Egalité et Réconciliation
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« Pipeline Ribbentrop Molotov »

Comme en écho au dernier post du blog Guerre et Paix, le Wall Street Journal du 9 novembre dernier titrait sur le « pipeline Ribbentrop Molotov », référence au pacte germano-soviétique, qui permit à Hitler d’attaquer à l’ouest sans être pris à revers par une offensive de l’armée rouge (1).

Ce pacte prévoyait également le partage de la Pologne. Avec le projet « Nord Stream », Il ne s’agit plus cette fois d’envahir ce voisin turbulent, mais de le contourner pour délivrer le gaz russe, directement en Allemagne. Après la perte programmée de l’Asie centrale, au profit des Russes et des Chinois, un nouveau cauchemard géopolitique se dessine en Europe pour les Américains : l’union des puissances continentales.

Pour ceux qui ont suivi les prouesses des sociétés de communications anglosaxonnes ces vingt dernières années, la « reductio ad hitlero » (2) n’a rien de vraiment surprenant. Ce qui est vraiment original, cette fois, c’est de l’appliquer à l’Allemagne. En construisant « Nord Stream » avec la Russie, l’Allemagne se met à l’abris des aléas politiques des pays de l’Est, par lesquels transite le gaz russe. Les arguments des détracteurs de ce redécoupage du réseau de distribution de gaz européen sont assez spécieux. Il est reproché en fait à l’Allemagne de priver certains pays de l’Est, notamment l’Ukraine et la Pologne, d’un moyen de pression sur la Russie. Plus précisément, il s’agit de permettre à ces Etats sous influence américaine, d’exercer un chantage sur le transit du gaz russe. C’est le seul moyen pour eux de contre-balancer leur dépendance énergétique vsi-à-vis du Kremlin et il est évident que la Russie et l’Allemagne ont tout intérêt à sortir le plus rapidement possible de cette contrainte imprévisible.

Vingt ans après, les Etats-Unis constatent avec amertume la perte de contrôle de la nouvelle Allemagne, dont ils ont contribué à la création. Leur politique européenne ne peut plus se limiter au refoulement de la Russie hors d’Europe. Ils doivent désormais trouver des solutions pour contrebalancer la puissance allemande, et empêcher son rapprochement inéluctable avec la Russie. Historiquement, le contrepoids traditionnel de l’Allemagne en Europe est la France. Durant tout le XX siècle, les puissances anglosaxonnes se sont appuyées sur cet antagonisme, pour tenter de maintenir un équilibre sur le continent, qui leur soit favorable. Elles n’hésitent pas, durant les années 1920, à appuyer l’Allemagne contre la France, devenue trop puissante après sa victoire en 1918. Paradoxalement, l’intégration complète de la France dans l’OTAN risque de desservir les Etats-Unis. Cet alignement pur et simple, inédit dans la tradition politique française, lui a fait perdre le prestige lié à son positionnement traditionnel, mélange subtil de modération et d’indépendance. Elle ne peut ainsi plus prétendre à un leadership original en Europe.

L’Amérique peut encore s’appuyer sur les nouvelles démocraties d’Europe de l’Est, dont plusieurs gouvernements lui sont encore dévoués. Ils ne représentent cependant pas un poids suffisant face à l’Allemagne et la Russie. En outre, la plupart de ces gouvernements commencent à prendre leur distance face à cet allié qui n’est plus indispensable pour leur sécurité. Entre envoyer ses soldats en Afghanistan ou toucher les dividendes liés au passage du pipeline russe, les opinions publiques ont déjà choisi. Les gouvernements suivront tôt ou tard. C’est d’ailleurs ce que leur reproche le très atlantiste Figaro du 18 novembre dernier qui n’hésite pas à dénoncer les pays signataires du projet russe « South Stream », comme « contrevenant aux principes de solidarité énergétique européenne ».

Le Wall Street Journal a parfaitement raison. La Russie et l’Allemagne opèrent un rapprochement comme il en a eu souvent dans leur histoire, et pas uniquement à l’époque de Ribbentrop et Molotov. Malgré la ratification de la constitution européenne, les rapports de force en Europe, sont en train de se redéfinir, en suivant les tendances lourdes de l’Histoire. Les nominations d’un Président et d’un ministre des Affaires Etrangères européens n’y changeront rien. L’Allemagne ne partagera pas sa puissance avec les pays d’Europe centrale et ne marchandera pas sa sécurité énergétique contre une hypothétique solidarité européenne.

Xavier Moreau

(1) En 1914, l’offensive russe contre à l’Allemagne avait permi à la France de contre-attaquer victorieusement sur la Marne.

(2) Argument de communication qui consiste à assimiler son ennemi à Adolf Hitler. Il fut utilisé avec succès contre Saddam Hussein et Slobodan Milosevic. il n’est cependant vraiment efficace que sur les opinions publiques occidentales.