« Tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne un pain dans la gueule ». C’est l’une des devises de la légende de la boxe, qui s’apprête à remonter sur le ring à 54 ans, samedi soir. Et elle résume bien sa carrière chaotique.
Fin 1986, le tout jeune Mike Tyson s’apprête à disputer un combat pour le titre de champion du monde. Il est l’invité de l’émission Nightlife, en compagnie du légendaire boxeur Jake LaMotta, incarné au cinéma six ans plus tôt par Robert De Niro dans Raging Bull de Martin Scorsese. Le présentateur prend à témoin le glorieux ancien, et lui demande s’il a un conseil à donner au jeunot : « Le meilleur conseil que je peux lui donner, c’est de rester concentré sur la boxe et d’éviter le grabuge. Il y a beaucoup de grabuge, là dehors. Malheureusement, les types comme lui et moi, on attire les ennuis ». Bien vu.
« Iron Mike », qui remonte à 54 ans sur le ring samedi 28 novembre face à Roy Jones Jr., n’a pas assez écouté les sages paroles de son aîné. Il en a d’ailleurs tiré une de ses devises : « Tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne un pain dans la gueule ». Lui, ne s’en est pas pris qu’un seul.
I. AM. BACK. #legendsonlyleague. September 12th vs @RealRoyJonesJr on #Triller and PPV #frontlinebattle @TysonLeague pic.twitter.com/eksSfdjDzK
— Mike Tyson (@MikeTyson) July 23, 2020
« Brut de décoffrage »
« Mike Tyson, c’est le produit caractéristique des années 1980 : l’immédiateté, la vulgarité, le côté clipesque, soupire Frédéric Roux, ancien boxeur devenu écrivain, qui lui a consacré un livre sobrement intitulé Mike Tyson (Grasset, 1999). Comme Mohammed Ali ou Joe Louis avant lui, le champion du monde des lourds, c’est quelqu’un qui porte les valeurs de l’époque. Tyson les a cristallisées jusque dans sa façon de boxer. »
Pendant les premières années de sa carrière, rares étaient les combats où l’adversaire tenait encore debout sur ses deux jambes après trois rounds. « Imaginez un cube de béton, un tour de cou de 54 centimètres, décrit le journaliste Jean-Philippe Lustyk, auteur du Grand livre de la boxe (Marabout, 2019), qui a presque assisté à tous les combats de Tyson entre 1986 et 2006. Pas de chaussettes. Pas de peignoir. Pas de musique d’entrée sur le ring. Brut de décoffrage. »
« Il gagnait souvent le combat avant d’avoir asséné le premier coup de poing. Son adversaire changeait de couleur entre le vestiaire et le ring » (Jean-Philippe Lustyk, journaliste spécialisé dans le Grand livre de la boxe)
« Souvent, ça marche. Quand je bossais avec Mike, c’était moi qui me chargeais d’aller dans le vestiaire adverse au moment où on bandait les mains de l’autre boxeur avant de lui enfiler les gants », raconte Matt Baranski, membre de son équipe, dans le livre The Last Great Fight. L’adversaire du soir s’appelle Michael Spinks. Sur le papier, les spécialistes pensent que son style peut contrarier Tyson, ce 27 juin 1988. Sur le papier seulement. « Je n’ai vu que de la terreur dans ses yeux ». L’impression se confirme quand, une fois sur le ring, il enlève son peignoir. Pas une goutte de sueur, alors qu’en face Tyson a l’air de sortir de la douche. Spinks n’avait tout simplement pas pu s’échauffer.
- Mike Tyson, pris en photo avant un de ses combats en 1986, à New York
Mais quand Tyson tombe sur un adversaire hermétique à sa guerre psychologique, les choses se gâtent. C’est ce qu’il s’est passé le 11 février 1990, à Tokyo. Personne ne voyait pourtant James « Buster » Douglas capable d’inquiéter le champion du monde des lourds. Pas même la propre mère de « Buster », qui l’appelle en pleine nuit, terrifiée par sa lecture d’une biographie de Tyson intitulée Fire and Fear (le feu et la peur). « Maman, ne t’inquiète pas, je le sens bien », la rassure le fiston. Avant le combat, « ses mains n’étaient pas moites au moment de les bander », se souvient un membre de son staff dans The Last Great Fight.
Chute sportive et chute libre
James Douglas, qui gagnera son surnom ce soir-là, résiste au premier round. Au second. Puis au troisième. Commence à croire en ses chances. Et au cinquième round, décoche un coup qui fait enfler l’œil de Tyson. Panique chez les deux nouveaux entraîneurs du champion : personne n’a pensé à prendre de la glace, une bourde gravissime à ce niveau. Les coaches improvisent avec un gant en latex rempli d’eau du robinet. Malgré cela, Tyson parvient à envoyer son adversaire au tapis. L’arbitre met 14 secondes à compter jusqu’à dix, et Douglas parvient à se relever. Au dixième round, c’est lui qui allonge Tyson. Pour de bon, cette fois. À quelques secondes près, la carrière de Mike Tyson vient de basculer.
