Nous reproduisons ici le résumé du plan de réforme des institutions financières internationales élaboré par le département des Affaires économiques et sociales de l’ONU. Le groupe d’expert qui l’a rédigé reflète parfaitement les souhaits de la classe dirigeante mondiale. Son idée principale est de créer une monnaie de réserve mondiale gérée par le FMI, et un système de gouvernance économique mondiale qui encadrerait les politiques économiques des Etats-nations.
Les faiblesses fondamentales du système financier international ont joué un rôle déterminant dans la crise économique mondiale en cours. Au cours des années 1990 et 2000, la déréglementation du secteur financier et la levée du contrôle des mouvements de capitaux dans la plupart des pays ont favorisé une plus grande intégration financière à l’échelle mondiale. Elles ont aussi facilité l’apparition de nouveaux produits financiers dérivés, de nature complexe, et contribué à creuser l’écart entre les instruments financiers et les biens plus tangibles et productifs. Ce phénomène a favorisé la multiplication rapide des mouvements de capitaux à court terme. En outre, les marchés financiers et ceux de l’assurance, des produits de base et de l’immobilier sont devenus de plus en plus imbriqués grâce à des instruments complexes qui se prêtaient aisément aux transactions internationales. Dans une large mesure, ce processus de « financiarisation » s’est développé jusqu’à échapper au contrôle des organismes de surveillance. Outre qu’il entretenait l’illusion d’une diversification des éléments d’actif, le système encourageait une prise de risques excessive et l’apparition de bulles spéculatives sur ces memes actifs, facteurs qui stimulaient un mode de croissance économique mondiale qui s’est avéré non viable. L’expansion financière non réglementée entretenait aussi l’instabilité des flux de capitaux au gré de l’évolution de la conjoncture et la spéculation sur le marché des produits de base. Cette dernière est en partie responsable des crises énergétique et alimentaire.
La fonction centrale du système financier est d’assurer une interface efficace entre les épargnants et les investisseurs et de fournir un financement à long terme et fiable pour les investissements. À en juger par la croissance financière de ces dernières décennies, cette fonction n’a de toute évidence pas été exercée. Le taux d’investissements (productifs) a stagné dans la plupart des régions du monde, en dépit de la croissance explosive de la finance (figure 5). Une plus grande mobilité des capitaux a offert aux pays en développement un meilleur accès aux ressources financières, mais elle a également rendu la gestion des politiques macroéconomiques plus difficile en raison de l’instabilité que les marchés déréglementés confèrent aux flux financiers et des cycles de surchauffe qu’ils déclenchent.
Pour parvenir à une croissance de l’emploi et des revenus qui soit rapide, viable et repose sur une large assise dans un monde où l’on observe une interdépendance croissante des sphères économique et politique, il faudra relever des défis politiques encore plus complexes que ceux du passé. Les arrangements multilatéraux conçus à Bretton Woods ne prévoyaient pas de réglementation des mouvements de capitaux à l’échelle mondiale, car on s’attendait que la mobilité des capitaux fût limitée. Cependant, même après l’effondrement de ces arrangements, et en dépit de l’accélération subite des mouvements de capitaux privés, aucun régime de ce type n’a encore vu le jour. De toute évidence, il sera nécessaire de remettre à plat le système de Bretton Woods pour aider les pays en développement comme les pays développés à atténuer les effets dommageables de l’instabilité des flux de capitaux et des prix des produits de base.
Le renforcement de la coopération financière internationale
Un certain nombre d’options sont disponibles pour créer un système financier plus stable et un milieu plus propice à une croissance durable. Certaines sont actuellement à l’étude, dans le cadre de l’action menée en réponse à la crise mondiale de 2008-2009, mais il est probable que toutes devront être adoptées, de surcroît simultanément, pour que l’on obtienne le résultat souhaité.
En premier lieu, il faut améliorer la réglementation du secteur financier à l’échelle internationale afin de mettre un terme à la prise de risques excessifs et à l’instabilité des flux de capitaux, notamment au moyen d’une surveillance appropriée des mouvements de capitaux et à des réformes macroprudentielles qui impriment des orientations anticycliques aux règles qui s’appliquent au coefficient de couverture et aux provisions pour pertes sur prêts.
