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Plan A : un film sur un groupuscule juif qui fomentait l’empoisonnement de 6 millions d’Allemands

Note de la Rédaction

Une traduction E&R.

Un nouveau film, Plan A, relate la façon dont un groupe de juifs a comploté peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour tuer des millions d’Allemands dans le but de se venger de l’Holocauste. Voici leur incroyable histoire.

 

La bande-annonce du film Plan A (en anglais) :

 

La vengeance, dit-on, est un plat qui se mange froid. Mais en 1945, un groupe de survivants juifs de l’Holocauste planifia une vaste et horrible vengeance, alimentée par un sentiment brûlant d’injustice et de haine. S’inspirant de l’ancien édit « œil pour œil », le groupe, connu sous le nom de Nakam ou « les Vengeurs », avait prévu de tuer six millions de citoyens allemands en empoisonnant leurs réserves d’eau – un meurtre de masse qui, s’il avait réussi, aurait pu mettre fin à l’État d’Israël avant même sa création.

Un nouveau film, Plan A, présente cette machination en mélangeant personnages réels et fictifs, tout en s’appuyant sur une histoire vraie. Une histoire absolument remarquable qui, jusqu’à peu, n’avait jamais été racontée – une situation stupéfiante pour les réalisateurs du film, les frères Yoav et Doron Paz :

« Ça m’a époustouflé parce qu’en grandissant en Israël, on n’a jamais entendu ces histoires », me dit Yoav Paz. « Je pense qu’il y a plusieurs raisons. La première est que, pendant de nombreuses années, les Vengeurs eux-mêmes ne voulaient pas en parler. Ils réalisaient combien ça paraissait fou, combien ça paraissait horrible. Puis, il y a environ 10 ans, ils ont commencé. Je pense qu’ils ont ressenti le besoin d’en parler avant de mourir. »

Avant d’entrer dans le vif de l’intrigue, plantons le décor.

 

 

Lorsque la Seconde Guerre mondiale a pris fin et que les camps de concentration nazis ont été libérés, les juifs d’Europe, moins les six millions qui avaient été assassinés, n’ont pas retrouvé leur vie d’avant comme par magie. Ils avaient été spoliés de leurs biens et les bénéficiaires de ce vol n’étaient pas disposés à rendre ces biens mal acquis. L’antisémitisme généralisé dans toute l’Europe, qui avait alimenté et facilité l’ascension de Hitler, n’avait pas disparu non plus. Ils avaient échappé à l’enfer, mais restaient bloqués au purgatoire.

La soif de vengeance était monnaie courante, mais aussi la lassitude et la faiblesse engendrées par les atrocités. Certains de ceux qui espéraient passer à autre chose, littéralement et psychologiquement, avaient émigré en Palestine sous mandat britannique, alors appelée Palestine mandataire. Mais ce voyage n’était pas à la portée de tous. Beaucoup avaient tenté de reconstruire leur vie en Europe ou en Amérique du Nord.

Mais pour certains juifs, la vengeance paraissait nécessaire.

Bien que des juifs aient combattu pour diverses nations alliées pendant la guerre, ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’ils furent dotés de leur propre force armée : la Brigade juive de l’armée britannique. Dirigée par des officiers juifs et non juifs – et comprenant de nombreux soldats de la Palestine mandataire qui étaient restés relativement à l’abri des horreurs – la Brigade avait peu combattu en première ligne, mais un petit nombre d’entre eux avait acquis une réputation de vengeurs impitoyables.

Ils commencèrent à exécuter sommairement les soldats allemands capturés, en particulier ceux de la SS. La guerre terminée, ils infligèrent ensuite la même punition à des civils – pour la plupart, d’anciens SS – qu’ils jugeaient coupables de crimes de guerre. Paz et son frère abordent ce sujet au début du film, notamment par un montage macabre d’hommes et de femmes d’apparence ordinaire abattus de balles dans la tête.

