rien : il est touché dans sa chair. Les homosexuels aussi ont été concernés. Et même les francs-maçons. Ils sont donc tous des victimes. Et Olli – son petit nom – ne supporte pas l’injustice.
Olli milite. Il a fait des études d’informatique de gestion et est à fleur de peau, un peu artiste dans l’âme, puisque ce n’est pas forcément une question de talent. Il se définit donc comme lightartist, artiste de la lumière, même si ça ne sonne pas bien en français, et guerilla artist (là, pas besoin de traduction), parce que le militantisme demande de la niake et de ne pas respecter les interdits. Il fonde l’ONG allemande PixelHelper et gagne un peu de notoriété en projetant sur des bâtiments du monde des slogans accompagnés d’illustrations picturales. Plutôt du côté de la bien-pensance, on s’en doutera. Pour les migrants, contre le Hezbollah, contre Erdoğan, pour la contrition occidentale… Des bâtiments du monde qui sont généralement des ambassades à Berlin. Ça demande moins de moyens que d’aller à l’étranger. Bon, le terme n’est plus à la mode, disons que ça coûte moins cher que d’œuvrer à l’international… C’est aussi moins risqué.
Olli avait fondé cette association (c’est bien ce qu’est une ONG !) après avoir vendu l’entreprise qu’il avait créée. Le gars est entreprenant. Et puis il a tout quitté en Europe et s’est installé au Maroc en 2014. Peut-être, comme Hamon et Mélenchon, ne supportait-il plus tous ces blonds… Ou bien voyait-il dans un pays exotique mais pas trop lointain, et qui accueille déjà beaucoup d’étrangers (quand c’est l’Occidental l’étranger, le terme doit pouvoir convenir à Olli), une opportunité de développement, comme autrefois ceux qui allaient dans les colonies pour tout recommencer. Si Olli nous lisait… Fini donc les projections sur des façades. Dénoncer, c’est bien, agir, c’est mieux. Surtout quand les dénonciations étaient d’une portée politique aussi pauvre que « Liberté, Égalité, Fraternité, Polygamie » sur le parlement à Paris, en référence aux coucheries de François Hollande, alors président. Olli s’engage donc au Maroc « dans une autre voie, dans l’espoir de changer la vie de millions de personnes à travers le monde » avec son projet PixelHelper. Olli n’a pas froid aux yeux et a confiance dans sa capacité à changer le monde. Ne dit-il pas que son association PixelHelper est « la première plateforme interstellaire d’aide humanitaire en direct » ?!!…
Compte tenu de ce qui va suivre, on va dire qu’Olli a eu une vision. Avec PixelHelper, qui va financer le projet, il jette donc son dévolu sur un site de la localité d’Aït Faska. Son projet est grandiose sur le papier. Faire dans le concret, dans le dur, afin de témoigner de l’Horreur passée tout en pouvant par ailleurs amuser les enfants. Bref, allier sensibilisation et gain d’argent, lequel, bien évidemment, permettrait encore plus de sensibilisation grâce à de nouveaux projets auto-financés, eux aussi artistiques. Olli veut créer un parc, qui sera donc aussi un mémorial. De la Shoah. La Shoah des juifs, bien sûr, mais aussi celle des homos et des francs-maçons. Un parc au nom vendeur : « Banksyland borderart park » ! Et qui, compte tenu de ce que l’on a pu en voir, aurait à coup sûr attiré du monde. Olli a pensé à tout afin de « montrer aux Marocains, notamment aux élèves, et aux juifs d’Israël l’horreur de l’Holocauste ». Sûr que les juifs d’Israël seraient venus au Maroc pour se sensibiliser à la question…
Petite visite illustrée, réalisée sans trucage, du parc en construction.