En deuxième lieu, il faut renforcer la coordination internationale en matière fiscale et lever le secret bancaire afin qu’il soit possible de procéder à des réformes globales de la réglementation et de la supervision du secteur financier, seul moyen de s’assurer que les places bancaires offshore n’échappent pas à la surveillance, elles qui, à l’heure actuelle, ne sont pas réglementées et fonctionnent à la manière de paradis fiscaux.
En troisième lieu, alors que de nouveaux systèmes de réglementation sont en cours d’élaboration, il est nécessaire de réviser en profondeur les mécanismes de financement compensatoire existants, conçus pour faire face aux bouleversements externes. Il faut veiller à ce que la disponibilité de la liquidité internationale soit plus adéquate et qu’il soit plus facile d’y accéder, en particulier pour les pays en développement : pour ce faire, il convient de modifier les conditions d’octroi de ces ressources — dans le droit fil des réformes récentes des instruments de crédit auxquelles a procédé le FMI, mais en rendant l’accès à ces instruments encore plus aisé, en particulier pour les pays à faible revenu — en les alignant sur les stratégies de développement nationales et sur les nouvelles modalités d’octroi de l’aide proposées plus haut.
En quatrième lieu, il faudra revoir les modalités de la surveillance multilatérale de façon à inclure dans son domaine de compétence toutes les retombées internationales éventuelles des politiques économiques nationales. La surveillance aux fins de la prévention des crises et de la préservation de la stabilité financière mondiale reste une responsabilité essentielle du FMI, qui concentre ses efforts sur la stabilité externe et sur l’évaluation des taux de change. Cela ne s’est pas avéré efficace face à la récente crise mondiale qui n’a pu être évitée, en partie du fait que les mécanismes existants n’établissaient pas de différence entre les pays en termes d’influence sur la stabilité systémique, c’est-à-dire que la surveillance n’était pas assez rigoureuse pour les pays émetteurs de devises comptant parmi les principales monnaies de réserve. Une telle différenciation devrait être une composante essentielle de la surveillance ; mais, et c’est peut-être plus important, elle devrait faire partie intégrante d’un mécanisme renforcé et institutionnalisé qui permettrait de coordonner les politiques macroéconomiques au plan international. Comme la crise l’a révélé, un tel mécanisme est nécessaire pour modérer les fluctuations de l’activité économique mondiale et régler le problème que posent les déséquilibres financiers à l’échelle de la planète. Le cadre propre à susciter une croissance économique mondiale forte, viable et équilibrée, dont la création a été promise par le Groupe des Vingt (G-20), doit se concrétiser et devenir opérationnel d’urgence. Cependant, comme il faudra de nombreuses années pour rééquilibrer l’économie mondiale de façon durable, un tel cadre ne saurait être mis en oeuvre au gré de consultations informelles au niveau du G-20 : il faudra l’institutionnaliser comme il convient au sein du système multilatéral et établir des mécanismes coercitifs propres à rendre la coordination des politiques efficace et transparente.
En cinquième lieu, il faudrait créer un nouveau système de réserve mondiale qui ne dépende plus, en guise de principale monnaie de réserve, du dollar des États-Unis : en effet, celui-ci a montré qu’il ne constituait pas une réserve de valeur stable, ce qui est pourtant une condition préalable. Pourtant, motivés en partie par la nécessité de se prémunir contre l’instabilité des marchés des produits de base et des flux de capitaux, nombre de pays en développement ont accumulé d’immenses quantités de cette monnaie de réserve au cours des années 2000. C’est pourquoi il faut concevoir un nouveau système. Celui-ci devra permettre une meilleure mise en commun des réserves aux niveaux régional et international ; il ne devra pas reposer sur une seule monnaie, ni même sur de multiples monnaies nationales, mais plutôt rendre possible l’émission de liquidités internationales (comme les droits de tirage spéciaux) : un système financier mondial plus stable pourra alors voir le jour. L’émission de liquidités internationales pourrait aussi étayer le financement d’investissements dans le développement viable à long terme, ainsi qu’il a été suggéré plus haut.