- Le boxeur américain James « Buster » Douglas envoie au tapis son adversaire Mike Tyson, lors du championnat du monde des lourds, organisé à Tokyo (Japon) le 11 février 1990
De nombreux signaux auraient dû mettre en alerte son clan. Le boxeur, arrivé tôt au Japon, n’est pas sorti de son hôtel pendant un mois. La seule fois où il a mis le nez dehors, il s’est retrouvé face à 200 photographes qui voulaient immortaliser son jogging. Trop lourd sur la balance, il s’est contenté de boire du bouillon de légumes pour retrouver un poids de forme juste avant le combat. Son promoteur, Don King, n’a d’yeux que pour le combat d’après, contre Evander Holyfield.
Son mariage avec l’actrice Robin Givens s’autodétruit à vitesse grand V, la rapacité de sa promise et de sa mère n’étant pas pour rien dans ses problèmes conjugaux. Elles iront – selon les dires de Tyson relatés par Matt Baranski dans son livre – jusqu’à lui faire ingérer des tranquillisants avant une émission de télé (sur la chaîne nationale NBC) pour que Givens puisse l’accuser de tous les maux en face de lui, en mondovision, sans qu’il puisse vraiment se défendre. À son équipe historique a succédé un entourage surtout intéressé par les revenus qu’il peut tirer de la star. Donald Trump, qui organise beaucoup de combats dans son casino d’Atlantic City, n’est pas en reste : sa société facturera même 2 millions de dollars au boxeur pour des « conseils ».
1990, année de la chute sportive, 1991 année de la chute tout court. Fin décembre, Tyson se voit accusé de viol par la jeune Desiree Washington. Elle, jeune femme pieuse du fin fond du Rhode Island venue à Indianapolis participer au concours de Miss Black America ; lui, membre du jury, qui n’aura de cesse de harceler candidates et personnel féminin du concours. Le procès se tient l’année suivante. Après avoir échoué à acheter le silence de la jeune fille contre un chèque à sept chiffres, et sur les conseils de Don King, qui a imposé son avocat d’affaires à Tyson plutôt qu’un pénaliste rompu à ce genre de dossiers, la défense joue la carte raciale. On vend des t-shirts représentant Tyson les yeux bandés avec écrit : « Est-ce que Mike a droit à un procès juste ? »
- Le boxeur Mike Tyson fait étalage de sa fortune au Trump Plaza d’Atlantic City (Etats-Unis), le 21 juillet 1989 en marge d’un combat
contre Carl Williams
King et Tyson font aussi un don très médiatique de 17 000 dollars pour offrir une dinde aux nécessiteux noirs pour Thanksgiving. « Les conseillers de Tyson cherchaient à le dépeindre comme une victime, la victime d’un procureur blanc, d’une justice blanche et d’une “chercheuse d’or” noire. Je sentais qu’ils cherchaient à en faire aussi le procès d’Indianapolis et du Midwest blanc », écrit dans son livre Heavy Justice le procureur Gregory Garrison. Cette stratégie se solde par un échec : Tyson est condamné à un minimum de trois ans de prison. Seule réaction du boxeur à l’annonce du jugement : défaire sa Rolex de son poignet et la confier à son avocat.
Taillé pour le rôle du méchant
« Iron Mike » se refera paradoxalement une santé derrière les barreaux. « Je ne sais pas si la prison était une bénédiction déguisée, je l’ai pris comme telle », dira-t-il au magazine musical The Source. Au programme : conversion à l’islam, footing et entraînements quotidiens, des célébrités au parloir et des livres, d’Alexandre Dumas à Voltaire en passant par Hemingway. Le boxeur fera envoyer 20 cartons à bananes bourrés de livres issus de la bibliothèque de la prison chez lui.
« La veille de ma libération [le 27 mars 1995], je n’ai pas pu dormir, écrit Tyson dans son autobiographie La vérité et rien d’autre (Les Arènes, 2013). À quatre heures du matin, j’ai entendu les hélicoptères qui vrombissaient dans le ciel. C’était les stations de radio qui préparaient leur direct. En face, une foule immense s’était réunie dans un champ de maïs, en pleine nuit, dans l’espoir de m’apercevoir. »
C’est peu dire que le retour sur le ring du champion est attendu. Le choix de son promoteur se porte sur un de ces « journeymen », ces boxeurs qui remplissent le frigo en servant de chair à canon aux vedettes. Et parfois de chair à canon tout court. Peter McNeeley venait de boxer pour 200 dollars dans l’Arkansas quand il se présente face à un Mike Tyson en opération reconquête. Expédié en un round. Six mois plus tard, le champion du monde Frank Bruno n’en tiendra que deux de plus, terrassé par la peur. « Au lieu de son short, il aurait dû mettre des couches », commente son entraîneur. L’opération reconquête est finalement mise KO net par Evander Holyfield fin 1996. Une revanche est organisée l’année suivante.
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Résumé du combat ici :