Commencer la nouvelle année en Corée du Nord, vous n’y pensez pas ? C’est pourtant l’aventure que s’est offerte Mathieu Vergez, un étudiant toulousain de 24 ans, lors du dernier nouvel an. Blogueur sur Le Verger Populaire, il est aussi chanteur de rock. Infos-Toulouse est allé à sa rencontre.
Parti dans le cadre d’un voyage organisé par l’agence de voyage Noko Redstar, dernière agence de voyage francophone à organiser des voyages en Corée du Nord, ils étaient une cinquantaine à s’être rendu sur place.
Pourquoi être allé fêter le nouvel an en Corée du Nord ?
C’était un véritable coup de tête ! Évidemment, en tant qu’aspirant journaliste et passionné de géopolitique, la crise diplomatique des missiles entre la Corée du Nord et les États-Unis ne m’a pas laissé indifférent. J’avais vu le reportage d’Alain Soral lorsque lui-même y était allé, et le portrait qu’il en donnait, à complet contre-courant de l’image que nous avons habituellement de ce pays, m’a donné envie d’y aller, ne serait-ce que pour voir de mes propres yeux. Lorsque j’ai eu vent que Noko Redstar organisait un voyage de réveillon à Pyongyang, ouvert à tous, au début j’étais quelque peu réticent par rapport au prix du voyage et à mes faibles moyens, mais l’occasion était bien trop belle pour la laisser passer, et j’ai sauté le pas !
Comment fait-on pour rentrer dans le pays considéré comme le plus fermé du monde ?
Il faut démarcher auprès du Consulat de Corée du Nord à Paris pour obtenir un visa. Cette démarche peut être longue, parce qu’ils sont très vigilants. Mais pour moi, la démarche a été prise en charge par l’agence, qui s’est occupée de tout. Comme je pouvais difficilement me déplacer à Paris pour obtenir le visa, j’ai pu bénéficier d’un visa mobile que j’ai récupéré lors du transit à Pékin, ce qui n’a pas été sans complications… Un conseil si vous transitez par la Chine pour vous y rendre : un visa chinois, même pour transiter, ça n’est pas du luxe ! L’immigration chinoise a été très pointilleuse, et même assez pénible. Les Nord-Coréens ont aussi été pointilleux à notre arrivée, mais ne nous ont pas bloqués deux heures à l’aéroport pour scruter le moindre détail de nos passeports !
Quel a été le programme de ce voyage ?
Le programme était très chargé, puisqu’il a fallu nous faire voir un maximum de choses en moins d’une semaine ! Nous avons eu les visites touristiques de bases : musée de la Révolution, musée de la Guerre, musée de l’Art, tour du Juche… Nous avons aussi eu la chance de partir à la rencontre des citoyens nord-coréens, notamment en allant faire du shopping au grand supermarché de Pyongyang, en allant à la piscine, à la patinoire, au zoo… Nous avons également eu la chance de visiter la zone démilitarisée… Autant vous dire que nous étions tous assez fatigués à la fin des journées ! Nous avons assisté au feu d’artifice du nouvel an sur la place principale de Pyongyang, au milieu de milliers de Nokos ! Bien entendu, nous sommes restés en groupe, accompagnés de guides qui ne nous ont pas lâchés, mais ces derniers n’étaient pas là pour nous fliquer ! Nous étions en fait assez libres de modifier le programme avec eux, et nous avons même sympathisé.
Quelles ont été les principales impressions sur ce pays ?
Qu’on en a vraiment une image pourrie par rapport à ce qu’il est vraiment ! Bien entendu, la vie là-bas est très différente par rapport à ici, c’est le moins que l’on puisse dire. Il faut être capable de remettre en question de notre propre modèle pour pouvoir apprécier. Mais globalement, mes principales impressions se portent sur ce que j’ai pu voir le plus, à savoir les nokos eux-mêmes. Ce sont des gens extrêmement simples, accueillants, généreux et disciplinés. Comme ils ont été élevés dans des valeurs traditionnelles, ils ne souffrent d’aucune extravagance narcissique ou de névrose apparente et sont très propres sur eux. D’aucun pourrait penser que c’est du lavage de cerveau ou du conditionnement, mais cela donne tout de même un peuple assez serein, souriant, bref, qui n’a pas l’air malheureux. C’est même assez reposant d’être là-bas à bien des égards. Personnellement, le retour à la civilisation occidentale a été un peu difficile !
Dans les médias, le pays est présenté comme triste, totalitaire, son peuple comme miséreux et dans la famine et son leader impitoyable et sanguinaire. Cette atmosphère se ressent-elle vraiment ?
