A l’heure où nous débattons du projet de loi de modernisation de l’agriculture, nous voulons souligner le constat d’inquiétude que font tous les agriculteurs, mais aussi les raisons qui peuvent nous permettre d’espérer. Le constat, chacun l’a à l’esprit : des revenus en chute libre dans pratiquement toutes les productions ; un nombre croissant d’exploitations surendettées ; l’augmentation préoccupante des demandes de RSA dans de nombreux départements et un bilan de santé de la PAC qui n’ouvre aucune perspective de long terme. L’agriculture française et européenne traversent une crise historique qui appelle des changements profonds et radicaux.
Cette crise, contrairement à la crise financière qui a été la conséquence de malveillance et de prises de risques inconsidérées des acteurs de la finance, n’est pas due aux agriculteurs. Dans la crise agricoles, les agriculteurs sont les victimes, pas les coupables. Ils ont fait, depuis des années, les efforts qui leur ont été demandés. Je pense en particulier aux efforts considérables qui ont été accomplis dans la modernisation de l’outil de travail, dans la mise aux normes des exploitations, mais aussi dans le rapprochement avec les attentes des consommateurs. En retour de tous ces investissements humains et matériels, les agriculteurs ont le sentiment, bien légitime, d’être aujourd’hui abandonnés.
Cet abandon historique, nous savons pertinemment qui en sont les instigateurs et qui en sont les bénéficiaires. Les instigateurs, ce sont les commissaires de Bruxelles qui, en procédant à un désarmement unilatéral ont condamné l’Europe à capituler, à sacrifier son agriculture sur l’autel de la libre concurrence. Ce dogmatisme du « tout libéral » est un véritable fléau. Les bénéficiaires, ce sont essentiellement les grandes firmes agro-alimentaires qui peuvent spéculer sur la volatilité des prix et qui, en l’absence de barrières douanières, peuvent inonder les marchés de leurs produits à bas prix.
Contrairement aux marchés classiques, les marchés agricoles ne répondent pas aux mêmes contraintes : il doivent prendre en compte la rigidité de l’offre et de la demande à court terme. Contrairement à l’industrie, les productions sont saisonnières et l’offre existe avant la demande. Il faut aussi prendre en compte les contraintes climatiques et les aléas météorologiques, les problèmes de stockage, les rapports entre la production et la distribution. De ce point de vue, je salue le nouveau système d’« assurance récolte » mis en place par l’article 9 du projet de loi. Les agriculteurs travaillent en lien direct avec le vivant. Ils ne connaissent pas le « risque 0 » et ne sont à l’abri ni des caprices de la terre, ni des aléas climatiques. Voilà pourquoi il est indispensable de leur apporter cette protection, à condition que ce système puisse profiter à tous les agriculteurs.
Il me semble d’ailleurs que cette mesure s’appuie sur un constat fondamental qui est que l’on ne peut appliquer les principes du libre marché à une économie aussi particulière que l’économie agricole, à moins de connaître des effets dévastateurs. En effet, l’absence de prix mondial pour les denrées agricoles est lié au fait que l’essentiel de la production est consommé sur place. Seule une faible part est échangée et c’est d’ailleurs cette part qui fixe les prix régionaux. Or, les coûts de production sont différents selon les zones géographiques.
Dans ce contexte, les nombreux accords de libre échange signés par l’Union européenne avec des pays tiers ont rendu inefficaces les mesures de tarif extérieur commun. Si bien que beaucoup de pays européens font désormais venir leurs produits « libres de droits ». La preuve que ce système mène à la catastrophe, c’est qu’aucun grand ensemble régional, hormis l’Europe ne l’a adopté !
Les États-Unis que l’on présente souvent comme le symbole du libéralisme économique, sont en réalité très interventionnistes quand il s’agit par exemple de voter la loi d’orientation agricole pluriannuelle, le Farm Bill. Dans le même temps, le Canada sanctuarise sa production laitière, et la Russie pratique l’intervention à hauteur de 20 % de sa production céréalière. Dans ce contexte, l’Europe ne peut pas rester la seule région du monde dans laquelle l’agriculture n’est pas protégée. Alors que la PAC avait justement vocation a protéger le marché intérieur, elle s’est détournée de son sens originel pour mettre en place un système mortifère dans lequel elle livre les agriculteurs à eux-mêmes. Elle ne sait plus que distribuer des aides. Les États-Unis que l’on présente souvent comme le symbole du libéralisme économique, sont en réalité très interventionnistes quand il s’agit par exemple de voter la loi d’orientation agricole pluriannuelle, le Farm Bill. Dans le même temps, le Canada sanctuarise sa production laitière, et la Russie pratique l’intervention à hauteur de 20 % de sa production céréalière. Dans ce contexte, l’Europe ne peut pas rester la seule région du monde dans laquelle l’agriculture n’est pas protégée. Alors que la PAC avait justement vocation a protéger le marché intérieur, elle s’est détournée de son sens originel pour mettre en place un système mortifère dans lequel elle livre les agriculteurs à eux-mêmes. Elle ne sait plus que distribuer des aides.