Le joli parc pour enfants, avec sa roue et une magnifique fresque sur laquelle on peut voir à gauche le symbole de la paix réalisé par deux militaires, à droite un panda bipède armé de pistolets (mais qu’est-ce que ça veut dire ?) et au milieu Phan Thị Kim Phúc, plus connue sous le nom de Kim Phuc, la jeune fille brûlée au napalm en 1972 par l’armée sud-vietnamienne, encadrée par Mickey et Ronald McDonald. De quoi réjouir les enfants du Maroc et d’ailleurs.
Le joli parc, ne l’oublions pas, est aussi un mémorial. Les grilles ne manquent donc pas de rappeler les camps de concentration. Les espaces rectangulaires figurent pour partie des tombes.
Le bleu utilisé ne manquera pas de rappeler la prestigieuse maison Majorelle de Marrakech du couple Pierre Berger-Yves Saint Laurent. Le premier, dans une lettre au second, rappelait avec nostalgie : « Comme ils étaient gentils et beaux, ces garçons marocains ! Ils jouaient tous au football, avaient le corps musclé. On avait avec eux des rapports qui ne sentaient ni l’argent ni la vulgarité. » Le parc d’Olli entend bien que l’on se souvienne aussi du mal fait aux homosexuels. Personne ne doit être oublié. Les enfants et leurs parents apprécieront.
La tour du magicien Saroumane est là elle aussi. Elle est clairement inspirée du film de Peter Jackson. Olli s’y est même fait prendre en photo avec un chapeau pointu…
L’œil de Sauron aurait peut-être fait un meilleur mirador, mais devait sans doute présenter quelques difficultés quant à la réalisation.
Les victimes homosexuelles de la Shoah ont le droit à une visibilité particulière. Le mémorial de Berlin est clairement une source d’inspiration pour Olli.
Les symboles francs-maçons ne sont pas oubliés. Le cuistot pose devant les fours de sinistre mémoire, mais qui font du bon pain. Il a visiblement oublié son costume, ou bien a droit à une dispense. Les autres, les maçons, ceux qui ont les mains dans le ciment, portent tous l’habit du déporté. Une petite touche du meilleur goût.
Olli, juif d’ascendance, frère la truelle (pour de vrai, on suppose d’un tout petit degré), peut-être aussi de la jaquette, semble cocher toutes les cases. Encore un peu enfant aussi, il pose ici en Indiana Jones, comme l’aventurier qu’il rêve d’être. Le 4x4 est garé à l’entrée du parc.
Le projet a été rendu public afin de faire affluer les dons, pas franchement au rendez-vous. Du coup, il a fait le buzz, ce qui est un bon coup de pub, mais s’est aussi fait remarquer des autorités marocaines, qui n’ont pas tardé à réagir. Le communiqué du ministère de l’Intérieur affirme que « les informations diffusées par certains sites et sur les réseaux sociaux concernant la création d’un projet par un citoyen étranger, comprenant un musée et de nombreuses installations, ainsi qu’un monument commémoratif sous la forme de peintures dans la commune d’Ait Faska (province d’Al-Haouz) sont sans fondement. […] Les autorités compétentes de cette région n’ont délivré aucune autorisation pour mettre en place un tel projet. »
Olli, candide, a d’abord affirmé qu’il avait toutes les autorisations et que tout allait s’arranger. N’agit-il pas pour le Bien ? Mais les bulldozers sont passés sur le projet d’Olli, qui a été interrogé par les autorités et semble s’être un peu dégonflé. Le projet n’a bien sûr rien de politique et évidemment l’arc-en-ciel est juste un arc-en-ciel, sans rapport aucun avec la communauté gay. C’est qu’au Maroc l’homosexualité est toujours réprimées, avec amende et peine de prison à la clef. Olli, par ailleurs, aurait même oublié de renouveler ses papiers de résident étranger. Le Maroc va-t-il lui permettre de connaître le sort de celui qu’on renvoie dans son pays ? La vie est bien dure avec Olli, qui avait créé son association pour être suivi, pour se faire suivre. Il faudrait maintenant qu’il comprenne qu’il y a d’autres moyens d’être pris en charge.
Le projet foutraque, dorénavant patraque :