« La Brigade juive est [représentée dans le film de façon] très fidèle », dit-il. « Ces soldats venus d’Israël, qui étaient forts et sans peur – rien à voir avec les rescapés juifs qui avaient subi physiquement et mentalement l’Holocauste – sont arrivés en Europe dans les derniers jours de la guerre et n’ont donc pas participé à de véritables combats. C’est donc un petit groupe secret – je pense qu’ils étaient 200 ou peut-être un peu plus – qui s’est chargé de ces opérations. »

« Ils menaient des opérations secrètes de nuit, principalement à la frontière autrichienne, et dans le nord de l’Italie. Ils traquaient les criminels de guerre, vérifiaient les informations – ils obtenaient certaines informations des services secrets britanniques, d’autres étaient les leurs. On pourrait faire toute une série télé sur la Brigade juive. »

On pourrait dire que la Brigade occupait une place toute particulière sur le « spectre de la vengeance ». Ces jeunes hommes, dont beaucoup découvraient alors seulement les actes à peine concevables qui avaient été perpétrés contre des êtres humains simplement pour leur religion, se sentaient impuissants après avoir été incapables de lutter contre les auteurs de ces actes jusqu’à ce que tout soit terminé. Ils voulaient que justice soit rendue à ceux dont – selon leurs critères – la culpabilité pouvait être établie.

Pour les Vengeurs, cependant, tous les Allemands étaient coupables : au bas mot, ils avaient conspiré ou s’étaient conformés au régime sans doute le plus vil de l’histoire de l’humanité. Avoir fermé les yeux sur l’Holocauste n’était pas une excuse valable.

« J’ai vu dans les yeux de ceux que nous avons exécutés qu’ils demandaient notre vengeance », déclara Yehuda Maimon, un survivant polonais d’Auschwitz et membre des Vengeurs, dans le documentaire Holocaust : The Revenge Plot [Holocauste : le complot de la vengeance], diffusé sur la chaîne britannique Channel 4 en 2017. « Je n’avais pas besoin de philosopher là-dessus : la vengeance était mon droit fondamental. »

Ainsi, leur terrible plan était né. Plusieurs plans, en fait : le plan A consistait à empoisonner les réserves d’eau pour tuer des millions de personnes. Six millions, espéraient-ils. Œil pour œil. Le plan B était d’empoisonner des milliers d’anciens soldats SS retenus prisonniers dans les camps américains. Dirigées depuis le siège du Nakam à Paris, des cellules allemandes furent mises à la tâche pour mener à bien le plan A.

« Je me suis dit que tout comme ils avaient tué nos enfants, nous pouvions tuer les leurs », déclara Maimon.

Leur chef, le poète et résistant Abba Kovner, l’un des rares personnages réels dans Plan A, sollicita l’aide de la Brigade juive, qui la lui refusa. Non seulement leur sens de la justice était considéré comme trop brutal, mais des pourparlers internationaux étaient en cours pour former un État juif où ce peuple opprimé, traqué et massacré pourrait vivre en sécurité : beaucoup pensaient qu’un acte de sauvagerie de cette ampleur pourrait mettre fin à ces négociations.

Nakam choisit Nuremberg comme cible en raison de son rôle infâme dans la montée du nazisme et parce qu’elle abritait les procès d’après-guerre qui, selon eux, étaient d’une ampleur insuffisante. Les réalisateurs du film ont choisi de jouer leur intrigue dans cette ville non seulement pour ces raisons, mais aussi parce que c’est là que le groupe est arrivé au plus près de son objectif.

