Contrairement à ce qui est affirmé par les médias, c’est une victoire relative que viennent de remporter les islamistes marocains alors même qu’ils menèrent une très forte campagne de mobilisation et annonçaient un raz de marée électoral.
Leur victoire apparente n’est due en effet qu’à une nouvelle disposition constitutionnelle faisant obligation au roi de nommer un Premier ministre issu du parti arrivé en tête lors des élections législatives. Sans cela, ils auraient été mathématiquement écartés du pouvoir. Que l’on en juge :
Le parti islamiste PJD (Parti de la Justice et du développement) qui affirme à la fois sa « modération » et son attachement à la monarchie, a réuni 30 % des votants, soit 15% des inscrits, et obtenu 107 sièges sur 395 dans la nouvelle assemblée. Il est donc clairement minoritaire, à la fois dans l’absolu mais également face aux deux grandes coalitions sortantes. En renversant la perspective nous constatons en effet que 70% des votants ne lui ont pas accordé leurs suffrages et qu’au parlement, 288 députés appartiennent à des formations autres que la sienne.
Le parti arrivé en seconde position est l’Istiqlal, parti nationaliste historique ancré comme le PJD sur le terreau islamique et qui remporte 60 sièges au Parlement. En troisième et quatrième position, nous trouvons deux partis liés au Palais, à savoir le RNI (Rassemblement national des Indépendants) qui obtient 52 sièges et le PAM (Parti Authenticité et Modernité) 42 sièges, soit à eux deux quasiment autant que le PJD. En cinquième place, l’USFP (Union socialiste des Forces Populaires) poursuit son délitement avec 39 sièges, puis, arrivent le MP (Mouvement Populaire), parti berbériste monarchiste avec 32 sièges, l’Union Constitutionnelle avec 23 sièges et le PPS (Parti du progrès et du Socialisme) avec 18 sièges. Dix autres partis totalisent les sièges restants.
Les responsables du PJD ont déclaré qu’ils étaient prêts à former un gouvernement de coalition, ce que, avec sa légèreté coutumière, la presse française a salué comme une preuve de maturité politique. Or, cette « conscience démocratique » doit, elle aussi, être relativisée car le PJD n’a pas d’autre choix que de nouer des alliances. Il est même acculé à trouver des alliés puisqu’il lui manque au moins 90 sièges pour disposer d’une majorité de gouvernement.
Quelques réflexions et questions :
On ne peut comparer le référendum du 1° juillet 2011 sur la Constitution qui a rassemblé 72% des inscrits et les dernières élections législatives, avec un taux de participation de 45,4%. Le premier fut en réalité un référendum sur la Monarchie au moment où, monté en épingle par la presse internationale, un mouvement révolutionnaire agitait la rue, demandant sa mise sous tutelle ou même sa disparition.
Or, 99 % des Marocains, ont voté en faveur d’une monarchie certes modernisée, mais d’abord traditionnelle avec un roi qui continue à régner, même s’il ne dirige plus seul. Si le présent scrutin législatif n’a réuni qu’un peu plus de 45 % des citoyens inscrits sur les listes électorales -pour mémoire celui de 2002 n’en avait attiré que 37 %-, la raison de cette faible participation n’est pas à rechercher dans un désaveu du souverain, mais dans celui de la classe politique et de partis totalement discrédités.
Le roi Mohammed VI va laisser les partis jouer le jeu constitutionnel après avoir nommé un membre du PJD comme Premier ministre. Puis, deux cas de figure se présenteront :
1- Une majorité de gouvernement sera constituée avec pour conséquence la dissolution des revendications du PJD qui n’aura pas la force politique lui permettant d’imposer un retour en arrière au sujet des grandes réformes entreprises par le souverain au début de son règne, notamment le code de la famille.
2- Un blocage du système avec anarchie parlementaire et impossibilité de constituer une véritable et stable majorité de gouvernement, ce qui contraindrait alors le roi à intervenir pour mettre fin à la crise. Ne perdons pas de vue, et le règne d’Hassan II l’a montré, que chaque tentative d’instauration d’une démocratie véritable au Maroc a, par le passé, débouché sur des évènements gravissimes obligeant le souverain à reprendre directement le contrôle des affaires.
Autre question : le PJD a-t-il atteint son étiage ou bien ce scrutin n’est-il qu’une étape dans une lente et inexorable progression ? Ne va-t-il pas profiter du discrédit qui va encore davantage entourer des partis politiques s’entre-déchirant pour le pouvoir et ses avantages ? Ne risque t-il pas au contraire d’être emporté dans le tourbillon des intrigues parlementaires qui s’annoncent et dans ce cas, laisser filer ses électeurs déçus vers ces radicaux extra parlementaires qui contestent à la fois la monarchie et la notion de Commandeur des Croyants ?