Audrey Azoulay, l’ex-ministre de la Culture de François Hollande, prétend au poste de Directeur général de l’UNESCO, une agence internationale qui fait moins parler d’elle que l’ONU, mais qui conserve un pouvoir symbolique réel. Tout l’enjeu de ce scrutin, qui aura lieu en octobre 2017 à bulletins secrets, est le retournement de tendance de l’institution du côté israélien dans le conflit qui oppose juifs et Arabes à Jérusalem-Est. On est loin des préoccupations de l’Organisation qui sont l’éducation, la culture et les arts. Le combat diplomatique souterrain qui se profilait au printemps 2017 entre la candidate française – ou franco-marocaine de confession juive – et les candidats des pays arabes qui tiennent à cette Direction générale, explose désormais au grand jour.
La majorité des membres de l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture sont des pays dits pauvres, et pas forcément alignés sur l’axe américano-sioniste. Si un seul veto suffit à bloquer une résolution de l’ONU au Conseil de sécurité, par exemple à propos de la colonisation illégale du territoire palestinien par l’entité israélienne, le fonctionnement de l’UNESCO est beaucoup plus démocratique : un pays, une voix. De plus, une personnalité de confession juive peut voir sa candidature assombrie par la politique israélienne d’occupation et d’agression.
Ceci étant dit, Audrey Azoulay ne part pas perdante, face à quatre candidats arabes, dont un égyptien, plus un azéri, un chinois et un vietnamien… Ils sont neuf à postuler. Le nouveau président Macron l’a exhibée à ses côtés pendant son show onusien de New York, marque de confiance et d’investissement. Histoire aussi de mettre en branle le réseau diplomatique français, qui n’était pas très chaud pour se mobiliser en faveur d’une candidature controversée. Heureusement, Azoulay a un programme : elle milite activement pour la protection du patrimoine mondial et, entre autres, pour la restitution des œuvres d’art. Peut-être veut-elle parler des statues volées dans les musées irakiens par l’occupant américain entre 2003 et 2011…
« Enfant, le nouveau ministre de la Culture passait ses vacances au Maroc où son père André Azoulay, ancien correspondant d’Europe 1, est conseiller personnel du roi. Ce dernier a été officiellement chargé, en 1991, des affaires économiques et de la communication de Hassan II puis de Mohammed VI, ayant par exemple œuvré au rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël en 1994. Il est un des fondateurs du Projet Aladin, lancé par la Fondation pour la mémoire de la Shoah d’Éric de Rothschild pour promouvoir le “devoir de mémoire” dans les Pays musulmans. En France, André Azoulay participe aux dîners du club Le Siècle depuis 1989 et s’est vu remettre la Légion d’honneur par Michel Rocard. » (Source : Faits & Documents)
Cependant, le véritable appui de la candidate est à chercher du côté de sa famille, très puissante de l’autre côté de la Méditerranée. Son père n’est autre que le conseiller du roi du Maroc, Mohammed VI, un pont entre le Royaume et Israël. Pour l’emporter, Audrey met en avant son expérience de 14 mois à la tête de la Culture française, ainsi que son travail au CNC, l’institut public qui finance le cinéma. Elle avance qu’elle y a « protégé la culture des lois du marché pures et dures ». Il est vrai que le CNC ne fait pas dans le vulgaire film commercial. On peut même dire que ses productions, financées par le contribuable (et une retenue sur les tickets d’entrée) sont globalement déficitaires.
Quand le magazine mensuel Jeune Afrique lui lance que le poste « devrait revenir à un Arabe », Audrey se défend : « La règle d’une alternance régionale n’existe pas, et je n’ai pas envie de m’engager dans ce débat, qui n’a guère de rapport avec les enjeux de l’Unesco. Je préfère parler du fond. »
Pourtant, personne d’informé ne peut ignorer l’importance de ses appuis dont le réseau sioniste international, qui défend les intérêts d’Israël.
« Pour ma part, je puise ma force dans mon histoire personnelle, dans ma relation au Maroc, au monde arabe et à l’Afrique. J’ai été bercée par les muezzins comme par les cloches de Montparnasse et les chants des synagogues. Je compte mettre cette diversité au service de mon action. »
Pas sûr qu’elle défende les intérêts des Palestiniens ! C’est pourquoi sa candidature est à double face : une face culturelle française, et une face de lobbying pro-israélien. Car l’UNESCO, qui passe pour une institution sans pouvoir, ou en tout cas sans pouvoir de rétorsion, compte pour l’entité israélienne. L’Organisation internationale a subi en mai 2017 les foudres du Premier ministre Nétanyahou pour avoir estimé que Jérusalem était et resterait palestinienne. Ce qui contrarie d’évidence le plan de conquête sioniste. Par ailleurs, en 2011, Américains et Israéliens ont gelé leur participation financière à l’UNESCO suite à l’obtention par la Palestine du statut de membre à part entière (ce qui ne change rien à la colonisation).