« Nous avons décidé de nous concentrer sur la cellule de Nuremberg parce qu’elle est allée le plus loin dans l’exécution du plan », explique Paz. « Ils avaient des agents infiltrés dans la compagnie des eaux et de gestion des égouts de la ville, prêts à être activés dès la livraison du poison. »

Le plan a évidemment échoué : même la censure gouvernementale la plus sévère n’aurait pu gommer des livres d’histoire la mort de six millions de personnes ! Kovner, qui avait obtenu un peu de poison en Palestine mandataire, mais seulement assez pour le plan B, fut arrêté par les Britanniques à son retour en Europe. Il dut jeter la moitié du poison par-dessus bord, tandis que l’autre moitié fut acheminée à Paris par un ami.

Le plan A ayant été déjoué, ils se rabattirent sur le plan B, qui fut mis à exécution.

Ses cibles étaient beaucoup plus spécifiques et, selon certains, plus justes. Il ciblait les camps de prisonniers de guerre SS proches des cellules du Nakam de Nuremberg et Dachau. Ces cellules furent maintenues actives, tandis que toutes les autres furent placées en réserve.

Leur plan de vengeance était littéralement un plat qui se mange froid ! Il consistait à empoisonner les miches de pain qui seraient servies aux prisonniers. Comme Kovner avait perdu la moitié du poison qu’il avait obtenu en Palestine mandataire, il n’y en avait pas assez, même pour cet effort plus modeste. Il fallut donc fabriquer à Paris une toxine sans odeur et sans goût à base d’arsenic.

La mission de Dachau fut interrompue lorsqu’il apparut que les membres de cette cellule étaient recherchés par la police. Cependant, le 13 avril 1946, des membres du Nakam qui s’étaient fait embaucher par la boulangerie qui approvisionnait le camp de prisonniers de guerre Stalag 13 à Langwasser, près de Nuremberg, réussirent à empoisonner 2 283 prisonniers allemands avec 3 000 pains, puis à s’échapper en Tchécoslovaquie avec l’aide de Maimon.

Autre fait marquant de cette histoire, aucun décès ne fut enregistré, ce qui n’a jamais été expliqué de manière satisfaisante. En effet, un rapport américain déclassifié et récemment découvert par l’Associated Press montre qu’il y avait suffisamment d’arsenic dans le camp pour tuer 60 000 hommes !

« Certains [des Vengeurs] ont dit qu’ils avaient réussi à tuer des criminels de guerre, mais que les forces américaines avaient étouffé l’affaire parce qu’elles ne voulaient pas susciter la panique », dit Paz. « Mais les historiens sont encore divisés sur ce sujet. Certains disent qu’ils ont réussi en petites quantités, d’autres qu’ils n’ont pas réussi du tout. Mais lorsque nous avons discuté avec [les anciens membres du Nakam], tous ont dit qu’ils regrettaient encore aujourd’hui que le plan B n’ait pas été efficace. Parce que pour eux, le plan B, c’était la justice à l’état pur. Tous étaient des soldats SS, des soldats nazis qui devaient mourir. En ce qui concerne le plan A, c’est beaucoup plus compliqué. »

Cette complexité provoqua à l’époque des désaccords au sein des membres du Nakam. Beaucoup s’opposèrent à l’ampleur du Plan A, estimant qu’il s’agissait d’un acte de vengeance bien trop sanguinaire, même pour quelque chose d’aussi inhumain et impensable que l’Holocauste. Certains, cependant, n’avaient aucun scrupule.

En 2016, Joseph Harmatz, alors âgé de 91 ans et l’un des rares Vengeurs encore vivants, s’est entretenu avec l’Associated Press au sujet de ces complots – ses mots suggérant qu’il pouvait encore regretter l’échec des deux missions :

« Nous ne voulions pas revenir [dans ce qui deviendrait l’État d’Israël] sans avoir fait quelque chose, et c’est pourquoi nous étions si motivés », déclara-t-il. « Nous n’imaginions pas ne pas leur rendre la monnaie de leur pièce. »

Quand on lui demanda quelle était la mission du groupe, Harmatz, qui perdit la plupart de sa famille dans l’Holocauste et participa à l’empoisonnement de Nuremberg, répondit : « Tuer des Allemands... en tuer le plus possible. »

