« En grandes difficultés financières après les élections de 2017, le Rassemblement national a été sauvé par un prêt de 8 millions d’euros de Laurent Foucher, un homme d’affaires français très implanté en Afrique et proche de Claude Guéant. La somme a transité par une banque basée aux Émirats arabes unis. Des questions restent en suspens sur l’origine des fonds. »
À l’énoncé du titre de Mediapart daté du 4 octobre 2019, « Un prêt émirati de 8 millions d’euros a sauvé le Rassemblement national », on pourrait croire que ce sont les EAU qui ont sauvé le RN d’une semi-faillite, mais les choses sont plus complexes.
Pourquoi le FN avait-il besoin de ces millions d’euros ? Parce qu’il devait clôturer ses comptes de campagne dans la date limite de 11 semaines après le premier tour, soit le 7 juillet 2017. L’argent est arrivé in extremis à la Société générale, alors banque du parti de la droite nationale, et des questions se sont posées sur qui a prêté et pourquoi.
Précisons qu’aucune banque ne voulait avancer l’argent de la campagne au FN, qui avait pourtant toutes les chances de rembourser avec un score estimé de plus de 20 % au premier tour.
« Selon les informations obtenues par Mediapart, la somme a été avancée par Laurent Foucher, un homme d’affaires français bien connu en Afrique, sur la base d’un contrat de prêt signé à Bangui (République centrafricaine), mais sur des fonds dont l’origine n’a pas été clairement établie. L’argent a en effet été versé par Noor Capital, une société financière émiratie, sous la supervision d’un de ses responsables, le sulfureux financier franco-suisse Olivier Couriol, dont le nom apparaît dans plusieurs enquêtes pénales. »
Le sulfureux financier français Olivier Couriol, déjà cité dans des affaires de corruption liées à Airbus et au pétrole du Nigeria, est dans la tourmente pour avoir vendu de l'or du Venezuela. Par @SylvainBesson dans @mediapart https://t.co/CxNS4nFu0l pic.twitter.com/GbuBQD5epo
— Yann Philippin (@yphilippin) February 6, 2019
Laurent Foucher fait des affaires en Afrique, et l’on retombe sur les traces du fils Mitterrand et de Claude Guéant. Les petites bisbilles entre partis franco-français n’avaient semble-t-il pas cours en Afrique, où il était question de business et de gros sous. Le lien entre le FN et Foucher s’appelle Jean-Luc Schaffhauser, député européen du parti de droite nationale.
- Jean-Luc Schaffhauser
« Rien ne prédisposait l’homme d’affaires à prêter au parti d’extrême droite. Très présent en Afrique où il a des intérêts dans le pétrole et le secteur minier – et diamantaire –, dirigeant d’un opérateur de téléphonie désormais présent dans 26 pays, Telecel Group – 700 000 abonnés –, Foucher a été naguère représentant en Mauritanie de Jean-Christophe Mitterrand, alias « Papamadit ». Il devait ainsi gérer les apports de ce dernier dans une pêcherie. Plus tard, Foucher prend pour banquier conseil Jean-Charles Charki, le gendre de Claude Guéant. Il conduit d’ailleurs l’ancien ministre sarkozyste et son gendre dans un voyage mystérieux en Centrafrique en juin 2013. L’occasion d’une rencontre avec le président centrafricain d’alors, Michel Djotodia. »
- Laurent Foucher
L’explication de ce prêt par Foucher est toute financière : en prêtant l’argent au FN pendant 8 mois, l’homme d’affaires réalisait une plus-value de 6 %, ce qui est au-dessus des normes du marché, et effectivement, en mars 2018, après que l’État eût remboursé les frais de campagne au parti de Marine Le Pen, tout est rentré dans l’ordre.
« L’affaire » serait presque bénigne si la bande d’Edwy Plenel ne révélait que la société émiratie par laquelle sont passés les 8 millions, Noor Capital, était une financière d’investissement dont le département de gestion d’actifs est confié à Olivier Couriol, pas inconnu de la justice suisse.
« Ancien du Crédit suisse, Olivier Couriol est soupçonné d’avoir monté des structures offshore pour abriter des fonds détournés par un gérant de fortune suisse condamné en 2018 à cinq ans de prison. Dans l’affaire de la mine d’or de Kodiéran au Mali, qui fait l’objet d’une enquête pour corruption ouverte par le parquet national financier, il joue un rôle dans le transfert de 20 millions de dollars par Airbus à un intermédiaire. Dans un dossier de corruption pétrolière au Nigeria, il est aussi entendu et perquisitionné par la justice suisse à la demande de juges italiens. »
Toute cette opération n’a rien d’illégal, en soi, qu’on pense seulement au financement du RPR ou du PS alors aux affaires sur les ventes d’armes françaises dans le monde ou sur le pétrole gabonais.
Mais Mediapart suppose qu’il y a encore « quelqu’un » derrière, et ce troisième nom derrière Foucher et Couriol excite les papilles du site d’extrême gauche, qui a toujours voulu dénoncer le financement du FN. À une autre époque, c’étaient les sbires de Paul Moreira, sur Canal+, qui traquaient l’argent du FN jusqu’en Russie, les journalistes du Système se gardant bien d’enquêter sur les origines des fonds des deux partis principaux de l’alternance, adossés qu’ils étaient aux robinets à fric de la République, Elf Aquitaine, devenue Total, et Areva, chez qui des milliards auraient disparu dans de « mauvais » investissements...
