Imposer des restrictions budgétaires aux forces armées afin de réaliser des économies pour tenter de réduire la dette publique peut s’avérer, in fine, contre-productif. Au-delà du manque à gagner pour l’industrie de défense et les collectivités locales qui voient leur régiment ou leur base aérienne disparaître, cela peut avoir des conséquences sur la croissance économique à long terme.
Du moins est-ce le cas pour le secteur maritime, qui emploie plus de 300.000 personnes en France. Un nombre qui pourrait doubler, voire même tripler au cours des prochaines années grâce à l’augmentation des flux de marchandises due à la mondialisation, à l’exploitation des ressources naturelles dans les sous-sols marins, le tourisme, la construction navale, etc…
C’est, en tout cas, l’estimation qui est faite dans un rapport établi par le Sénat et intitulé « La maritimisation : La France face à la nouvelle géopolitique des océans ». Du coup, une partie importante de la croissance économique mondiale viendra de la mer.
Et la France aura des atouts à faire valoir, elle qui possède le deuxième domaine maritime du monde, avec 11 millions de km2. « Pour conjurer la tendance à la diminution des ressources publiques, il nous faut créer de la richesse, retrouver de la croissance » a ainsi fait valoir André Trillard (UMP). « L’économie maritime peut y contribuer » a renchérit Jeanny Lorgeoux (PS). « Il y a là de nouvelles filières industrielles qui peuvent être les emplois de demain », a estimé le sénateur ».
Ainsi, les gisements pétroliers découverts au large de la Guyane pourraient produire environ 200.000 barils/jour à partir de 2019. La présence de « Terres Rares », un ensemble de métaux largement utilisés dans l’électronique et sur lesquels la Chine garde un quasi-monopole, a été détectée à Wallis et Futuna. Et bien évidemment, qui dit matières premières dit convoitises et possibilité de différends territoriaux, comme c’est le cas en mer de Chine méridoniale.
Par ailleurs, l’augmentation de l’activité économique sur les mers est porteuse de menaces, comme par exemple la piraterie maritime ou encore le terrorisme. D’où la nécessité de garantir la liberté de navigation, laquelle peut être remise en cause par un Etat à des endroits stratégiques (détroit d’Ormuz). A cela s’ajoute la surveillance des pêches, la lutte contre les trafics et la pollution. Voire même la protection des champs d’éolienne offshore et des centrales thermiques marines, dont la France entend se doter.
La conclusion vient d’elle-même : « Le domaine maritime français (…) peut être un atout considérable, si nous savons le valoriser et nous donner les moyens de le sécuriser » a avancé Jeanny Lorgeoux. Et cela passe par un renforcement des moyens de la Marine nationale, mise à mal par les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008.
Ainsi, les effectifs de la Royale doivent être réduits de 11%, la commande de Frégate Multimissions (FREMM) a été diminuée à 11 unités, alors que ce type de bâtiment constitue l’épine dorsale d’une marine et renvoyé aux calendes grecques la décision de lancer un second porte-avions. Il fallait alors « bétonner » le programme des nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de type Barracuda et aligner, d’ici 2020, quatre BPC de type Mistral.
Seulement, cette baisse des moyens n’est pas sans conséquences. L’ancien chef d’état-major de la Marine nationale (CEMM), l’amiral Pierre Forissier, avait fait état de « ruptures temporaires de capacité » qui empêchaient « d’assurer les missions de souveraineté en permanence dans les territoires ultramarins ». Et l’opération Harmattan, au large des côtes libyennes, en 2011, a mis la Royale en état de suchauffe.
Ce « fort engagement a conduit à arbitrer entre les opérations » avait indiqué l’actuel CEMM, l’amiral Bernard Rogel, devant les députés, en octobre dernier. « Toutes les demandes, notamment certaines prévues par le contrat opérationnel de la marine n’ont pu être honorées » avait-il ajouté en soulignant que le format de la Marine nationale « est aujourd’hui juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays ».
Selon le rapport du Sénat, les capacités globales de la Marine nationale ont chuté de 30% depuis 2000. « Le vieillissement de la flotte conduira dans les prochaines années à des impasses capacitaires majeures notamment dans le domaine des frégates, des patrouilleurs, de la guerre des mines » conclut le document, qui estime que « si le budget de la défense doit naturellement apporter sa contribution à la réduction du déficit des comptes publics, une contribution homothétique de la marine conduirait à accroître encore le décalage entre les enjeux et les moyens. »
D’où l’appel des sénateurs à ne pas faire des moyens de la Marine nationale une « variable d’ajustement du ministère de la Défense parce que le contexte stratégique naval a changé. »