Aujourd’hui, 100 % du revenu disponible des agriculteurs vient des aides. Les agriculteurs veulent vivre du fruit de leur travail et non des primes. Le découplage des aides depuis 2003, fait qu’elles ne sont plus versées en fonction des facteurs de production mais sur une base historique, en fonction de droits à produire. Ce système d’aide est devenu illisible et particulièrement inexplicable pour les citoyens. Les agriculteurs ont pris conscience du piège qui se referme aujourd’hui sur la profession. Ils savent que le discours sur les subventions, les aides ou les compensations est à bout de souffle.
Pour autant, il ne faut pas être dupe de la situation. La vérité est que la politique agricole est un domaine de compétence qui nous échappe largement depuis que le traité de Maastricht a aboli la « préférence communautaire » et que celui d’Amsterdam a livré la politique agricole aux aléas de la co-décision. Quant au traité de Lisbonne, il interdit, à travers deux articles fondamentaux les « restrictions aux échanges » et proclame que « l’économie européenne est une économie ouverte ». Autant dire que notre compétence propre n’est plus que limitée, et que les gouvernements nationaux, quand bien même ils voudraient défendre leurs agriculteurs, n’ont plus qu’une faible marge de manœuvre. Pour autant, il ne faut pas être dupe de la situation. La vérité est que la politique agricole est un domaine de compétence qui nous échappe largement depuis que le traité de Maastricht a aboli la « préférence communautaire » et que celui d’Amsterdam a livré la politique agricole aux aléas de la co-décision. Quant au traité de Lisbonne, il interdit, à travers deux articles fondamentaux les « restrictions aux échanges » et proclame que « l’économie européenne est une économie ouverte ». Autant dire que notre compétence propre n’est plus que limitée, et que les gouvernements nationaux, quand bien même ils voudraient défendre leurs agriculteurs, n’ont plus qu’une faible marge de manœuvre. La loi de modernisation de l’agriculture est absolument nécessaire, mais elle ne sera qu’un pansement sur une jambe de bois si un changement radical de politique n’est pas mené par la Commission européenne dans les mois qui viennent par une refondation en profondeur de la PAC. Cette refondation doit s’appuyer sur deux éléments clés :
des prix rémunérateurs fondés sur le couplage de l’effort et de la récompense, et non plus des primes découplées de la production qui d’année en année vont se réduire comme peau de chagrin ;
le rétablissement de la préférence communautaire avec les pays qui le souhaitent et qui permettra une lutte salutaire contre les importations à bas prix car les distorsions de concurrences sont devenues insoutenables. Il n’est plus possible pour nos agriculteurs de produire en respectant une série interminable de normes si, dans le même temps, leurs concurrents directs peuvent faire entrer sur notre marché des produits qui ne respectent pas ces normes.
Parce que les besoins agricoles mondiaux sont énormes, parce que le développement des transports a rendu la concurrence extrêmement vive, parce que les défis à relever sont immenses, le monde agricole est à un tournant de son histoire. Mais dans ce contexte particulièrement lourd, il y a pourtant de réels motifs d’espérer.
Il y a d’abord des données objectives qui sont particulièrement encourageantes.
La première concerne l’attachement jamais démenti des Français envers le monde agricole. A travers les différentes crises de surproduction ou les conflits qui ont opposé les agriculteurs avec la grande distribution, les Français ont manifesté une solidarité et un soutien sans faille aux agriculteurs. Nous avons pu le voir à l’occasion du Salon de l’Agriculture qui, ces deux dernières années, a enregistré deux records de fréquentation depuis 10 ans. Au delà du symbole, cela souligne le lien, presque charnel, qui relie les Français et le monde agricole.