La réforme de la gouvernance des dispositifs financiers internationaux
Toutefois, aucune de ces réformes ne sera efficace tant que le déficit démocratique des institutions de Bretton Woods entamera leur crédibilité. La structure de gouvernance du FMI et de la Banque mondiale doit être réformée afin qu’elle reflète plus adéquatement ce que pèse actuellement chacun des divers acteurs de l’économie mondiale et qu’elle soit mieux à même de répondre aux problèmes actuels et futurs, ce qui renforcera d’autant leur légitimité et leur efficacité. Il sera important de revoir le nombre des voix qui leur sont attribuées, afin qu’un meilleur équilibre soit respecté, mais aussi de repenser en profondeur leurs fonctions et de les doter des ressources nécessaires pour qu’ils puissent préserver efficacement la stabilité financière mondiale, coordonner les politiques macroéconomiques et fournir un financement adéquat pour le développement à long terme.
Il faudrait créer une nouvelle institution multilatérale qui serait chargée de faire appliquer les lignes directrices qu’il conviendra d’établir pour que le secteur financier international soit réglementé et supervisé de façon plus complète. Les fonctions des institutions existantes, parmi lesquelles le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et le Conseil de la stabilité financière, et les instruments dont elles disposent sont trop limités et leur représentation est insuffisante. La nouvelle autorité financière multilatérale devrait également veiller à l’harmonisation du cadre réglementaire du secteur financier à l’échelle mondiale et des règles applicables au commerce multilatéral.
Une mondialisation équitable et viable est-elle possible ?
L’ensemble d’institutions et de règles dont on dispose aujourd’hui pour gérer l’économie mondiale a été instauré il y a plus de 60 ans, au moment de la fondation de l’Organisation des Nations Unies et de la création du FMI, de la Banque mondiale et de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Depuis, le monde s’est métamorphosé mais, par contraste, les institutions de gouvernance mondiale ont peu évolué ou se sont adaptées avec lenteur. Les économies nationales sont devenues de plus en plus étroitement intégrées, en raison des liens créés entre elles par le commerce, l’investissement, le secteur financier, les migrations internationales et les révolutions technologiques dans les domaines des transports et des communications.
En ce XXIe siècle, il est clair que les avancées en matière de développement seront dans une large mesure fonction du contexte international. Il est tout aussi clair que les inégalités, sur un plan formel ou dans la pratique, qui transparaissent dans les règles qui gouvernent l’ensemble de l’économie mondiale restreignent indûment la marge de manoeuvre politique essentielle à la promotion du développement. Dans l’Étude sur la situation économique et sociale dans le monde de cette année, on avance l’idée qu’il est nécessaire d’éliminer les disparités en matière de réglementation multilatérale, selon qu’elle s’applique à telle ou telle sphère et à des objectifs internationaux ou nationaux. On peut y parvenir si l’on enregistre des progrès aux divers titres suivants :
• Donner aux autorités nationales les moyens de mettre en oeuvre un ensemble de politiques de développement beaucoup plus diversifié que dans les deux dernières décennies, grâce à la réforme des mécanismes régissant l’aide, des disciplines commerciales internationales et des règles applicables au secteur financier ;
• Élargir de façon significative l’accès des pays en développement à la technologie, afin de le rendre comparable à celui qu’ils offrent à leurs marchés ;
• Mettre sur pied des réglementations justes, prévisibles et comparables afin de faciliter, d’un pays à l’autre, les mouvements de la main-d’oeuvre et du capital ;
• Institutionnaliser la coordination macroéconomique anticyclique au moyen d’une réforme des mécanismes de surveillance et des systèmes mondiaux des paiements et de réserve ;
• Instaurer une coordination efficace en matière de réglementation du secteur financier et de coopération sur le plan fiscal, ce qui exigera l’abandon de la concurrence entre États pour les investissements étrangers, qui dure depuis des années et va à l’encontre du but recherché ;
• Répondre à la menace que fait peser le changement climatique grâce à une action coordonnée au niveau mondial, ce qui exigera l’ajustement des dispositifs d’établissement de règles et de priorités dans les domaines de l’aide, des échanges commerciaux et dans le secteur financier, afin de les aligner sur les objectifs de portée mondiale en matière de développement durable.
