Lionel Duroy raconte la genèse de l’imposture de l’auteur de « Survivre avec les loups ». Ou comment la « fille du traître » fut érigée en témoin vivant de la destruction des juifs d’Europe.
Comment expliquer que Monique De Wael, alias Misha Defonseca, ait pris le risque fou de se dévoiler ? Le psychiatre et ethnologue Boris Cyrulnik, pape de la résilience, explique à Lionel Duroy, que ce « travail mental lui a permis de fuir la réalité ».
Ce travail mental, qui va du chagrin intime que doit ressentir une fillette « déparentalisée » dans des circonstances de guerre et de souffrances indicibles jusqu’à la construction réfléchie d’une fable, Lionel Duroy la rapporte, sur foi de ses entretiens avec Monique De Wael, à une irrépressible envie de respirer, de sortir de cette condition d’enfant maudite, mal aimée par les siens, haïssant un pays, la Belgique, qui a fait de son père un monstre tout en concédant à sa mère les palmes de l’héroïsme (Germaine Donvil sera reconnue comme résistante), à l’envie de trouver dans cette fausse identité juive le sentiment d’appartenance à d’authentiques et reconnues victimes du nazisme. Ses parents, morts dans les camps, comme les Juifs, ne pouvaient être que juifs eux-mêmes.
Un univers fantasque
Durant de longues années, cette préoccupation n’anime pas Monique De Wael. Elle est festive, joyeuse, trouve dans son premier mariage avec le frère d’une amie d’enfance, Morris Levy, ce début d’identité autre que celle de « la fille du traître ». Elle aime l’argent, le luxe, les voyages. Son deuxième mari, Maurice Defonseca, cadre chez Honeywell, lui fait réaliser son rêve en 1985 : s’installer aux Etats-Unis, là où elle peut devenir Misha. A Maurice, elle dit ne rien savoir sur ses origines ; ce Maurice prétend la croire lorsqu’elle affirme que son nom de De Wael n’est qu’un nom imprimé sur le faux passeport délivré pendant la guerre. Ce cadre de haut niveau, aveuglé par l’amour ou la volonté de ne pas savoir, ne met pas en doute la parole de cette femme, qui la mord pendant son sommeil, qui voue à ses peluches une passion sans borne, qui accorde à son bichon Jimmy une adulation excessive.
Lionel Duroy raconte la genèse de son imposture. Misha, à son arrivée aux Etats-Unis, poursuit ses fréquentations de la communauté juive. Elle rejoint celle de Holliston, où un jour elle est appelée à raconter son histoire d’orpheline des camps de déportation. Pour la première fois, elle livre son odyssée, sans encore parler des loups. Elle est suffisamment émouvante pour arracher les larmes de cette assistance, exclusivement composée de Juifs américains qui n’ont pas connu les affres de la Seconde Guerre.
Le reste est un enchaînement. Misha est aussitôt érigée en héroïne de la Shoah, en témoin vivant de la destruction des Juifs d’Europe. Elle met son récit par écrit. Maurice, son mari, le traduit en anglais. Les conférences s’enchaînent aux quatre coins des Etats-Unis, parfois payées jusqu’à 5.000 dollars. Il lui faut bétonner son discours, assurer sa crédibilité. Elle potasse les livres sur la Seconde Guerre mondiale, étudie les cartes. Un premier livre suit, puis ses traductions françaises…
L’histoire écrite par Lionel Duroy est passionnante de bout en bout. Elle ne répond cependant pas définitivement aux mobiles de Misha Defonseca : reconstruction mentale et fantasque d’une petite orpheline ou œuvre d’une authentique femme escroc motivée par l’appât du gain. Lionel Duroy ne croit pas à la vénalité de Misha De Wael - Defonseca.
Nous ne partageons pas son avis. Survivre avec les loups fut pour le couple Defonseca l’occasion de sortir d’ennuis financiers inextricables. Ses éditeurs, à moins qu’il ne faille les considérer comme des niais, ont sciemment orchestré la falsification de l’histoire et de la Mémoire.
Le livre de Lionel Duroy est une pièce magistrale au dossier Defonseca. Reste à expliquer pourquoi, durant dix ans, tant d’intellectuels, de survivants, d’historiens (à l’exception notable de quelques-uns) ont pu cautionner cette supercherie mondiale…