Cet attachement va de pair avec de nouvelles exigences en matière d’alimentation. L’alimentation de qualité est aujourd’hui au cœur des préoccupations des Français. Ils souhaitent consommer mieux en consommant d’abord des produits dont ils savent qu’ils ont été produits près de chez eux. Cela prouve, s’il en était encore besoin, que la marque « France » a de beaux jours devant elle. Pour la dynamiser, il faut aujourd’hui privilégier les « circuits courts » qui ont conquis une partie des citadins, pour partie hostiles à une consommation à contre-saison.
Cela nous montre également combien il est indispensable de répartir plus équitablement la valeur ajoutée entre la production et la distribution. L’objectif du projet de loi de renforcer l’Observatoire des prix et des marges et de l’élargir à l’ensemble des produits de l’agriculture et de la pêche est de ce point de vue une excellente initiative. Mais il faut le doter d’un réel pouvoir de sanction contre les distributeurs qui ne respecteraient pas les règles.
Quant au marché extérieur, il constitue lui aussi un enjeu majeur. La croissance de la population mondiale dans les prochaines années va pousser la production et les exportations. En 2050, la planète devra nourrir quelques 9 milliards d’hommes. Cela implique d’augmenter la production mondiale de près de 70 %. Des zones comme l’Asie et le bassin sud-méditerranéen vont avoir largement recours aux importations. A ce titre, l’Europe est indispensable pour atteindre l’équilibre alimentaire mondial. Il est donc indispensable d’aider nos agriculteurs à répondre à ce défi.
Et puis je terminerai en disant que, si la crise du monde agricole est d’abord venue d’une démission du politique face à l’idéologie de la libre concurrence, à l’inverse, le retour du politique peut être l’occasion d’une rénovation profonde et efficace de l’agriculture française et européenne. Elle peut l’être dans un premier temps grâce à nos politiques nationales, et c’est tout l’objectif de la loi de modernisation agricole. Elle contient en effet un certain nombre de propositions qui sont de nature à protéger davantage les agriculteurs. Je pense en particulier au développement des contrats de vente des produits agricoles, mis en place à l’article 3. Ces contrats écrits sont une protection indispensable car il existe aujourd’hui trop d’inconnu autour de la durée des contrats, des volumes, des caractéristiques des produits à livrer, des modalités de livraison et de paiement, et surtout de la détermination du prix. C’est pourquoi il faut rendre les contrats le plus lisible possible, car les agriculteurs ne peuvent plus vivre au jour le jour, sans savoir de quoi demain sera fait. Elle peut l’être dans un premier temps grâce à nos politiques nationales, et c’est tout l’objectif de la loi de modernisation agricole. Elle contient en effet un certain nombre de propositions qui sont de nature à protéger davantage les agriculteurs. Je pense en particulier au développement des contrats de vente des produits agricoles, mis en place à l’article 3. Ces contrats écrits sont une protection indispensable car il existe aujourd’hui trop d’inconnu autour de la durée des contrats, des volumes, des caractéristiques des produits à livrer, des modalités de livraison et de paiement, et surtout de la détermination du prix. C’est pourquoi il faut rendre les contrats le plus lisible possible, car les agriculteurs ne peuvent plus vivre au jour le jour, sans savoir de quoi demain sera fait.
Mais le retour du Politique devra inévitablement passer par Bruxelles. Je pense en premier lieu aux négociations budgétaires autour de la PAC 2013-2020. Nous savons déjà que ces négociations seront ardues. Pourtant, mêmes si certains de nos partenaires se montrent réticents, une majorité de pays membres restent très favorables à la PAC. La France ne doit pas craindre de rappeler à ses partenaires que si elle est la première bénéficiaire de la PAC, c’est aussi parce qu’elle en est le premier contributeur, tout comme elle est le premier contributeur au budget de l’Union européenne. Il s’agirait de ne pas l’oublier !
D’autre part, il faudra impérativement revitaliser, actualiser, rénover, avec nos partenaires, la préférence communautaire pour en faire à nouveau l’instrument qu’attendent nos agriculteurs pour pouvoir produire et commercialiser dans le cadre d’une concurrence loyale et contrôlée. Il faudra remettre au centre de la future PAC, non plus une approche dogmatique de la concurrence qui serait désastreuse pour notre agriculture, mais cette préférence communautaire rénovée qu’attendent aussi les consommateurs européens, parce que c’est elle qui conditionne en définitive la sécurité, l’indépendance et la qualité de leur alimentation, de notre alimentation.
L’agriculture a toujours joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’humanité. Elle a façonné notre culture et notre environnement. L’agriculture n’est donc pas seulement un modèle du passé, elle est d’abord et avant tout un projet d’avenir.