Egalité et Réconciliation
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Pour l’annulation du mariage de Lille, par Anne-Marie Le Pourhiet

On dénonce de façon récurrente la malfaçon juridique qui s’est répandue dans notre pays et les causes en sont bien connues : les textes et décisions sont adoptés dans l’irréflexion et la sottise, car l’émotion l’emporte sur la raison sous l’effet des médias et des groupes de pression. Nous avons vu nos dirigeants se ridiculiser en se précipitant au chevet de quelques mythomanes.

L’une se prétendait victime d’une agression antisémite dans le RER, l’autre se disait “brûlé vif pour homophobie”. Ce dernier cas a d’ailleurs accéléré l’adoption d’une loi liberticide réprimant les propos dits “sexistes, homophobes et handiphobes”. L’affaire Chantal Sébire, bien orchestrée par une association militante, fut aussi l’occasion d’une avalanche de mièvrerie compassionnelle à finalité législative. Le Monde a récemment résumé le triste état de notre droit en titrant, après un fait divers : « Madame Alliot-Marie prépare une deuxième loi sur les chiens ».

Mais le record absolu d’hystérie collective aura sans doute été atteint par les réactions délirantes à la constatation de nullité d’un mariage à Lille. L’intégralité de la classe politique est tombée à pieds joints dans le panneau de la démagogie et du prêt-à-penser, oubliant soudain la séparation des pouvoirs que l’on avait précédemment brandie pour la rétention de sûreté.

Quelles idioties n’a-t-on pas entendues ? Les juges français “appliquent la charia”, lancent une “fatwa” contre la République, “incitent les jeunes femmes à se faire reconstituer l’hymen” et “cautionnent le fanatisme” ! Monsieur Devedjian a vu une “répudiation” là où il n’y en a pas, la résiliation unilatérale n’existant que dans le Pacs. Même les eurodéputés s’y sont mis, conformément à leur habitude, déjà constatée dans l’affaire Buttiglione, de se mêler de choix et convictions qui ne les regardent pas. Madame Dati n’a pas arrangé l’affaire avec ses exposés cafouilleux qui amusent les juristes. Il est vrai que la justice exige un débat contradictoire et serein,qui s’accommode mal de la démocratie dite “d’opinion”, plus prompte aux réactions épidermiques et aux arguments rustiques.

De quoi s’agit-il donc ? D’une modeste et classique affaire de vice du consentement affectant l’exercice de la liberté fondamentale la plus privée qui soit, celle de se marier avec qui l’on veut. La république est un principe de séparation entre la chose publique (res publica) et la chose privée et ne signifie nullement l’absorption de la seconde par la première.Elle interdit de parler une langue régionale dans les services publics ou d’exhiber des signes religieux dans les écoles publiques mais n’interdit rien dans l’espace privé, du moins si cette république est libérale et non pas “populaire”. La république est ainsi le contraire du totalitarisme : celle-ci s’arrête devant la porte de la chambre à coucher et du lieu de prière,celui-là s’immisce dans les choix humains les plus profonds et intimes et va jusqu’à pratiquer le lavage de cerveau pour les rendre conformes à sa doctrine. C’est écrit dans la Constitution : « La France est une république laïque.[…] Elle respecte toutes les croyances. »

Qu’en était-il à Lille ? Un jeune homme souhaite, pour des raisons qui ne regardent que lui, épouser une femme vierge, c’est son droit le plus strict. Il exprime ce souhait à une jeune fille majeure qui acquiesce et lui indique que tel est son cas.Le jeune homme prononce donc le “oui” rituel mais, découvrant que son consentement a été faussé car la femme a menti pour l’obtenir, demande au juge de constater qu’il a été trompé sur une qualité déterminante puisqu’il ne se serait pas marié sans ce mensonge. La jeune femme reconnaît avoir induit son futur mari en erreur et il ne reste donc plus au juge qu’à constater la nullité de l’acte. Ni le maire qui célèbre le mariage, ni le juge saisi d’une demande de nullité n’ont à s’immiscer dans le choix des époux : ils enregistrent le consentement ou constatent son absence, c’est tout.

Toute autre solution reviendrait à introduire le mariage forcé en droit français, quel progrès ! Pis encore, admettre qu’une tromperie aussi nette puisse produire des effets de droit conduirait à promouvoir le mensonge dans les contrats et à saper les fondements moraux du droit républicain. L’autonomie de la volonté et le libre consentement des individus sont les piliers du libéralisme issu de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, ils interdisent à l’État de mettre l’individu sous tutelle et l’obligent à respecter ses « droits naturels et imprescriptibles ». Les magistrats de Lille ont donc statué conformément à une tradition libérale que nos politiciens sont en revanche en train de bafouer piteusement.

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public.

Source : http://www.communautarisme.net