Pas du tout ! Il faut se sortir cette idée de la tête ! Comme je l’ai dit, les nokos n’ont pas l’air triste le moins du monde. Je n’ai pas de chiffres, mais à mon avis et de ce que j’ai pu ressentir sur place, nous sommes certainement de plus gros consommateurs d’antidépresseurs qu’eux ! Le peuple n’est absolument pas miséreux, je dirais même que sur certains points, ils sont bien mieux lotis que nous… Imaginez, ils ne savent même pas ce qu’est un loyer, vu que leurs logements sont gratuits ! En allant au centre commercial, non seulement j’y ai vu un monde incroyable dans les rayons, mais j’y ai même vu des gens sortir avec plusieurs caddies remplis à ras-bord ! Pour la famine et la pénurie, on repassera… Pour ce qui est du leader impitoyable et sanguinaire, je dirais que le propre de ses régimes socialistes et patriotes, c’est qu’effectivement le leader a les pleins pouvoirs, là-bas il est même considéré comme une quasi-divinité, mais c’est loin d’être arbitraire, puisque son premier devoir est de servir le peuple. C’est plus cette atmosphère qui se ressent là-bas : que le peuple est choyé. Il suffit de voir la beauté de leur métro ! Bien sûr, à partir du moment où l’on n’est pas délinquant, ou agitateur politique d’opposition, il ne nous arrive rien, mais je ne doute pas que ce soit le cas de l’écrasante majorité des Nord-Coréens.
Particularité du régime, il est à la fois communiste et nationaliste, peux-tu nous expliquer les différences notables avec les autres pays communistes que l’on connaît mieux ?
La différence notable, c’est le Juche, qui est exclusivement coréen. Kim Il-Sung, par volonté d’indépendance par rapport à son voisin et allié soviétique, a fondé l’idéologie du Juche dès les années 50, qui garde une forte inspiration marxiste-léniniste, mais prend une tournure plus humaniste que matérialiste, et en y intégrant des valeurs traditionnelles, patriotiques, là où le bolchevisme tendait à faire table rase du passé. Plus que d’être communiste ou socialiste, les Coréens sont avant tout fiers d’être Coréens. Et cela se ressent notamment dans le patrimoine bouddhiste qu’ils conservent, la calligraphie, l’imagerie traditionnelle, qui cohabitent avec les éléments rappelant le régime. La différence avec le communisme bolchevique est affiché jusque dans l’emblème du Parti des Travailleurs, qui reprend le marteau et la faucille, symboles respectifs des ouvriers et des paysans, mais y rajoute le pinceau au centre : les intellectuels. La religion n’y est pas mal vue ou réprimée, comme cela a pu être le cas en URSS, elle y est acceptée même si elle est loin d’être le centre de leur préoccupation.
De ce que tu as pu voir, comment se passe la vie quotidienne à Pyongyang ?
Les Nokos prennent énormément les transports en communs. Métro, bus, tramway, je crois que même les voitures sont collectivisées ! Je ne saurais pas vraiment en expliquer le fonctionnement, mais apparemment, ils connaissent le covoiturage depuis plus longtemps que nous ! Pour ce qui est des courses, ils ont plusieurs épiceries en plus du grand centre commercial, dans lesquels ils peuvent se procurer des produits alimentaires de bases gratuitement grâce à leurs tickets de rationnement et acheter le reste grâce à leur salaire. Ces cinq dernières années, énormément d’infrastructures de loisirs se sont développées. Nous avons pu en visiter quelques uns, comme les thermes et la patinoire, sans compter le parc d’attractions, et tous les centres sportifs. Les Nokos vivent dans des appartements offerts par l’État, dans de grands immeubles. Il paraîtrait qu’ils notent sur tableau le tri des déchets et la consommation électrique des locataires, et que le plus écologique est récompensé, mais je n’ai pas pu le vérifier.
Quelle visite t’a le plus marqué, tant positivement que négativement ?
Sans aucun doute la zone démilitarisée. Il faut savoir que les Nokos ne se sentent pas vivre en « Corée du Nord », d’ailleurs je vous déconseille de prononcer ce nom, ce serait mal pris. Eux disent vivre en Corée, tout court. Dans toutes les représentations géographiques de leur pays, la Corée est entière, le Sud étant seulement sous occupation américaine. Donc voir cette frontière de deux kilomètres de large, entre les barbelés, cet immense check-point Charlie encore debout, duquel on peut voir flotter au loin le drapeau sud-coréen, ça a quelque chose d’aussi impressionnant que déchirant. Il faut imaginer, nous, de vivre dans une France coupée en deux, les familles séparées, ce qui n’est pas sans rappeler l’Allemagne de la Guerre Froide. A noter qu’en Corée du Nord, on souhaite la réunification de la Corée, mais je ne pense pas que ce soit pour demain…
Sur leur fonctionnement économique et social, y a-t-il des avancées qui pourraient faire jalouser les Français ?
