L’ancien ambassadeur en Syrie décrypte la crise qui se joue actuellement au Moyen-Orient.
Après l’élimination du général Soleimani, la tension peut-elle retomber entre l’Iran et les États-Unis ?
Nous sommes dans une phase que les stratèges qualifient de désescalade. En réalité, il s’agit plutôt d’une pause dans un duel irano-américain qui va se poursuivre. Avec trois enjeux : le sort de l’Irak, la forme que va prendre la suite de ce duel et les conséquences sur le programme nucléaire iranien – désormais relancé.
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Peut-on imaginer un scénario dans lequel les Américains mettraient de l’eau dans leur vin ?
Paradoxalement, oui, et les éléments du pari de Macron restent toujours pertinents. En effet, les États-Unis n’ont pas de vraie réponse au risque que je viens d’évoquer d’un retour à marche forcée du programme nucléaire iranien. J’ai toujours pensé en outre que seule une grave crise – et nous n’en sommes pas loin – pourrait amener les uns et les autres à réfléchir. Pour entamer une vraie désescalade de la tension régionale et pas seulement une pause, les Iraniens de leur côté ont besoin d’une chose : un allègement des sanctions qui passerait par un rétablissement des « waivers » autorisant de nouveau une partie de leurs exportations de pétrole. Aujourd’hui, ils exportent 200.000 barils par jour. Leur point d’équilibre se situe autour de 700.000 ou plus. Ils ne peuvent pas tenir longtemps comme cela.
Quel impact cette crise va-t-elle avoir sur le régime iranien ?
On vit dans un monde de régimes autoritaires, marqué entre autres par une personnalisation accrue du pouvoir. De même que Trump a apporté un coefficient personnel très important dans la géopolitique, Khamenei n’est pas un individu abstrait. Il y a des féodalités. Le guide lui-même a son propre système avec les fondations religieuses et les Gardiens de la révolution en particulier. Pour lui, le général Soleimani était important non seulement au sein de la République islamique, mais aussi pour son propre système à l’intérieur du régime. On ne sait pas comment cet élément personnel va jouer. J’ajoute que Soleimani avait constitué un réseau autour de lui et il va falloir observer comment ces allégeances personnelles vont se redistribuer au sein du régime et parmi les proxys de l’Iran dans la région. Dans l’immédiat cependant, les Gardiens vont sans doute profiter de l’occasion pour consolider leur budget et leur caractère central dans l’État. Cependant la contestation spectaculaire apparue en réaction à l’avion ukrainien descendu par erreur montre que ce régime fait face désormais à un grave problème de légitimité. Les Gardiens de la révolution étaient perçus par la population comme la branche répressive du régime. Ils ont perdu cette icône relativement populaire qu’était Qassem Soleimani.
Est-ce que cela peut renforcer l’influence iranienne en Irak, au Liban ?
Sur le plan stratégique, les Américains ont certes regagné une certaine dissuasion avec cet épisode. Mais sur le plan politique en Irak, les conséquences pour eux sont calamiteuses : avant l’élimination de Soleimani, la rue était en train de secouer très fortement la tutelle iranienne. Aujourd’hui, les Irakiens sont tout autant remontés contre les Américains. Le premier impératif pour les États-Unis maintenant va être de renouer le lien avec l’Irak.
Quel scénario de crise peut-on imaginer ?
[...] Dans la poursuite du duel, on peut aussi imaginer que les Iraniens soient tentés de tester la garantie de sécurité que les Etats-Unis sont censés offrir à leurs alliés, notamment à l’Arabie saoudite. Les Iraniens vont sans doute continuer à tout faire pour dissocier les États du Golfe des États-Unis. Après les attaques contre Aramco du 14 septembre dernier, Mohammed ben Salmane était beaucoup moins enthousiaste pour soutenir la stratégie américaine de pression maximale. Aujourd’hui, il n’est pas complètement rassuré et les Iraniens vont s’employer à ce qu’il ne le soit pas…
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Les Américains voteront pour la présidentielle en fin d’année. Si les démocrates l’emportent, la politique étrangère sera-t-elle très différente de celle menée par Donald Trump ?
Certains choix américains paraissent désormais irréversibles. Les États-Unis ne seront plus jamais les gendarmes du monde. Mais on peut espérer un retour à l’approche multilatéraliste sur d’autres sujets, tels le climat, le commerce ou la lutte contre le terrorisme. États-Unis et Europe pourraient aussi parler davantage à l’unisson face à la Chine, et adopter une stratégie commune en matière de 5G par exemple. L’Europe a longtemps été faible à l’égard de la Chine, pour des raisons économiques. Cela a changé récemment, hormis en Allemagne où la bienveillance persiste. Depuis quelques mois, les Européens ont adopté une ligne plus ferme, qui demande à être confirmée.
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La Chine devrait annoncer ce vendredi sa plus faible croissance annuelle depuis trente ans. La contestation n’a pas réellement faibli à Hong Kong. Le régime chinois est-il affaibli ?
La Chine doit prendre conscience qu’elle n’atteindra pas l’hégémonie, notamment sur le plan technologique, et que le respect des règles internationales est finalement dans son intérêt. Ce qui serait dangereux, c’est une échappée de Pékin, à la suite de laquelle elle imposerait ses propres règles et n’aurait plus besoin de coopération internationale. Il faut donc créer un rapport de force avec Xi Jinping. Les intérêts européens ne diffèrent pas fondamentalement de ceux des Américains sur ce dossier-là. Il faut restreindre les pratiques contestables des Chinois en matière de propriété intellectuelle, de subventions, de dumping, etc. La 5G est le dossier test qui permettra de mesurer la puissance de chacun.
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