Quant aux liens avec les multinationales de l’armement (Airbus, Thalès, Naval Group, Dassault, Nexter, safran) des grands partis de droite et de gauche qui se sont partagé le pouvoir, ils sont tellement étroits qu’on ne distingue plus les uns des autres, les postes de responsabilité dans ces grandes entreprises exportatrices étant éminemment politiques, et les ministres de la Défense successifs ne prenant pas une décision contre les intérêts de ces poids lourds économiques.
Face à ces superéchanges, les 8 millions du FN devenu RN ne pèsent pas lourd. S’attaquer à un parti qui a été fragilisé à dessein par Emmanuel Macron (qui a fait de même avec La France insoumise), c’est s’attaquer à un nain de la « magouille » au milieu de géants de la magouille !
Anecdote de Roland Dumas dans Politiquement incorrect (2014)
En juin 2014, l’affaire Bygmalion éclate dans la presse. C’est une agence de communication qui a surfacturé pendant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 des prestations à l’UMP, alors en difficultés économiques, un bon moyen de sortir du fric de la nasse. Bygmalion était le dispositif qui permettait au parti de Copé et Sarkozy de crever le plafond des dépenses de campagne, alors surveillées par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCF).
Un jeu de dupes puisque le mal était fait, un peu comme l’Autorité des marchés financiers pour la bourse ou l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, ex-Bureau de vérification de la publicité, pour les campagnes de pub. Encore mieux, l’IGPN, la police des polices, qui a eu l’audace de réfuter, par sa directrice Brigitte Julien, « le terme de violences policières » pendant la révolte des Français en gilet jaune ! Dernier cas d’un organe de surveillance à la fois juge et partie, le laboratoire Servier qui plaçait des hommes dans les organismes officiels de pharmacovigilance, on pense à l’ANSM, qui a été mise en examen dans cette affaire glauque.
« L’Agence du médicament est elle renvoyée pour “homicides et blessures involontaires” par “négligences”, pour avoir tardé à suspendre le médicament, malgré une accumulation d’alertes sur les risques depuis le milieu des années 1990, en France et en Europe.
Représentant l’ANSM au procès, son directeur général Dominique Martin assure qu’il participera ”à tous les débats dans la transparence la plus totale afin de concourir à la manifestation de la vérité pour les victimes et leurs proches” et qu’il ”(assumera sa) responsabilité de directeur d’établissement public”.
Parmi les personnes prévenues figurent l’ex-numéro deux du groupe, Jean-Philippe Seta, des médecins membres de commissions de l’Afssaps également rémunérés comme consultants pour les laboratoires, ou encore l’ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange, soupçonnée d’avoir rédigé en 2011 un rapport favorable à Servier. » (HuffPost)
Dernier point dans cette longue digression : à l’époque où le Mediator aurait dû être interdit, qui était aux responsabilités dans l’État ? Voici ce que nous écrivions en 2015 à ce propos :
« En 1997, devant les preuves scientifiques de sa nocivité, le médicament aurait dû être retiré de la vente, mais le secrétaire d’État à la Santé de l’époque, le Dr Bernard Kouchner, ainsi que Martin Hirsch, son directeur de cabinet, ne s’expliquent pas ce dysfonctionnement. »
Retour à l’anecdote de Roland Dumas, obtenue de la bouche de François Mitterrand.
« On a besoin d’autant d’argent parce que la propagande, la “com” ont pris le pas sur les idées. Il faut flatter le peuple dans d’immenses meetings, avec des milliers de drapeaux et des écrans géants sur lesquels le candidat se prend pour une rock star. De Gaulle n’avait pas besoin de ça, Mitterrand non plus.
Quand il s’est présenté pour la seconde fois, je m’étais intéressé de loin à ces questions. Il m’avait confié : "Je n’ai rien à dire, l’argent arrive à flots." Il en était fortement étonné mais ne touchait à rien. "Ça" venait des grandes sociétés, des amis et de certains États africains. Je puis témoigner que l’on ne demandait rien. L’Afrique passait souvent par moi. Par d’autres aussi. Ceux qui apportent se "placent" évidemment et attendent des faveurs futures. Ceux-là, d’ailleurs, arrosent les deux camps ! Plus qu’amoral, c’est immoral et contraire à tout principe.
On savait qu’Elf était la pompe à fric, la pompe "Afrique", des grands partis politiques français, à commencer par les gaullistes. C’est ainsi que les gouvernements nommaient à sa tête des types sûrs. Quand Mitterrand a voulu changer le PDG, il n’a pas pris, comme c’était l’habitude, un major de Polytechnique ou un inspecteur des finances, , mais Loïk Le Floch-Prigent, qui sortait d’une école d’ingénieurs. À sa nomination en 1989, il est venu trouver le Président pour lui demander ce qu’il convenait de faire pour tous ces financements. Il lui fit cette réponse : "Ne changez rien, faites comme par le passé, mais soyez équitable". »