Je crois que j’en ai déjà dit suffisamment pour en faire saliver quelques uns ! Personnellement, la seule perspective de ne pas avoir à payer de loyer, et d’avoir accès à de la nourriture gratuite me font regretter de ne pas être Nord-Coréen ! Leur système éducatif a l’air fonctionnel puisque tous les nokos sont éduqués, font beaucoup de sport (aucun obèse là-bas), et savent tous jouer d’un instrument de musique (guitare électrique, batterie et synthétiseurs inclus). Bien sûr, il faut tout de même rajouter que tout cela est rendu possible là-bas grâce à leur intransigeance sur la souveraineté, le contrôle de leurs frontières, et la puissance de leur état. Gare donc, aux utopistes ou à ceux qui voudraient s’installer là-bas, car c’est quasiment impossible.
Se sent-on en danger sur place ?
On est tellement bien pris en charge en tant que touriste que c’est plutôt l’inverse !
Le régime des Kim fait-il vraiment l’unanimité ?
Il y a bien, paraît-il, une dissidence au nord du pays. Mais à part eux, le régime fait bel et bien l’unanimité. Cela va même au-delà, puisque les Kim sont érigés au rang de demi-dieux ! Quand nous sommes allés voir les immenses statues des grands leaders, nous avons bien été prévenus dans le bus : « Faites attention à votre attitude, comportez-vous avec respect et solennité, il s’agit de l’endroit le plus sacré de la Corée ». Les Kim sont vus comme des bienfaiteurs. Il faut tout de même garder à l’esprit que Kim Il-Sung, le fondateur de la dynastie, est le grand héros de la Résistance face à l’envahisseur japonais, et de la Guerre de Corée contre l’agresseur américain. Même De Gaulle n’est pas un équivalant suffisant. Donc on peut dire que cette dynastie est légitime, puisque le premier des Kim a été l’homme providentiel du pays.
Avez-vous pu visiter les campagnes ? On dit qu’il y a une différence avec la ville, est-elle visible ?
Nous n’avons malheureusement pas pu voir les campagnes autrement qu’à travers les vitres du bus ou du train au retour. Mais du peu que nous avons pu voir, la différence est notable. La campagne nord-coréenne paraît vide, mais la terre est tout de même entretenue. Nous y sommes tout de même allés en hiver, donc sans doute pas le meilleur moment pour la voir.
Avec du recul, ce voyage organisé donne évidemment une vision que le régime souhaite donner à ses visiteurs. On prétend souvent que ce sont des figurants que vous croisez dans la rue. Quel est ton sentiment ?
Que si tous les Nokos que l’on a vu déambuler dans la rue, ou à la patinoire, ou partout, étaient des figurants, alors il faut absolument que le régime nord-coréen aille donner des leçons de mise en scène à Hollywood, parce que c’était bluffant ! Plus sérieusement, les rues étaient loin d’être vides, tout avait l’air authentique, donc je ne peux pas croire une seconde à quelque chose d’aussi grotesque que la théorie des figurants. Après, évidemment qu’une agence de voyage touristique ne va pas nous montrer des choses désagréables à voir, mais c’est un peu le principe de toute agence touristique, non ?
Quelle est la place de la propagande dans la société ? Quelle différence avec la « propagande » anti-nord-coréenne desservie en Occident ?
La propagande est tellement omniprésente là-bas, que les gens n’y font même plus attention ! C’est un peu comme la publicité chez nous : ça fait partie de leur quotidien. Évidemment, pour des Occidentaux, c’est toujours exotique d’aller à la patinoire et de voir une affiche où sont représentés les États-Unis sous une pluie de missiles. Il faut imaginer en France toute la publicité que l’on croise à longueur de journée remplacée par des spots ou des affiches à la gloire du gouvernement ou de son idéologie ! Mais comparée à la propagande occidentale, je dirais que la vertu nord-coréenne est d’assumer sa propagande. Elle ne se cache pas derrière du grand divertissement ou la supposée neutralité objective des grands médias.
Pour conclure, le régime nord-coréen est-il un modèle pour la France ?
Même s’il y a évidemment des éléments inspirants, je n’irais sans doute pas jusque là. Ils ont, eux, une histoire particulière qui justifie un tel régime, que nous n’avons pas. La différence entre nos deux pays est trop brutale. Je connais plus d’un Français à qui le régime nord-coréen donnerait des boutons, ne serait-ce que pour l’absence d’Internet ou le culte de la personnalité des Grands Leaders. Cependant il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, nous avons évidemment beaucoup à apprendre de l’étude de ce régime si particulier et des idées du Juche. Une politique qui me semble plus proche de nous, tant géographiquement que contextuellement, et qui pourrait mieux servir de modèle pour nous, est sans doute celle que mène Vladimir Poutine en Russie et à l’international. Prendre Poutine en exemple pour notre pays me paraît plus réalisable.
À ne pas manquer, les photos du jour de l’An à Pyongyang !
La Corée du Nord, un pays souverain à découvrir par vous-même
avec noko-redstar.com !