Maimom s’entretint également avec l’Associated Press. Alors âgé de 92 ans, il ne ressentait lui non plus aucune culpabilité :

« Il était impératif de former ce groupe », déclara-t-il. « Si je suis fier de quelque chose, c’est d’avoir appartenu à ce groupe. Que Dieu nous préserve si, après la guerre, nous avions repris une vie tranquille sans se venger contre ces salauds. Ça aurait été terrible de ne pas corriger ces animaux. »

Nous devrions nous réjouir que leur histoire soit écrite au conditionnel, du moins en ce qui concerne le plan A. Les habitants de l’Israël moderne, où Harmatz est venu vivre, devraient en être particulièrement soulagés. Paz pense que si le plan avait réussi, il est presque certain que le pays n’existerait pas aujourd’hui sous sa forme actuelle.

« Je pense que [le plan A] était horrible », dit-il. « Je pense que c’était une chose terrible. Les Nations unies ont fait d’Israël un pays en raison de ce que les gens avaient subi, à cause de l’Holocauste, parce qu’elles ont compris que nous avions besoin d’un endroit sûr pour les nôtres. Je pense que si des centaines ou des milliers d’enfants et de familles allemands innocents étaient morts à cause de cette opération, cela aurait pu tout compromettre. Je pense que cela aurait empoisonné les fondations de cet État. »

Les autorités allemandes ont enquêté sur Harmatz et Leipke Distal, qui avaient infiltré la boulangerie, après qu’ils eurent révélé leurs actions dans des interviews pour un documentaire sortit en 1995. Comme on pouvait s’y attendre, les autorités ne souhaitaient pas poursuivre les survivants de l’Holocauste pour avoir tenté de se venger des nazis et décidèrent de ne pas porter plainte en raison de « circonstances exceptionnelles ».

Alors comment se souvenir des Vengeurs ? Comment juger ces hommes et ces femmes après leur mort alors qu’aucun n’a été jugé ? Certains les considèrent comme des terroristes, d’autres comme des héros. La plupart auront des opinions se situant entre ces deux extrêmes.

Se demander si leurs objectifs et leurs méthodes étaient justifiables ou compréhensibles est un véritable labyrinthe moral. La vengeance n’est pas seulement un instinct, elle est aussi à la base de la punition légale depuis des millénaires : même si ce n’est pas toujours « œil pour œil », nous sommes censés payer pour nos crimes. Le meurtre, cependant, est toujours difficile à justifier – même celui des meurtriers eux-mêmes.

« La question que nous posons au public, c’est : si vous aviez été à la place de ces gens, si vous aviez tout perdu, quelle force vous aurait animés ? » demande Paz. « Serait-ce le désir de recommencer, d’aller de l’avant, ou une pulsion plus sombre et accablante ? La vengeance est une chose vicieuse et elle anime encore le monde qui nous entoure. »

« Encore aujourd’hui, dans l’état d’Israël, ces cercles vicieux perdurent entre Israéliens et Palestiniens, empêchant chacun d’aller de l’avant parce que l’autre aurait fait ceci ou cela. Vous pouvez trouver cela dans toutes les zones de conflit : les gens ne peuvent malheureusement pas oublier le passé et ne peuvent pas aller de l’avant parce que la vengeance est une chose tellement primaire. »

Harmatz, dans le documentaire de Channel 4, explique parfaitement ce piège, tout en nous rappelant qu’il est impossible pour nous de se mettre à la place de ces personnes, comme le dit Paz. Parlant de l’Holocauste, du fait d’être témoin des meurtres d’hommes, de femmes, d’enfants et de bébés, de devoir enterrer leurs corps mutilés, il dit : « Quand vous l’avez vu de vos propres yeux, alors cela vous envahit si profondément que, même si vous voulez vous en libérer, vous ne pouvez pas. »

 

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