Il est nécessaire de revoir les règles du jeu pour que le développement soit équitable et viable, mais ce n’est pas suffisant, car il faut aussi que les parties prenantes acceptent les nouvelles règles. Il ne faut pas considérer que l’octroi de plus de temps, de ressources et de marge de manoeuvre politique aux pays en développement qui partent avec un handicap afin qu’ils deviennent des participants à part entière est un acte de charité ou de bonne volonté de la part des puissants : en réalité, c’est un impératif si l’on veut que l’objectif commun d’expansion du commerce international soit atteint. Le principe des droits et obligations communs mais différenciés en fonction du degré de développement doit être respecté dans la pratique et s’inscrire dans un système de règles énoncées clairement.
Il est plus aisé de promettre qu’on va édicter de nouvelles règles que de le faire. Les divers acteurs devront se mettre d’accord sur un certain nombre d’objectifs communs en matière de développement durable et être convaincus que la coopération présentera des avantages nets pour tous et que ces avantages profiteront aux générations actuelles et futures. Cela posé, dans tout dispositif de coopération internationale, il arrive que certains estiment qu’ils sont désavantagés par rapport aux autres ; or, lorsque l’une des parties estime que les résultats seront inégalement répartis, en sa défaveur, il arrive qu’il soit impossible de mettre en place des solutions efficaces au plan mondial. En raison de la diversité des niveaux de vie, et donc de la capacité de payer, on attendra de certains pays qu’ils acquittent une part plus importante des coûts associés à la fourniture de biens collectifs mondiaux, le risque étant qu’ils soient peut-être moins motivés pour assurer le succès de cette entreprise. C’est pourquoi, s’agissant de l’établissement d’accords multilatéraux, l’idée proposée, qui est que le fardeau doit être partagé, est aussi importante que la taille des avantages conférés par les biens collectifs.
La communauté internationale doit accepter un fait essentiel, à savoir que le processus de développement généré par la mondialisation jusqu’à maintenant, marqué au sceau de l’inégalité, n’est viable ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue environnemental et qu’il n’est pas non plus réaliste d’un point de vue politique. Du fait que les pays en développement jouent à l’heure actuelle un rôle beaucoup plus important dans l’économie mondiale et qu’il y sont aussi bien mieux intégrés, la crise mondiale a des implications beaucoup plus profondes et des conséquences beaucoup plus graves pour le développement que ce n’aurait été le cas il y a quelques années.
Bien que la crise actuelle ne fasse que mettre en relief les risques, toujours présents, qui sont associés à l’intégration plus avant des économies nationales dans l’économie mondiale, la question n’est pas pas tant de faire machine arrière par rapport à la mondialisation, même si, en termes quantitatifs, la crise actuelle pourrait faire pencher en faveur de cette hypothèse, que de réaménager le processus même de la mondialisation, afin d’obtenir qu’il soit davantage en phase avec les réalités du moment. Il est proposé de repenser les dispositifs qui régissent l’aide, les échanges commerciaux et le secteur financier d’une manière qui permette de combler leurs lacunes. Il est tout aussi important de remédier aux lacunes institutionnelles du processus de décision en vigueur dans les principales organisations qui gouvernent l’économie mondiale, comme le FMI et la Banque mondiale, et d’éliminer les inégalités qui font que certains pays ont plus de difficultés à s’intégrer à d’autres entités telles que l’Organisation mondiale du commerce.
Il est nécessaire de renforcer la coordination des instances qui prennent des décisions relatives à l’économie afin de réduire au minimum le nombre de cas où les règles qui s’appliquent au commerce, à l’aide, à la dette, au secteur financier, aux migrations, à la viabilité environnementale et à d’autres enjeux intéressant le développement entrent en conflit les unes avec les autres. À l’heure actuelle, il n’existe pas d’organisme international dont la mission consiste à faire en sorte qu’un souci de cohérence et d’harmonisation préside systématiquement à l’établissement de règles multilatérales. Bien qu’il ait été proposé en 1995 qu’un Conseil économique et social de l’ONU exerçât ce rôle directif, la proposition en question a été reçue avec tiédeur à l’époque. La crise mondiale a apporté la preuve douloureuse que le système actuel était déficient. Les enjeux liés aux changements climatiques et à l’évolution démographique exigent que s’instaure une cohésion plus grande entre les sphères qui sont en charge de la gouvernance mondiale et entre les instances de décision au niveau mondial et celles au niveau national. La coordination internationale future, quels qu’en soient les tenants et les aboutissants et dont les fondements restent à déterminer, devra reposer sur des principes communs et sur des mécanismes transparents et est plus nécessaire que jamais.