Depuis peu, après un démarrage difficile, le président Macron a mis au service d’Azoulay le réseau diplomatique français, et le ministre des Affaires étrangères Le Drian cornaque la jeune candidate de 45 ans. Cela lui permet d’effectuer une véritable tournée promotionnelle mondiale aux frais de la princesse (France). Au départ, quand Hollande a voulu recaser sa ministre préférée, les États arabes ont vivement réagi. Une pétition de 50 grands noms de la culture arabe a été remise à Le Drian pendant sa visite au Caire, le 8 juin 2017. Elle demandait à Macron de revoir la candidature française… vécue comme une provocation. Les pays arabes attendent en effet enfin un représentant à la tête de l’Organisation. Sachant le risque diplomatique de l’opération de parachutage, Hollande a dû subir une pression certaine pour mettre en danger la réputation de la France (ou ce qu’il en reste) dans le monde arabe. Extrait de la pétition :
« Nous avons suivi avec beaucoup d’admiration sa campagne électorale à l’issue de laquelle il est parvenu à remporter la victoire face à l’extrémisme et au racisme. Nous avons également apprécié ses appels à la moralisation de la vie politique. Nous nous attendons à ce qu’il maintienne cette vision sur la scène politique française et qu’il la transpose dans les relations internationales et au sein des diverses instances onusiennes.
C’est dans cette perspective que nous communiquons notre protestation contre l’action entreprise par l’ancien président français, François Hollande, qui, peu de temps avant de quitter l’Élysée, a présenté la candidature de l’ancienne ministre de la culture, Madame Audrey Azoulay, au poste de directeur général de l’Unesco. Cette action, faisant fi des solides liens d’amitié ayant toujours lié la France et le monde arabe, a suscité les vives réprobations de la rue et des intellectuels arabes. »
Ainsi, sa judaïté – qu’Audrey Azoulay ne met pas en avant – est à la fois un atout et un handicap pour la candidate franco-marocaine. Atout puisqu’elle profite d’un réseau médiatique mondial, handicap car les États arabes et non-alignés d’Afrique et d’une partie de l’Asie ne vont probablement pas voter pour elle. La campagne a donc pris un tour très politique et se cristallise sur le conflit israélo-arabe. Ce que l’ex-président Hollande ne pouvait ignorer. Il laisse à son suivant une patate chaude qui risque de chauffer encore plus lors du vote (secret) d’octobre 2017.
Une candidature « française » qui peut, paradoxalement, profiter des dissensions entre les candidatures arabes, le Qatar et l’Égypte n’étant pas sur la même longueur d’onde, pour ne prendre que ces deux pays. Sachant qu’une règle de rotation (non-écrite) veuille qu’un représentant d’État arabe soit prochainement élu, un peu comme en Coupe du Monde de football l’organisation alternait entre l’Europe et l’Amérique du Sud, Audrey Azoulay met en avant sa « maroquité », si l’on peut dire. La position forte de son père auprès de la dynastie marocaine étant présentée comme un gage de loyauté envers les pays arabes et africains… Tiré par les cheveux, mais jouable !
Pour l’instant, c’est la candidate égyptienne Moushira Khattab qui tient la corde culturelle, mais les Qataris n’ont pas dit leur dernier mot : ils investissent, fidèles à leur politique d’achats tous azimuts, afin de courtiser les 13 votes africains du collège électoral. Et l‘UNESCO a besoin d’argent : en perdant la contribution américano-israélienne (forcément liée), l’Organisation a perdu un cinquième de ses ressources depuis 2011, et plus généralement près des deux tiers de ses salariés depuis 1990.
Mais des groupes de pression israéliens ont déjà miné la candidature qatarie en l’accusant… d’antisémitisme ! C’est le Centre européen Simon Wiesenthal (qui n’est investi d’aucune autorité intitutionnelle) qui a lancé l’attaque. Quand Al-Kawari – le candidat qatari – était ministre de la Culture, il aurait vendu des livres d’inspiration « conspirationniste antisémites ». Derrière cette reductio ad hitlerum, plus prosaïquement, c’est la prise de position qatarie contre la mainmise d’Israël sur le Mont du Temple à Jérusalem qui a déclenché la colère juive. Et là, on ne peut que rappeler la fraternité d’intérêts, avérée ou pas, entre Qataris et Iraniens dans le conflit global qui embrase le Proche-Orient.
On le voit, on est loin des considérations culturelles et éducatives dans cette campagne 2017 !
« Déjà en 2009, le favori était le ministre de la culture égyptien, Farouk Hosni, jusqu’à ce qu’on ressorte ses charmantes déclarations antisémites, par exemple le fait qu’il brûlerait « lui-même » les livres en hébreu qu’il trouverait dans les bibliothèques. C’est comme ça que la Bulgare Irina Bokova est devenue la première femme à la tête de l’Unesco – elle a été réélue en 2013. » (Le Monde)
Alors que la presse arabe se déchaîne contre cette candidature-provocation, Le Monde, fidèle à sa ligne socialo-sioniste, se réjouit et met en avant « la bonne fée d’Audrey Azoulay ». On y apprend qu’Hollande a voulu la recaser comme député à Paris, mais qu’« Anne Hidalgo a fait barrage ». C’est pourquoi le nom de la franco-marocaine a été déposé in extremis, le 15 mars 2017, jour de la clôture des candidatures.
L’argent est le nerf de la guerre, même dans les instances internationales. Le Qatar en a beaucoup, mais n’est pas considéré comme une démocratie, ce qui bloque certains pays électeurs. Idem pour la Chine. La France, malgré le fiasco du quinquennat Hollande à l’intérieur, jouit encore d’une bonne image à l’extérieur, mais sa candidate est considérée avant tout comme « juive ». Il y a interférence et brouillage. Cependant, Azoulay a réussi, lors de la conférence d’Abu Dhabi fin 2016, à créer un fonds de 75 millions (dont 30 de la France) pour lutter contre le pillage d’objets d’art dans les pays en guerre… Jack Lang, toujours président de l’Institut du Monde arabe, a mis son poids diplomatique dans la balance azoulayenne…
Les réseaux prosionistes auront-ils raison de la fronde arabe ?