Nous nous sommes amusés à illustrer cet article du Figaro qui a repris une texte de Claude Duneton (1935-2012), l’écrivain et comédien qui tenait la rubrique Le plaisir des mots dans Le Figaro Littéraire.
« L’argot est mon patois », disait Alphonse Boudard qui avait passé sa petite enfance chez des paysans avant de revenir, jeune adolescent des rues, à Paris où il était né. Mais l’argot existe-t-il encore ?... Si l’on parle de l’argot « classique », cet idiome venu des siècles passés en écumant les bas-fonds des bagnes, c’est fort douteux. Le pur jar des durs n’est plus dévidé par les bandits de grands trottoirs et il n’existe plus de gouapeur au surin ou au soufflant. (On écrirait gwaper maintenant, il faut croire).
L’argot ancien ne survit guère que dans l’imaginaire des auteurs de romans policiers, lesquels sacrifient depuis longtemps à ce qu’on pourrait assimiler à un devoir de mémoire. Quant au parler populaire qui se jactait naguère en toute honnêteté chez les prolétaires au turbin – ce qu’on peut nommer, en effet, le patois de Paris – il a subi le sort des autres patois de France : la télévision unitaire, l’élévation du niveau de vie et les jeux du cirque ont eu leur peau.
Lundi ! Darka party ! Pas de rassrah que de la darka ! ❤❤❤❤❤
— Cyril Hanouna (@Cyrilhanouna) 15 avril 2018
Les petits gars du taf, inventifs insolents d’autrefois, les éloquents de comptoirs ont « tourné le coin » depuis belle lurette, ou « fermé leur parapluie » – c’est-à-dire qu’ils ont passé l’arme à gauche et dévissé leur billard : s’il reste des traces de l’imagerie populaire c’est plutôt dans les asiles de vieillards modestes, des maisons de retraite bon marché où les fils égrotants des argotiers d’antan font rigoler les petites aides-soignantes maghrébines avec leurs boniments à la graisse d’oie, les soirs de pleine lune. D’où l’intérêt sans doute de disposer de ces conservatoires nationaux que sont les dictionnaires. Car il est vrai que la langue familière constitue dans notre pays, pour des raisons historiques complexes, « une part de notre richesse culturelle ».
Une inversion sociale dans la langue
Un grand pan de notre littérature du XXe siècle – d’autant plus prestigieux qu’il contient l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline – fut écrite en déviance, à l’écart du français standard. De plus il s’est produit un déplacement langagier des plus curieux : la langue populaire, joyeuse ou féroce, s’est séparée du monde ouvrier qui l’avait fait naître pour se réfugier en partie dans les bibliothèques.