Décédé le 17 décembre 2021 à l’âge de 85 ans, le grand-frère de Daniel Cohn-Bendit ne fut pas qu’un « infatigable défenseur des pédagogies alternatives » comme le martèle la presse...
« Juif d’extrême gauche, libertaire pour tout dire, je tiens à affirmer quelques principes auxquels je tiens d’autant plus aujourd’hui que tous ceux auxquels j’ai cru pendant vingt ans se sont effondrés les uns après les autres (il est long le chemin qui, du jeune communiste, opposant en 1956, m’a mené, ma dose de scepticisme augmentant à chaque étape, à des idées libertaires en passant par le trotskisme, l’ultra-gauche). »
Fils d’un avocat trotskiste allemand proche d’Hannah Arendt et de l’École de Francfort et d’une militante talmudiste et sioniste, ancien étudiant en philosophie, brièvement communiste antistalinien, longtemps militant écologiste, combattant réformateur de l’Éducation nationale, de l’orthographe et de la sexualité (il vilipendera la « tyrannie du coït ») : Gabriel Cohn-Bendit (dit « Gaby » ) a un riche parcours intellectuel et politique que tous s’accordent à qualifier de « libertaire ». Mais à la différence de son frère cadet, cette passion libertaire mena Gaby sur d’autres terrains que ceux de la pédophilie...
Dans une tribune signée fin 1978, Gaby a effectivement poussé son amour de la liberté jusqu’à prendre la défense du « révisionniste » Robert Faurisson. Devenu le marqueur symbolique des limites de la liberté d’expression française après la publication dans Le Monde d’un article intitulé « Le Problème des chambres à gaz, ou la rumeur d’Auschwitz », le professeur de lettres modernes Faurisson est à ce moment-là au centre d’un véritable tourbillon historico-juridique...
Par ses relations avec l’ultragauche de l’époque, notamment Pierre Guillaume (qu’il a côtoyé au sein de l’organisation Socialisme ou barbarie de Cornelius Castoriadis), Gaby rencontre Robert Faurisson et publie dans la foulée un texte de défense dans le journal Libération. Extraits :
« La seule façon efficace de combattre les ennemis de la liberté, comme on dit, est de leur accorder la liberté que nous revendiquons pour nous et de nous battre s’ils veulent nous la contester. Le fameux "Pas de liberté pour les ennemis de la liberté" est en fait le fourrier de tous les systèmes totalitaires et pas, comme on l’a cru, le rempart le plus efficace contre eux. »
« Ce que je me refuse à faire, y compris aux néonazis, je ne suis pas prêt à l’accepter qu’on le fasse à des hommes comme Rassinier ou Faurisson dont je sais qu’ils n’ont rien à voir avec eux, et le procès intenté à ce dernier me rappelle plus l’Inquisition qu’une lutte contre le retour du pire. »
« Je suis contre la censure comme contre la peine de mort. Et pourtant je ne suis pas pour ceux qui assassinent des enfants. Je suis pas pour les idées négationnistes. Mais je veux combattre les idées, pas les interdire. »
Deux ans plus tard, fin 1980, Gaby intervient au procès intenté par la LICRA à Faurisson pour « exprimer sa réticence à résoudre un problème d’histoire par voie légale ».
Le frère Vert de Dany le Rouge ira même jusqu’à produire une étude « révisionniste » ! D’abord envisagé sous la tutelle de l’historien de gauche Pierre Vidal-Naquet (qui refusera la proposition), ce document de 16 pages porte sur les sonderaktion : des « actions spéciales » qui désigneraient, en langage codé, des meurtres de masse par gazage. À partir de l’analyse du journal de Johann Paul Kremer, un médecin SS du camp d’Auschwitz, Gaby conclura que ces « actions spéciales » ne sont pas des gazages... Vidal-Naquet déclarera alors que Gaby fait partie des révisionnistes « radicaux » et des révisionnistes « gauchistes ». Critique des chambres à gaz mais reconnaissant « la réalité incontestable et abominable du génocide juif », Gaby ne sera cependant jamais qualifié de « négationniste ».
Et même si, dès le printemps 1981, Gabriel Cohn-Bendit a annoncé publiquement sa séparation du « clan faurissonien », il ne reniera jamais son « point de vue sur l’impérative liberté d’expression ».
De quoi gêner pour l’éternité son jeune frère qui enterre le sujet en axant sur une « fâcheuse propension à toujours chercher une vérité de l’autre côté » !
À revoir : Gabriel Cohn-Bendit chez Thierry Ardisson en 2004